Ceux qui sont tentés de croire qu’il y a une crise entre le gouvernement et la centrale syndicale et qu’un bras de fer pointe à l’horizon se trompent. En tout cas si l’on se fie aux déclarations apaisantes des premiers responsables de ces deux institutions.
Interpellé sur cette question en marge de l’inauguration du Salon international de l’investissement agricole et de la technologie “SIAT 2016“, le Chef du gouvernement, Youssef Chahed, a déclaré qu’«il n’existe aucun différend entre le gouvernement et la centrale syndicale (UGTT)», et que «le dialogue se poursuit avec l’UGTT afin de trouver un terrain d’entente et une solution à même de satisfaire les deux parties».
Pour sa part, le secrétaire général de l’Union générale tunisienne de travail, Houcine Abassi, a indiqué sur les ondes de Mosaïque FM, que «les réserves de l’UGTT à l’endroit du projet de la loi de finances 2017 ne signifient pas qu’il y a une crise entre la centrale syndicale et le gouvernement», relevant que l’UGTT accepte de poursuivre le dialogue avec le gouvernement dans le but de surmonter les litiges».
Le consensus et rien que le consensus
Au regard de la situation délétère dans laquelle se trouve le pays, toute personne dotée de bon sens ne peut que saluer cette volonté de privilégier le consensus et le dialogue.
Il faut reconnaître que le gouvernement de Youssef Chahed est dans une mauvaise passe. Il n’est pas vraiment à envier lorsqu’on sait qu’il hérite une situation désastreuse marquée par toutes sortes de déficits générés par les gouvernements irresponsables et incompétents qui l’ont précédé. Ces derniers ont eu cette tendance assassine à vider les caisses de l’Etat et à sur-endetter le pays.
Pour rééquilibrer un tant soit peu les finances du pays, le gouvernement Chahed a recouru à une solution de facilité, celle d’augmenter les impôts, ce qui va se traduire par l’augmentation des prix de beaucoup de produits et de services, et ce en dépit de son engagement à ne pas augmenter les prix des produits de base et à ne pas supprimer les subventions.
Projet LF 2017, une grenade dégoupillée léguée par…
Il faut reconnaître, au passage, que le projet de loi de finances 2017 qui a provoqué l’ire de toutes les corporations contribuables, n’est pas le projet de Youssef Chahed dont le gouvernement a été formé il y a à peine deux mois. Il a été concocté par l’équipe de l’ancien ministre régalien impopulaire des Finances, Slim Chaker, dont le départ a été exigé par la centrale syndicale comme condition de sa participation au gouvernement d’union nationale.
C’était une grenade dégoupillée léguée par le gouvernement précédent qui a commis l’erreur de majorer les salaires et de s’engager, en même temps, auprès du FMI, pour les geler. C’est vraiment le comble de l’incompétence et de la bêtise humaine. C’est ce qui explique en grande partie les difficultés rencontrées.
D’ailleurs, face au tollé général provoqué par ce projet de loi, on parle déjà de la révision de ce projet de loi de finances et de l’introduction d’importantes modifications.
Pour sa part, la centrale syndicale, elle aussi, est dans une mauvaise passe. En prévision de son congrès et soucieuse de satisfaire ses adhérents qui ont perdu 50% de leur pouvoir d’achat, elle est dans son droit de refuser de consentir, à elle seule, le plus net des sacrifices. Malheureusement, elle n’a pas le choix au regard de la gravité de la situation, de l’urgence de trouver une solution tout de suite et du temps matériel requis pour exiger des autres parties de mettre la main dans la poche, s’agissant ici d’importants pans de la société en fraude du fisc comme les 800.000 personnes qui opèrent dans l’informel, les professions libérales, des contrebandiers…
L’UGTT peut négocier avec succès ces réformes
Par contre, l’UGTT, si elle est bien inspirée, peut négocier d’importants compromis stratégiques avec le gouvernement lequel, pour éviter la crise, serait prêt à les accepter.
Dans cette perspective, la centrale peut exiger du gouvernement, en contrepartie des sacrifices consentis par les salariés, de mettre en route des réformes salutaires à même de mettre fin de manière structurelle et pérenne à des fléaux récurrents tels que les déficits, la corruption et l’iniquité fiscale.
A titre indicatif, pour dissuader dorénavant les déficits budgétaires, l’UGTT peut mettre la pression sur le gouvernement pour adopter «la règle d’or budgétaire». Ce mécanisme désigne un ensemble de conditions susceptibles de conduire au respect de l’équilibre du budget annuel d’un État ou d’une collectivité publique.
Pour en assurer le respect effectif, cette Règle doit faire l’objet d’une disposition juridique (loi) de haut niveau et faire l’objet d’une inscription dans le texte même de la Constitution. C’est grâce à cette Règle adoptée depuis 1949 que l’Allemagne est aujourd’hui ce qu’elle est.
L’ultime objectif est de «sanctionner» tout gouvernement qui serait tenté de manipuler selon ses humeurs et son idéologie le budget de l’Etat comme l’avaient fait les gouvernements de Tunisie, particulièrement au temps de la Troïka.
En matière de lutte contre l’iniquité fiscale, talon d’Achille de tous les gouvernements qui se sont succédé depuis l’accès du pays à l’indépendance, l’UGTT peut exiger, pour la première dans l’histoire du pays, la mise en route de la réforme fiscale qui est fin prête, au moins depuis deux ans et qui traîne, à dessein, dans les tiroirs du sinistre ministère des Finances.
Cette réforme se propose d’impulser l’investissement, de mettre les contribuables sur un pied d’égalité devant le fisc et surtout d’intégrer dans le circuit formel tous ceux qui sont en fraude du fisc (informel et autres secteurs…).
La centrale syndicale peut, dans le cadre de la lutte structurelle contre la corruption et sa prévention, sommer le gouvernement à généraliser à tous les établissements et entreprises publics la norme ISO 37001.
Cette norme, qui vient d’être adoptée à l’échelle internationale par l’Organisation mondiale de normalisation (ISO) et qui est actuellement disponible à l’Institut tunisien de normalisation (INNORPI), comporte un ensemble de règles et de mécanismes de management visant à prévenir et à dissuader la corruption.
Cette norme tient compte des «best practices» internationalement reconnues de lutte contre la corruption. Ces bonnes pratiques «incluent la direction au plus haut niveau, la formation, l’évaluation des risques, la diligence raisonnable, les contrôles financiers et commerciaux, les rapports, les audits et les enquêtes».
Ainsi, à défaut d’une volonté politique concrète visant à lutter efficacement contre la corruption, la centrale syndicale aura contribué à la prévention de ce fléau en poussant le gouvernement, en cette période de faiblesse, à généraliser au secteur public l’application de cette norme salutaire.
Cela pour dire au final que l’UGTT peut transformer son impuissance à tenir tête au gouvernement, sous peine de perdre les énormes acquis accomplis depuis cinq ans, en victoire en négociant avec succès la mise en chantier, en toute urgence, les réformes populaires précitées et gagner en crédibilité. L’UGTT en sortira, à coup sûr, plus grandie aux yeux du peuple tunisien.
A bon entendeur.