Le projet de la Loi de finances 2017 est axé sur des mesures visant, essentiellement, la collecte des taxes et non l’impulsion de l’investissement et la lutte effective contre l’évasion fiscale, estiment des économistes et experts tunisiens. Pour ces experts réunis lors d’une table ronde, organisée dans la soirée de jeudi 27 octobre sur le thème “La loi de finances 2017: un exercice de haute voltige”, le projet proposé comporte des contradictions et est en déphasage avec la réalité économique tunisienne.
Il prévoit des dispositions et mesures qui n’encouragent pas, selon eux, l’investissement privé et la création d’emploi.
Le professeur de sciences économiques et syndicaliste, Sami Aouadi, a pointé du doigt lors de cette une table ronde, organisée par l’Association tunisienne des économistes (ATE), plusieurs défaillances dans ce domaine, citant particulièrement la dissimulation des données de manière à priver les opérateurs économiques et les organisations nationales d’informations fiables à même de leur permettre d’avoir une évaluation scientifique et pertinente du nouveau budget de l’Etat. “Une crise de confiance perdure entre le gouvernement et les acteurs sociaux”, a-t-il noté, estimant que la Tunisie n’a pas franchi des étapes décisives dans la garantie de l’équité fiscale. “Même les nouvelles mesures et dispositions engagées s’inscrivent plutôt dans le cadre d’une démarche de camouflage et ne reflètent point une vision réelle de la réforme, notamment en ce qui concerne la consécration de l’équité fiscale”, regrette le syndicaliste.
Aouadi rappelle que le gouvernement a annoncé qu’un déficit des ressources budgétaires nécessite le report de l’augmentation salariale, ce qui porte préjudice à sa crédibilité alors que ces augmentations ont été publiées dans le JORT.
Pour cet universitaire, ces majorations salariales ne constituent pas un obstacle pour le projet du budget d’autant que l’Etat dispose de plusieurs ressources qu’il ne réclame pas, à l’instar des infractions douanières et taxes fiscales non payées.
Les ministres de Finances qui se sont succédé à la tête du département prétextent que la complexité des procédures administratives entrave le recouvrement de ces infractions et taxes, a-t-il dit.
De son côté, Housemeddine Taâbouri, membre de l’Ordre des experts-comptables de Tunisie, estime que le projet de loi de finances 2017 comporte plusieurs contradictions, projetant la mobilisation de ressources pour faire face à des dépenses énormes (lesquelles évolueront de 12%), alors qu’en même temps, des mesures sont prévues pour diminuer ces ressources, notamment le barème de taxation, lequel réduira les ressources de 210 millions de dinars (MDT), selon ses calculs.
L’expert critique également l’absence de mesures ciblant l’impulsion de l’investissement, à l’exception d’une seule mesure qui porte sur la mise en place auprès de la Banque tunisienne de solidarité, d’une ligne de crédit de 250 MDT, lequel devra profiter aux jeunes promoteurs. Cependant, ce montant ne peut pas être dépensé au bout d’une seule année, mais plutôt sur une période de 5 ans, alors que la capacité des petits projets à créer l’emploi demeure limitée, selon ses propos.
S’agissant de l’évasion fiscale, l’expert-comptable a pointé du doigt l’absence de mesures claires, à l’exception de trois mesures dédiées aux sociétés structurées, alors que le projet aurait dû cibler les sociétés non structurées.
D’après lui, l’équilibre du budget est fondé sur deux hypothèses, largement contestées. La première hypothèse concerne le report de l’augmentation salariale, d’une valeur de 1 milliard de dinars, au titre de l’année 2017, alors que la deuxième consiste à mettre en place une contribution conjoncturelle pour les sociétés, laquelle drainera des recettes supplémentaires de 900 millions de dinars.
Il a ajouté que le projet n’est pas adapté au contexte économique difficile du pays, puisque le budget sera en hausse de 12% par rapport au budget de 2016, exprimant son étonnement quant à l’importance des dépenses de développement (6,3 milliards de dinars en hausse de 1 milliard de dinars, par rapport à 2016), alors que le taux de réalisation des projets dans le cadre du budget actuel n’a pas dépassé 60%, à la fin du mois d’août 2016.
De ce fait, l’économie tunisienne ne serait pas en mesure d’absorber des dépenses de développement de 6 milliards de dinars au bout d’une année, a-t-il noté, rappelant que “la loi de finances complémentaire pour 2012 avait prévu des dépenses de développement à hauteur de 6,4 milliards de dinars, alors qu’à la fin de l’année, seuls 4,5 milliards de dinars ont été dépensés”.
Pour sa part, la ministre des Finances, Lamia Boujnah Zribi, a assuré que le dialogue avec les partenaires sociaux se poursuivra, durant la semaine prochaine, concernant le report de l’augmentation salariale au titre de l’année 2017, assurant que la révision du barème d’impôt sur salaire permettra de faire profiter une large frange de la société (dont le salaire mensuel varie entre 0 et 1.400 dinars) d’une hausse de revenus, pouvant atteindre les 43 dinars par mois.