Tunisair dans tous ses états, et face à tous les défis et enjeux endurés depuis des années, est toujours d’une actualité brûlante. Sarra Rejeb, PDG de la compagnie depuis 18 mois, est consciente que ce poste n’est pas une sinécure et que tout ce qu’elle entreprend est disséqué et mis sous la loupe de nombre de vérificateurs (administration centrale, PNT, PNC, syndicats et j’en passe). Elle n’en a cure. Elle s’est positionnée dans une logique managériale courageuse et audacieuse.
Attaquée nombre de fois d’être «à la solde des syndicats» pour garder sa place, y compris dans certaines de mes publications -honnêteté intellectuelle oblige-, elle récuse: «Si je veux redresser la compagnie, il faut que j’assure un climat social serein, c’est ce je m’efforce de faire avec les syndicats; je négocie mais je ne cède pas à tous les coups». Une approche qui rappelle la célèbre citation de Rabelais: «Quand on dirige des Hommes, on a le choix de la manière: on en appelle à leurs mains, à leur tête ou à leur cœur, le mieux est de ne rien délaisser».
Dans une série d’entretiens qui seront publiés sur WMC, nous procédons avec la présidente de la compagnie battant pavillon national à un examen approfondi des problèmes de la compagnie, ses filiales, sa relance et ses projets à court, moyen et long termes.
Interview de Sarra Rejeb, partie I consacrée à l’évolution du trafic et au catering.
WMC : Prendre la responsabilité d’une compagnie aussi compliquée que Tunisair n’est pas une mission aisée. Convoitée, la compagnie n’est pas facile à gérer, trop d’intérêts, et un management en dents de scie depuis des années. Comment faites-vous pour faire face à autant de défis?
Sarra Rejeb : J’ai pris mon service en avril 2015. Une année très difficile pour notre compagnie, rappelez-vous les attaques terroristes perpétrées en cette année. L’attaque du Musée du Bardo, ensuite celle de Sousse. Le trafic en a pris un coup, car à peine la compagnie a commencé à se remettre de la première attaque que l’autre l’a assez rapidement rattrapée.
La relance n’est pas évidente. Les réservations sont annulées presque automatiquement dès que les attentats terroristes sont perpétrés. Pour nous, 2015 a été catastrophique et à différents niveaux dont la baisse du trafic de 22%, ce qui est énorme, presque le quart de notre activité, ce qui se répercute bien évidemment sur les recettes.
Nous nous sommes fort heureusement rattrapés cette année avec un accroissement du trafic passager de 8,6% pendant les 10 premiers mois de 2016, passant de 2.366.178 à 2.569.738 passagers. Le trafic régulier a augmenté de 10%, passant de 2.182.117 à 2.400.643 passagers. Soit une résultante d’un choix stratégique de la compagnie.
Nous ne voulons plus être dépendants du charter qui a d’ailleurs enregistré une régression de 17,6%, passant de 131.574 à 108.459 passagers. L’activité Hajj est, pour sa part, passée de 18.456 à 17.323 passagers.
Le coefficient de remplissage de la compagnie s’est aussi amélioré, en passant de 68,3% en 2015 à 70,4% en 2016, soit un gain de 2,1 points.
Dans l’objectif de rendre la structure du marché de Tunisair plus solide et moins exposé aux aléas touchant son environnement, la compagnie a adopté une stratégie commerciale volontariste axée principalement sur le développement du transport régulier qui constitue actuellement 96% de son activité.
Sur le plan des principaux marchés de Tunisair, selon le découpage géographique et en matière de trafic régulier, il convient de signaler ce qui suit:
– les pays européens, cumulant une part de trafic de 74,9%, ont enregistré une augmentation de 7,2%,
– les pays africains, cumulant une part de trafic de 14,0%, ont enregistré une augmentation de 22,6%,
– les pays du Moyen-Orient, cumulant une part de trafic de 10,5%, ont enregistré une augmentation de 9,0%.
– l’Amérique du Mord (Montréal) a enregistré un trafic de 15.164 passagers depuis le 18 juin 2016, date de début de son exploitation.
Le catering, qui était l’un des points forts de Tunisair à son âge d’or lorsqu’elle était l’une des destinations touristiques les plus convoitées dans la région, a été l’une des causes de la chute de la qualité de ses prestations. Qu’avez-vous fait pour y remédier?
En 2015, il n’y avait pas de catering. Quand je suis arrivée, il y avait Newrest qui détenait des actions au capital de Tunisie Catering (34%) et qui assurait la direction générale et la présidence de Tunisie Catering. Cette firme avait décidé de ne plus approvisionner les vols. Nous avons dû passer une année à servir des sandwichs. La qualité des services à bord a été touchée de plein fouet. Le fait même que nous ayons tenu le coup pour que le catering reprenne du service est en lui-même un acte de résistance; nous nous sommes battus pour que le catering reprenne du service et du bon service.
Pendant une année, nous avons dû gérer sit-in, manifestations et contestations de 400 travailleurs sans salaires, ce que personnellement je comprenais. Tous venaient à Tunisair alors que nous détenons seulement 45% du capital de Tunisie Catering. Nous ne sommes pas majoritaires mais nous avons assumé et assuré.
Je m’explique: le catering est une pièce maîtresse dans notre activité, c’est ce qui explique que nous ayons injecté près de 4 MDT dans les caisses de Tunisie Catering (TC) qui étaient presque vides. Nous avons nommé un DG Tunisair à la tête de TC, Newrest est parti et ses dirigeants ont même proposé à Tunisair d’acquérir ses parts au dinar symbolique. La condition de la cession de ses parts était que ce soit la compagnie battant pavillon national qui en bénéficie et pas les autres associés qui sont Nouvelair et le CTKD.
A l’époque, la société était en redressement judiciaire et il y avait un mandataire judiciaire qui la gérait et qui a compliqué encore plus la situation de Tunisie Catering. Lorsque nous avions réalisé que nous ne pouvions plus continuer sur cette lancée et qu’il ne fallait plus distribuer des sandwichs à bord de nos avions, nous avons décidé de prendre les choses en main.
Vous avez décidé d’acquérir les 34% des parts de TC?
Pas dans l’immédiat, nous avons tout d’abord fait appel à un expert judiciaire pour auditer Tunisie Catering. Aujourd’hui, il a achevé son travail et nous devrions pouvoir disposer du rapport. La question qui m’a tourmentée pendant des mois est celle d’acquérir ces parts ou non. D’une part, je ne pouvais permettre que Tunisair ne soit pas maîtresse du service catering pour éviter les mauvais scénarios tel celui vécu en 2015, et, d’un autre côté, il y a une part de risques. TC est trop endettée avec l’OACA. Si nous décidons d’acquérir les 34%, nous devons assumer le passif et l’actif et remettre à Newrest un quitus. Malgré cela, je compte bien me porter acquéreuse en tant que Tunisair. J’ai soumis une proposition dans ce sens au Conseil d’Administration, ensuite, étant un établissement public, la CAREP tranchera.
L’amélioration du catering est visible à l’œil nu à bord des avions Tunisair qui offrait ses services à d’autres compagnies pour pouvoir rentabiliser l’activité. Etes-vous sollicités par d’autres compagnies pour le service catering aujourd’hui?
En 2016, nous avons enregistré une nette amélioration de la qualité des services. Le 1er mars 2016 a marqué le retour à la normale de l’approvisionnement des prestations catering à bord des vols Tunisair, et ce suite à la reprise de l’activité de production de Tunisie Catering après un arrêt qui a duré près d’une année. La reprise a été réalisée progressivement sur le plan production et a permis à Tunisair d’apporter une amélioration notable aux prestations offertes à bord (sachant que les prestations offertes tout au long de l’année précédente étaient fournies par des traiteurs qui ne sont pas spécialisés dans le domaine du catering aérien).
Ce dernier est très apprécié par la clientèle. Nous avons même eu des demandes de la part de certaines compagnies aériennes internationales dont notamment Egyptair, Air France… en vue d’assurer leur approvisionnement à Tunis. Une équipe de Qatar Airways est venue récemment pour auditer Tunisie Catering en vue de commencer à bénéficier de nos services. Il faut que vous voyiez par vous-même la qualité des équipements de la filiale catering de Tunisair, c’est un grand centre où les mets servis à bord sont préparés dans des conditions d’hygiène et de propreté impeccable, et encore, nous sommes décidés à optimiser la qualité de nos produits et de nos services à bord. D’autres améliorations visant la diversification des menus sont en cours.
L’ouverture de la nouvelle ligne Tunis/Montréal en juin 2016 avec deux fréquences par semaine a été l’occasion pour la direction du Catering de se distinguer en offrant une gamme de menus bien élaborés, spécialement dédiés à cette ligne, et qui font, aux dires des passagers, leur entière satisfaction.
Entretien conduit par Amel Belhadj Ali