Les lois de finances concoctées, depuis 2011, ont constamment fait l’objet de débats houleux et de polémiques parfois stériles en raison de leur iniquité, populisme et incohérence. La loi de finances 2017 n’a pas échappé à cette règle. Les 7 ministres des Finances qui se sont succédé depuis 6 ans ne sont jamais parvenus à jeter les bases d’une réforme fiscale cohérente et stable. Ils ne se sont même pas donné la peine de calquer des expertises développées avec succès en la matière dans plusieurs pays amis.
Ils se sont contentés de prévoir dans chaque loi de finances des «mesurettes», voire des «réformettes» qui sont loin d’être des réformes en structure en ce sens où elles ne traduisent pas une vision cohérente et pérenne de l’équité fiscale. Au nombre de ces réformettes, figurent la création d’une “police fiscale“, la révision du régime forfaitaire, la création au sein du ministère des Finances d’une direction chargée, d’abord, d’améliorer les relations des 40% des entreprises en fraude du fisc, et ensuite de les encourager à s’acquitter de leur devoir fiscal…
Même ces mesurettes sont restées sans lendemain en raison des difficultés rencontrées au niveau de leurs l’application, obligeant le département des Finances à faire marche-arrière et concéder d’importantes concessions qui ont vidé certaines réformes de leur noble objectif initial.
C’est le cas de l’annulation de la taxation des alcools forts fabriqués localement. C’est le cas du laxisme avec lequel a été menée la connexion directe des caisses enregistreuses dans les unités de consommation (salons de thé, cafés, restaurants et restaurants touristiques) à l’administration du fisc.
Aversion génétique pour les réformes
Habib Ayadi, Professeur émérite à la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociale – Tunis II, explique, en ces termes, cette aversion presque génétique pour les réformes.
Pour lui, «les gouvernements, de la période post-révolution, sont passés maîtres dans l’art de différer les décisions, en donnant l’illusion de l’action. Aucun homme politique, pendant cette période, n’a attaché son nom à une réforme. Ils ont fait de l’adage prêté à Lénine “durer et endurer“ leur ligne de conduite».
Conséquence: fin prête depuis 2014, la réforme fiscale, qui devrait consacrer, relativement, cette équité, a été constamment renvoyée aux calendes grecques sans aucune explication officielle convaincante.
Habib Ayadi estime que «la période (post-révolution) a été gouvernée par des dirigeants conservateurs et conformistes qui craignent l’innovation porteuse de changement et qui manquaient d’imagination et d’audace».
Et l’universitaire d’ajouter: «Il en est résulté une politique fiscale axée fondamentalement sur une vision attentiste. Aucun changement significatif au niveau des mesures fiscales, ainsi que sur le terrain des mesures anti-crises, n’est intervenu».
L’alternative à l’immobilisme
Pour contourner l’immobilisme et l’inaction des gouvernements, lesquels ont tendance à perdurer, des experts et universitaires proposent d’agir sur ce qui existe, c’est-à-dire sur l’administration fiscale. L’idée est de la transformer ou de la faire évoluer, comme c’est le cas dans les pays développés, en une administration de service.
Elle y est organisée en «Agence spécialisée dans la fiscalité». Il s’agit d’une structure séparée du ministère des Finances, dotée de ressources humaines compétentes et d’une autonomie de gestion, dirigée par un conseil d’administration et soumise à un contrôle strict du Parlement et du gouvernement.
Le but est de mieux faire accepter l’impôt (ce qui s’oppose à la police fiscale), d’identifier les fraudeurs et de les lister -comme le proposent les fiscalistes tunisiens-, de prévenir l’évasion fiscale, tout en essayant de rendre au contribuable le meilleur service aux meilleurs coûts.
Pour y parvenir, la Tunisie gagnerait à s’inspirer d’expertises réussies en la matière, particulièrement au Canada, en Italie et en Suède.
L’universitaire Ayadi pense que «cette nouvelle logique administrative peut être transposée sans délai dans notre pays. «La création d’une “Agence fiscale“, dit-il, peut révolutionner en Tunisie les opérations de contrôle et de recouvrement, surtout que notre pays pratique largement le système de la retenue à la source en matière d’IS/IRPP et de déclaration en matière de TVA et dispose de systèmes informatiques performants, mais insuffisamment exploités (RAFIC et SADEC)».
Dans la perspective de réunir les conditions de succès à cette agence, il préconise au préalable de «recruter un nombre suffisant de cadres compétents (informaticiens, juristes, économistes), d’exploiter dans les plus brefs délais les informations et recoupements fournis par les systèmes informatiques, de procéder (grâce aux recoupements et informations fournis par l’ordinateur) au démantèlement progressif du régime forfaitaire, en isolant les vrais forfaitaires des faux-forfaitaires, et de distinguer (en matière de contrôle) entre entreprises «coopératives» et entreprises «non-coopératives» et réserver un système de contrôle allégé aux premières».
Et pour ne rien oublier, l’universitaire n’a pas manqué de souligner que «l’efficacité de la nouvelle administration, dans le cadre de sa nouvelle mission, repose sur deux éléments essentiels: l’accès à l’information (avec notamment la levée progressive du secret bancaire) et le renforcement du transfert de la charge de la preuve sur le contribuable».