A l’instar de plusieurs organisations, l’Association des jeunes experts-comptables de Tunisie (AJECT) a récemment organisé une rencontre dédiée à la lecture critique du projet de la loi de finances pour l’année 2017, et ce au siège de l’Institut arabe des chefs d’entreprise (IACE, aux Berges du Lac de Tunis).
Cette rencontre s’est déroulée en présence du président de la Commission des finances, de la planification et du développement de l’ARP, Mongi RAHOUI, des membres de ladite commission, mais également des députés de plusieurs partis politiques, du conseiller économique du président du gouvernement, Lotfi BEN SASSI, sans oublier de nombreux experts-comptables et autres représentants de la société civile.
A l’ouverture de cette journée de rencontre, le président de l’AJECT, Anis BEN ABDALLAH, a tout d’abord rappelé les efforts déployés par son association en matière d’analyse et de critique constructive du projet de cette loi, notamment à la séance d’audition qui a été consacrée à l’association au niveau de la Commission des finances à l’ARP.
Walid BEN SALAH tacle les hypothèses du gouvernement
Ensuite, dans la première partie de l’événement, Walid BEN SALAH, expert-comptable, a présenté une lecture du projet du budget 2017. Dans son intervention, il a soulevé quatre points essentiels.
Premièrement, Ben Salah a souligné que le budget de 2017 s’est basé sur une hypothèse de croissance de 2,5%, un prix du baril du pétrole estimé à 50 $ et un taux de change 1$= 2,25 DT. A partir de là, il estime que la réalisation de ce taux de croissance, qui n’a pas été atteint depuis plusieurs années, n’est pas plausible en raison de l’augmentation du taux de pression fiscale dû notamment à l’instauration de la contribution conjoncturelle exceptionnelle de 7,5% sur les bénéfices et les revenus qui est de nature à influer négativement aussi bien sur la consommation que l’investissement, les deux principaux moteurs de croissance.
D’ailleurs, le cours actuel du dollar se situe déjà au même niveau que celui pris en compte au niveau du budget, soit 2,25 dinars, avec une tendance haussière. En l’absence de mesures concrètes efficaces permettant de lutter contre le glissement du dinar, le cours du dollar sera nettement supérieur à 2,25 dinars en 2017, sachant que la hausse dudit cours à fin octobre 2016 a été de 14,8% depuis un an.
En outre, la Banque mondiale et le FMI ont dernièrement revu à la hausse l’estimation du prix du baril de pétrole à plus de 55$, indique-t-il.
Deuxièmement, Walid Ben Salah affirme que l’augmentation exorbitante de la pression fiscale de 20,6% en 2016 à 22,1% en 2017 se traduira par une baisse du volume d’investissement et de création d’emplois. Elle peut même constituer une incitation à l’évasion fiscale, et aura donc un effet contraire sur les recettes fiscales.
Troisièmement, selon lui les estimations de l’effet financier de certaines mesures fiscales sont hypothétiques et incertaines, notamment en ce qui concerne la contribution conjoncturelle de 900 MDT dont le calcul est, à la base erroné. Quant au recouvrement supplémentaire de 400 MDT -dont la réalisation dépend, dans une large mesure, des moyens à mettre en place et qui font défaut au niveau du budget 2017 notamment celui du ministère des Finances ainsi que l’augmentation du prix du tabac de 100 MDT qui, en l’absence d’actions efficaces de lutte contre le marché parallèle- est irréalisable.
Pour étayer ses dires, il a rappelé que les estimations du budget de 2016 n’ont pas été réalisées et que ce budget ne pourrait être bouclé que grâce aux encaissements exceptionnels non budgétisés, provenant de la cession de la licence 4G (471 MDT), de l’utilisation du dernier solde provenant de la privatisation de Tunisie Telecom (397 MDT) et d’une économie sur le budget de compensation suite à la baisse du cours du baril de pétrole (382 MDT), soit un effet positif total de 1,250 milliard de dinars. Malgré cela, il y aurait recours à un endettement supplémentaire de 1,219 milliard de dinars. De quoi s’interroger sur la fiabilité des estimations ainsi que les modalités d’élaboration et d’exécution des budgets au cours des dernières années.
Quatrièmement, la masse salariale de la fonction publique serait de 13,700 milliards de dinars, compte tenu de l’hypothèse de gel des augmentations en 2017. Elle représente à cet effet 13,9% du PIB, une proportion parmi les plus élevées au monde. Elle serait de plus de 14% si l’estimation du taux de croissance de 2,5% n’était pas réalisée en 2017, notamment à cause de l’augmentation de la pression fiscale.
Les critiques de Anis Ben Abdallah…
Au cours de la deuxième partie, Anis Ben Abdallah, président de l’AJECT, a procédé à une lecture critique des dispositions fiscales du projet de la loi de finances pour l’année 2017.
Il en a relevé six.
1) La modification du barème d’impôt sur le revenu des personnes physiques ne peut être considérée comme une modification substantielle et ne tient pas compte de l’effet d’inflation. En plus, suite au plafonnement de la déduction des frais professionnels à 2.000 DT, les salariés dont les salaires atteignent les alentours des 1400 subiront une baisse. Par ailleurs, pour les entreprises du secteur privé, dont les salaires sont négociés en général en net, elles seront obligées de supporter l’effet d’impôt ce qui est de nature à augmenter leur charge salariale.
2) La loi de finances a prévu une contribution conjoncturelle au taux de 7.5% de la base imposable avec des minimums variant de 500 DT à 5.000 DT. Cette contribution, non budgétisée par les contribuables, est très élevée et pénalise encore une fois les entreprises transparentes.
3) Le projet de la loi de finances a créé le corps de police fiscale sans toutefois présenter d’une manière détaillé ses prérogatives et offrir des garanties suffisantes aux contribuables.
4) La suppression de la condition de la vérification approfondie pour la levée du secret bancaire priverait le contribuable d’une garantie et risquerait d’être à l’origine d’abus.
5) La mesure apportée par l’article 39 est fortement contestée et se contredit avec les principes d’équité fiscale et la loi anti-blanchiment d’argent. En effet, cette disposition permet aux contrebandiers d’obtenir un quitus fiscal suite au dépôt d’une déclaration d’existence et le paiement d’une contribution de 500 DT seulement.
6) Le projet de la loi de finances pour l’année 2017 prévoit des situations permettant aux services de contrôle fiscal de rejeter la comptabilité et de taxer le contribuable sur la base de simple présomption et de toute information y compris celles provenant de la comptabilité rejetée. Cette mesure, qui a été proposée dans la majorité des projets des lois de finances depuis 2012, a été rejetée au niveau du pouvoir législatif.
Il s’agit d’une mesure grave surtout que le rejet de comptabilité constitue une décision lourde de conséquences, puisqu’elle permet au fisc, sans apporter la preuve, de taxer la société sur la base de simples informations d’autant plus que les motifs de rejets adoptés d’une manière non exhaustive sont infondés et ne peuvent à eux seuls toucher à la fiabilité des comptes.
Et l’AJECT recommande…
A la lumière de ce qui précède, l’AJECT a formulé plusieurs recommandations, à savoir:
- Revoir les dispositions ayant pour effet l’augmentation de la pression fiscale sur les entreprises exerçant au niveau du secteur formel.
- Renforcer les efforts pour la lutte contre le secteur informel et l’évasion fiscale.
- Moderniser l’administration pour faciliter les travaux de contrôle fiscale et la recherche des niches de fraude fiscale.
- Veiller au non augmentation du taux de pression fiscale voire sa réduction étant donné son effet direct sur la consommation et l’investissement.
- Faciliter et clarifier les dispositions fiscales.
- Veiller à l’application des dispositions fiscales déjà en vigueur et vérifier l’applicabilité des dispositions préalablement à leur adoption.