L’un des grands défis à relever pour une croissance durable et équitable en Tunisie réside dans le renforcement de ses capacités logistiques. De meilleures performances logistiques permettant une plus grande efficacité au niveau du transport de marchandises de leur lieu de production jusqu’au consommateur final stimuleraient le commerce national et international en améliorant la connectivité, en diminuant le coût des transactions et en favorisant l’intégration du commerce au plan international.
Tout cela permettrait une augmentation des exportations, une amélioration de la compétitivité de notre commerce extérieur, un accroissement de la diversification des produits et des partenaires commerciaux et une meilleure intégration dans les chaînes de valeur mondiales, notamment des petites et moyennes entreprises tunisiennes.
L’irréversibilité de la mondialisation en tant que modèle n’est plus à démontrer. Elle touche non seulement les échanges de biens et services, les investissements directs, les échanges financiers mais aussi et surtout l’information grâce à l’exploitation de la diffusion du savoir et la transmission instantanée via les nouvelles technologies de communication qui ne cessent d’évoluer.
La problématique de la logistique et de la compétitivité, … une préoccupation des exportateurs tunisiens
Une logistique performante contribue à réduire les coûts des transactions et à améliorer l’efficacité des échanges internationaux. La Tunisie doit améliorer sa logistique car elle est créatrice de valeur ajoutée et est essentielle pour la création de l’emploi. Elle pourrait permettre d’intégrer en Tunisie des fonctions de l’entreprise qui sont encore réalisées en Europe ce qui permettrait de consolider la compétitivité de notre commerce extérieur.
Elle pourrait aussi dynamiser l’économie tunisienne en faisant apparaître de nouveaux services indispensables aux multinationales comme l’émergence de prestataires logistiques, de plateformes logistiques qui sont créatrices de valeur ajoutée et permettent la montée en gamme de l’économie tunisienne.
La livraison du «Just in time» est-elle encore d’actualité?
A ce jour, les entreprises tunisiennes n’ont pas réussi ni à maîtriser ni à optimiser les maillons des chaînes d’approvisionnement avec des contraintes de temps, de fiabilité et de qualité. Les donneurs d’ordre évoluent vers la livraison “Just In Time” qui se traduit pour le partenaire tunisien par des délais très courts. La Tunisie doit être en mesure de répondre à ces nouvelles exigences de performance permettant aux entreprises exportatrices tunisiennes d’évoluer du statut de “partenaire“ au statut d’“intégrateur“.
Les autorités tunisiennes doivent s’activer pour préparer le pays à ce nouvel environnement concurrentiel en entreprenant un programme ambitieux de réformes des douanes et des transports (routier, aérien, portuaire), la programmation et la construction de nouvelles zones d’activités logistiques permettant de connecter toutes les régions de la Tunisie afin de participer au développement de la chaîne des valeurs nationales et internationales.
D’importants investissements, tels que l’extension du port de Radès pour le doter d’un réel terminal à conteneurs, le nouveau port d’Enfidha destiné essentiellement pour le transbordement permettant de relier l’Asie à l’Afrique, le programme d’autoroutes et des voies ferrées. Ces efforts notables à développer constitueraient un important potentiel d’amélioration pour bénéficier pleinement de l’arrimage à l’économie mondiale.
Les coûts logistiques très élevés par rapport à l’Europe
Les coûts logistiques de la Tunisie ont beaucoup augmenté après 2011. Nos coûts sont supérieurs à ceux des pays de l’Union européenne y compris ceux qui l’ont rejoint en 2004 (dont le ratio se situe entre 12% et 16% du PIB). Des grands pays émergents comme le Mexique, le Brésil, le Maroc et la Chine ont, quant à eux, des coûts logistiques de l’ordre de 15% du PIB. La Tunisie possède ainsi un potentiel de gain de plusieurs points de PIB qui proviendrait d’une logistique plus performante. La logistique est un facteur important puisque sa part dans la valeur ajoutée totale créée en Tunisie varie entre 25% et 50%.
La proximité géographique de l’Union européenne est un atout important pour la Tunisie qui doit être mis pleinement à profit. A l’heure où, sur les grandes lignes maritimes, les navires porte-conteneurs vont de plus en plus vite et le coût unitaire de transport d’un conteneur est de plus en plus faible, la Tunisie conserve, malgré tout, un avantage par rapport à l’Asie. En effet, un conteneur effectuant le trajet Shanghai-Anvers coûte environ 1.300 euros mais seulement 300 à 400 euros d’Anvers à Radès.
L’avantage comparatif de la Tunisie sur le marché européen réside tout de même dans sa capacité à s’intégrer dans des cycles courts de production. D’un point de vue logistique, la Tunisie devrait se reposer ainsi de plus en plus sur le transport international routier qui doit être rapide, fiable et pas trop onéreux.
Aujourd’hui, le passage par le port de Radès est un souci important pour les exportateurs tunisiens. Le prix et la mauvaise qualité du transport interne ajoutés au prix de la traversée via le port de Radès rendent difficilement compétitives les exportations de nos produits.
Le fossé logistique qui frappe la Tunisie est principalement lié à certains domaines de la politique publique, en particulier en matière d’infrastructures, de politique douanière, de politique de gestion foncière et de services logistiques. Le manque d’infrastructures nuit au développement commercial. Le retard le plus marqué en matière d’infrastructures concerne le secteur des transports, principalement les routes et les voies ferrées, dont les normes sont inférieures à celles des pays à revenu intermédiaire.
En Tunisie, les mauvais choix en matière de transport intermodal entraînent une augmentation des coûts logistiques et une diminution de la compétitivité et de l’insertion internationale.
Les domaines d’amélioration de la logistique en Tunisie restent importants
Si elle souhaite réduire le fort déficit logistique national, la Tunisie doit adopter une série de politiques englobant des solutions à court, moyen et long termes. L’infrastructure des transports est certes le principal facteur qui explique le faible rendement logistique, mais quelques solutions “souples“ sont également susceptibles d’améliorer la logistique.
À court terme, il s’agit de mettre en œuvre simultanément des politiques actives permettant d’améliorer le transport de biens et services avec les infrastructures existantes. Ces actions sont liées à l’institutionnalisation et à la gouvernance autour d’une politique de logistique intégrée, à une offre de services de stockage modernes, à l’efficacité des procédures douanières et de certification, à l’intégration des technologies de l’information et de la communication pour la logistique, ainsi qu’à la promotion de la concurrence dans le secteur du transport, de la manutention et la gestion portuaires. Ces éléments peuvent permettre d’encourager une utilisation efficace des infrastructures disponibles et de limiter les coûts logistiques.
L’offre de services de qualité dans le transport routier de marchandises est très marginalisée et faible. Ce secteur est dominé par des microentreprises non structurées sur les plans financier et commercial. Ces entreprises n’investissent pas et ne respectent souvent pas la réglementation en vigueur.
Le transport routier rapide et fiable est le fait d’un très petit nombre d’entreprises. Les opérateurs logistiques qui veulent s’installer en Tunisie peinent à trouver des entreprises suffisamment fiables pour sous-traiter les opérations de transport et doivent investir et contrôler eux-mêmes cette partie de la chaîne. La mise à niveau du secteur s’impose et ce changement impliquerait une intervention des pouvoirs publics et des opérateurs privés.
Le faible développement des prestataires logistiques et le manque de sensibilisation à l’importance de la logistique parmi les entreprises tunisiennes ne contribuent pas à l’émergence de ces services. Seulement une poignée d’entreprises proposent des services logistiques liés au transport. L’offre de conseil en logistique est quasiment inexistante.
Les entreprises tunisiennes ont généralement peu intégré la démarche de la gestion logistique optimisée, considérée comme un facteur important de compétitivité. Pourtant, beaucoup doivent répondre rapidement à des défis importants.
Pour s’adapter à l’évolution des donneurs d’ordre et ainsi passer de sous-traitant à cotraitant, les entreprises, notamment dans le domaine de l’industrie de la mécanique et électrique, doivent intégrer de nouvelles fonctions logistiques, notamment dans la chaîne en amont de la production.
Les contraintes globales au développement des activités logistiques tiennent à des causes comme l’accès au foncier pour les zones d’activité logistiques ou bien à l’environnement fiscal ou réglementaire. Les zones d’activité logistiques, répondant aux normes européennes ou américaines, devraient être l’un des objectifs des autorités tunisiennes car ces installations ont largement permis de diviser les coûts logistiques par deux aux Etats-Unis au cours des deux dernières décennies.
Enfin, l’offre de formation est mal calibrée aux besoins des entreprises, notamment en ce qui concerne les fonctions spécialisées de la logistique.
Port de Radès : coûts et délais constituent des handicaps sérieux
A l’exportation, les coûts et délais du passage du port de Radès sont des handicaps sérieux. Le coût de la traversée maritime est surtout un handicap majeur pour le transport international routier. Ceci s’explique par l’addition de trois postes quasiment équivalents: des coûts de surestarie très élevés au port de Radès qui s’élèvent à environ 300 millions USD/an, des coûts additionnels liés à la longévité de la durée d’enlèvement et un coût du passage maritime plutôt élevé en dépit de l’introduction de concurrence dans quelques services maritimes.
A l’importation, les coûts et délais liés au passage portuaire à Radès restent trop élevés. Pour un conteneur, le coût du passage portuaire y est l’un des plus élevés de la Méditerranée et est bien supérieur aux tarifs pratiqués en Europe.
A l’importation au port de Radès, il faut plusieurs jours entre l’arrivée de la marchandise et sa sortie, dépassant de loin ce qui se passe dans les autres ports de la région de la Méditerranée.
Ces délais sont imputables à de nombreux facteurs, dont par exemple un manque de coopération entre les acteurs, notamment l’absence d’une culture de facilitation portuaire. La mise en œuvre des procédures est relativement lourde, la gestion de l’information pas assez efficace et les technologies de l’information peu utilisées. Plus que l’infrastructure, ces problèmes organisationnels sont la raison derrière l’encombrement des conteneurs au port de Radès.
Le transport routier international est particulièrement vulnérable aux activités illégales. C’est un sujet majeur d’inquiétude pour les opérateurs de transport et les investisseurs internationaux. Il n’existe pas d’aires de stationnement sécurisées à l’approche des ports de la Tunisie.
En outre, la sûreté des ports doit être substantiellement renforcée pour aller au-delà du respect des normes internationales ISPS et faire face aux contraintes spécifiques en Tunisie.
Pour un plan d’action ambitieux
La réussite de la transition de la Tunisie vers une logistique moderne passe par la réalisation de deux grands objectifs précités :
- L’amélioration de la logistique extérieure de la Tunisie, notamment dans sa relation avec l’Union européenne et l’Asie.
- Le développement de la logistique comme vecteur d’activité en Tunisie, à la fois au travers du développement de nouveaux services, mais aussi par la diffusion d’attitudes et pratiques modernes dans les entreprises tunisiennes exportatrices ainsi que celles qui produisent pour le marché local.
Il faut noter qu’il s’agit d’un sujet transversal qui recoupe beaucoup de thèmes d’interventions qui, le plus souvent, relèvent de champs d’action partagés entre le secteur public et le secteur privé. Le développement de la logistique ne pourra se réaliser sans la mise en œuvre d’une coopération entre l’Etat, les entreprises et les organismes spécialisés dans le développement économique ou la formation.
Pour tirer pleinement profit du potentiel d’amélioration lié à une meilleure logistique en Tunisie, une coopération tripartite entre l’Etat, le secteur privé et les organismes spécialisés dans le développement économique ou la formation est nécessaire.
L’intérêt porté par les organisations professionnelles, pour la logistique, justifie d’engager un tel projet. Son intérêt est d’avoir un caractère contractuel et d’identifier précisément les responsabilités de mise en œuvre des actions qui composent le projet.
Un facteur clé de la réussite du plan d’action sera la capacité à vraiment impliquer les entreprises directement concernées par les mesures. C’est vrai non seulement pour la définition des actions mais aussi leur mise en œuvre.
Etre à l’écoute des opérateurs est également fondamental pour la mesure des résultats et la capacité à faire évoluer les actions proposées dans le domaine des services publics. C’est pourquoi le pilotage du plan d’action devra être épaulé par une capacité de collecte d’indicateurs auprès du public et du privé sous forme d’enquête d’utilisateurs de ces services par exemple, mais surtout suivies par des mesures et des actions correctives.
La coopération pourrait comporter trois axes principaux:
- Une structure de pilotage privée-publique dont la fonction serait de mobiliser les acteurs, superviser la mise en œuvre des projets confiés aux chefs de file compétents, et mesurer les résultats. Un projet de création d’une Agence de Promotion de la Logistique et d’un Observatoire National de la Logistique a été préparé en 2014 et peine à voir le jour.
- Des projets visant à accompagner les grandes réformes en Tunisie telles que celles des ports, du foncier, du transport routier, du transport ferroviaire et aérien, de la législation…
- Des initiatives ayant un caractère transversal destinées à développer la logistique en Tunisie, à la fois au travers de nouveaux services mais aussi par la diffusion d’attitudes et pratiques modernes dans les entreprises tunisiennes.
BH + WMC