Le ministre de l’Agriculture, des Ressources hydrauliques et de la Pêche, Samir Taïeb, vient de créer l’événement en suspendant, pour une durée de 6 mois, toute importation de Turquie des graines de tournesol, ces fameuses “glibettes blanches” dont certaines de nos ménagères oisives sont particulièrement friandes.
Officiellement, cette mesure vise à remédier aux problèmes des cultivateurs de glibettes (graines de tournesol noires) dans le nord-ouest du pays, qui déplorent des pertes dues à l’importation des graines de tournesol blanches de Turquie.
Nos agriculteurs avaient manifesté leur ire en observant, en mars 2016, un sit-in spectaculaire devant le siège de l’Union régionale de l’agriculture et de la pêche à Béja. Selon le ministre, quelque 60.000 emplois dans ce secteur sont menacés de chômage.
Pour l’heure, la durée de la suspension est limitée à 6 mois, mais elle pourrait être renouvelée en tenant compte de l’évolution de la situation du secteur.
Mieux, un cahier des charges sera mis en place par les autorités pour réglementer l’importation de ce produit, qui porte préjudice aux producteurs locaux.
Cette mesure ne manque pas d’enjeux dans la mesure où elle vient remettre partiellement en cause l’accord de libre-échange conclu, en octobre 2013, au temps de la Troïka, entre la Tunisie et la Turquie en matière agricole et agro-industrielle.
Remise en question de l’accord de libre-échange tuniso-turc
A l’époque, cet accord avait été fortement critiqué. Les agriculteurs tunisiens, encore fragiles, n’y avaient vu aucun avantage pour la Tunisie. Pis, ils y avaient non seulement perçu un risque de marginalisation et de fragilisation des entreprises agro-industrielles locales, mais aussi une concurrence déloyale, une inondation du marché local par des produits turcs, et surtout, des sorties de devises inutiles pour importer des produits disponibles dans le pays, comme c’est le cas ici pour les graines de tourne sol.
Mais au temps du diktat du parti Ennahdha, personne ne pouvait le faire revenir sur cette décision tant elle relevait pour lui de la géostratégie en ce sens où elle consacrait le rapprochement souhaité de “l’émirat de Tunisie” avec l’Empire ottoman (Turquie) du sultan Recep Tayyip Erdogan et de son parti, Justice et du développement (AKP).
Avec la suspension de l’importation des glibettes blanches de Turquie et cette remise en question de l’accord de libre-échange des produits agricoles et agroalimentaires, Samir Taïeb -ministre de sensibilité de gauche hors portée des lobbies d’importateurs- vient de donner l’exemple et d’ouvrir la voie à tous ceux qui hésitent encore -particulièrement le département du Commerce et d’Industrie (détenu par un Nahdhaoui)- à interdire les importations de produits superflus sous prétexte que la Tunisie avait signé des conventions de libre-échange aux termes desquelles notre pays ne peut plus fermer son marché aux produits extérieurs.
Cependant, les conventions internationales en matière de commerce ne sont pas aussi rigides que ça. En effet, elles prévoient, au cas où des secteurs économiques rencontrent de sérieuses difficultés -le cas ici pour la production des graines de tourne sol- des mesures pour les protéger contre la concurrence déloyale.
Impératif d’appliquer les clauses de sauvegarde pour d’autres produits
Ainsi, les conventions conclues par la Tunisie avec l’Union européenne et surtout avec l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ne sont pas aussi contraignantes comme le laissent croire nos officiels qui couvrent les malfrats de l’importation.
L’article XIX du GATT prévoit, effectivement, ce qu’on appelle des “clauses de sauvegarde“ dont aucun responsable de ce pays ne daigne en parler parce que de telles révélations ne servent pas les intérêts des lobbies en place et de la mafia politico-financière qui règne dans le pays.
Selon ces mesures de sauvegarde autorisées, «un pays membre de l’OMC peut prendre une mesure de “sauvegarde” (c’est-à-dire restreindre temporairement les importations d’un produit, le cas des graines de tourne sol) pour protéger son marché ou une branche de production nationale donnée contre un accroissement des importations d’un produit qui cause ou menace de causer un dommage grave à ladite branche de production».
Mieux, les gouvernements confrontés à des déficits aigus de la balance commerciale peuvent adopter des mesures de sauvegarde provisoires sur une période allant jusqu’à 200 jours (plus de six mois). «Dans des circonstances critiques, lit-on dans l’article XIX du GATT, où tout retard d’application des mesures de sauvegarde causerait un tort qu’il serait difficile de réparer, un pays Membre de l’OMC pourra prendre une mesure de sauvegarde provisoire après qu’il aura été déterminé à titre préliminaire qu’il existe des éléments de preuve manifestes selon lesquels un accroissement des importations a causé ou menace de causer un dommage grave».
Cela pour dire que des solutions existent aux fins de réduire le déficit courant estimé actuellement à plus de 8% du PIB et pour dégager de précieuses ressources en devises pour le pays; des ressources qui peuvent contribuer à sortir le pays de la crise des finances publiques dans lesquelles il se débat actuellement.
Ce que le ministère de l’Agriculture a fait pour l’interdiction de l’importation des graines de tournesol de Turquie peut être dupliqué pour interdire l’importation d’autres produits superflus et ayant leurs similaires en Tunisie. A titre indicatif, il y a lieu de citer le prêt-à-porter, les chaussures…