Qui aurait pensé que Moncef Sellami, Fondateur du Groupe One Tech, l’un des plus importants en Tunisie, s’intéresserait de nouveau à la politique et intégrerait Nidaa Tounes? Il s’était totalement déconnecté de toute activité politique depuis 1962 après avoir milité au sein de l’UGET pour se consacrer à l’économie.
Moncef Sellami reprend du service “politique”, animé peut-être par sa détermination à préserver une Tunisie républicaine, progressiste et tolérante pour ses petits-enfants et les générations futures? Défendre un modèle socioéconomique qui l’a vu naître, grandir et prospérer? Ou encore mettre sa petite pierre à l’édifice d’une nouvelle Tunisie décidée à se remettre des blessures du passé pour construire un avenir meilleur.
Malheureusement, l’euphorie de la création d’un grand parti a vite fait place à la déception. Nidaa Tounes ne fut pas de tout repos ! Trop de compromissions, trop de guéguerres, trop de corruption et trop de trafic d’influence. Le membre du Bureau politique n’abandonne pas pour autant.
Reconstruire le parti, oui, mais sans se compromettre. Dépasser les rivalités et les litiges, bien sûr, mais en préservant les valeurs, la morale et l’éthique.
Entretien en deux tons avec un monsieur qui porte deux casquettes : celle de l’un des architectes du parti Nidaa Tounes, élu député, et celle d’un opérateur économique qui estime que la Tunisie peut avancer si seulement l’amour du pays et la valeur travail reviennent aux devants de la scène économique et politique de notre mère patrie.
J’ai participé activement au démarrage de Nidaa Tounes et je considère personnellement que l’une des réunions les plus importantes de ce parti était celle de Sfax
Lors du tout dernier entretien accordé par le président de la République à une chaîne de télévision privée dans notre pays, il avait répliqué, lorsqu’on lui avait cité votre nom et ce bien entendu suite à la grande rencontre, organisée le 20 novembre dernier, au cours de laquelle vous avez été choisi pour être médiateur et œuvrer à la réunification du Nidaa, que c’est lui qui vous avait choisi en tant que membre du bureau politique, signifiant par là même une certaine amitié envers vous. Pensez-vous pouvoir introduire une nouvelle dynamique dans le Nidaa Tounes ?
Je me suis engagé dans le parti bien avant sa création. J’ai participé activement au démarrage de Nidaa Tounes et je considère personnellement que l’une des réunions les plus importantes de ce parti était celle de Sfax, j’y ai participé de manière active. Il avait eu lieu en avril 2014 et ce fut le véritable lancement.
Manque de chance, le jour d’après, ses difficultés ont commencé. Nous espérions que Nidaa figure parmi les partis les plus importants sur la scène politique nationale. Je me rappelle avoir dit à l’époque à Monsieur Béji Caïd Essebsi : “nous avons gagné une partie, celle de la construction d’un grand parti, maintenant, il s’agit de maintenir le cap et de suivre la bonne direction”.
Lorsque que j’ai vu les vents des désaccords le secouer, j’ai préféré rester en marge des rivalités et je voulais surtout éviter les conflits d’intérêts. Je suis resté membre du comité économique et avec les responsables de ce comité qui avaient gelé leur adhésion ou présenté leur démission, nous avons été à l’origine de la création du groupe des 57.
Au Nidaa, il y a des éléments valables qui ont refusé les polémiques, qui y croient encore et qui continuent à vouloir le reconstruire et le réunifier
L’initiative était très positive dans le sens où notre objectif était d’œuvrer ensemble à resserrer les rangs du parti. Nous avons contacté la direction du Nidaa pour la rassurer et l’assurer de notre prédisposition à faire ce qu’il faut pour renforcer le Nidaa et l’unir autour d’un projet. Notre atout principal était que nous sommes désintéressés du pouvoir et que nous ne voulons pas entrer dans le jeu d’intérêt et les petites combines qui s’y tramaient.
Nous avons observé une posture de neutralité et nous ne nous sommes prononcés ni pour un camp ni pour un autre. Nous avons essayé autant que possible de rentrer en contact avec les premiers responsables de notre parti. Nous n’avons trouvé, malheureusement, aucun écho.
L’initiative des 57 est restée en berne quoique nous continuions à nous réunir pour discuter et débattre des affaires du parti parce que nous espérons changer les donnes et parce que nous pensons que le groupe regorge de compétences et de patriotes malgré toutes les défaillances. Au Nidaa, il y a des éléments valables qui ont refusé les polémiques, qui y croient encore et qui continuent à vouloir le reconstruire et le réunifier.
Je considérais à l’époque que Ridha Belhadj qui était, à un certain moment, ministre directeur du cabinet présidentiel, a contribué dans une large mesure à la dislocation du Nidaa.
Pourquoi votre démarche n’a pas abouti ?
Il y a eu le congrès de Sousse au mois de juin 2016, l’initiative du président de la République pour la constitution d’un gouvernement d’union nationale. J’ai personnellement été chargé par Nidaa Tounes de l’élaboration du document. Le processus a été couronné par le fameux Accord de Carthage, et le document a été présenté par Hafedh Caïd Essebsi en tant que 1er responsable à Nidaa Tounes.
J’ai essayé par tous les moyens de sauver le parti depuis sa naissance même avec Hafedh Caïd Essebsi, à telle enseigne que lorsqu’il y a eu la nomination de Ridha Belhadj, comme président du comité politique du Nidaa, j’ai rompu mes relations avec le parti, et j’ai boycotté les réunions. Je considérais à l’époque que Ridha Belhadj qui était, à un certain moment, ministre directeur du cabinet présidentiel, a contribué dans une large mesure à la dislocation du Nidaa. C’est lui qui avait soutenu H.C.E, et c’est là où j’ai eu un heurt important avec lui.
Cela avait démarré lors du rendez-vous de Djerba que j’ai co-organisé moi-même. Je considérais que Ridha Belhaj ne peut en aucune manière contribuer à la solution puisqu’il fait partie lui-même du problème…
N’est-il pas temps de déterminer les responsabilités des uns et des autres dans l’émiettement du parti ?
Je pense qu’il est temps de faire une nouvelle lecture de tous les événements qui ont marqué la formation du parti et les différentes péripéties par lesquelles il est passé. Ridha Belhadj a fait son autocritique dimanche 20 novembre à une réunion où plus de mille personnes étaient présentes. Parmi l’assistance, les délégués, qui ont contribué largement à la création et au rayonnement de Nidaa Tounes, n’ont pas manqué de le critiquer. Ridha Belhadj s’est incliné et a dit qu’il assume une partie de la crise du Nidaa. Il a expliqué que le contexte était différent et a présenté ses excuses à l’assistance.
Suite à ce rassemblement, somme toute important, je suis revenu au comité politique et j’ai discuté avec Hafedh Caïd Essebsi, directeur exécutif du parti. Il est d’ailleurs venu ici même à mon bureau. Je me suis entretenu avec lui et je lui ai dit qu’il était temps d’instaurer une démocratie au sein du parti en procédant à une plus grande ouverture sur les bases et les futurs adhérents et pour assurer sa pérennité et sa continuité.
Tenez-vous bien, le comité politique s’est réuni une seule fois avant la constitution du gouvernement Chahed pour lui proposer 55 candidatures. Par contre, nous n’avons pas convenu du comment soutenir ce gouvernement, et de notre apport en tant que parti majoritaire à un gouvernement d’union nationale.
Il n’y a aucun projet politique à Nidaa Tounes actuellement. Les dirigeants n’ont que des intérêts personnels et chacun défend ses intérêts, c’est tout.
Youssef Chahed a besoin d’un soutien sans limites, aussi bien populaire qu’au sein de l’ARP, les partis et l’establishment politico-économique. J’ai pendant un moment espéré que Hafedh Caïd Essebsi allait profiter de nos conseils et de la participation de nombre de Nidaistes venus de partout et être mieux disposé à élargir les horizons du parti. Cela fait près de 4 mois que le comité politique ne s’était pas réuni. Et beaucoup de cadres du parti avaient appelé à une réunion.
Le 18 septembre 2016, le comité exécutif s’était réuni et un communiqué, le moins qu’on puisse dire surprenant, a été lu par Mme Ons Hattab. On y annonce que le comité politique a été constitué comme suit : Youssef Chahed, président, et certains ministres en tant que membres. Soit une recomposition complète du BE. Nous n’avons pas été consultés et le chef du gouvernement a été mis en difficultés.
L’ouverture préconisée par Hafedh Caïd Essebsi pour notre parti n’était pas adéquate avec notre propre conception. Il pensait consolider sa position en désignant des ministres au CP, ce qui n’a pas été apprécié par les ministres eux-mêmes. Il espérait réunir et mobilier les bases et croyait que le fait d’impliquer les ministres du Nidaa consoliderait sa position. Hafedh n’a pas réellement été dans le sens d’une réelle ouverture du parti dans le sens démocratique du terme. J’en ai conclu que tant que Hafedh Caïd Essebsi campe sur ses positions, nous ne pouvions continuer à travailler ensemble. Les discussions à propos d’une ouverture étaient closes et que s’il reste directeur exécutif du parti, nous ne pouvions pas réunifier nos rangs ou faire avancer le parti.
Je suis convaincu qu’une grande partie des dirigeants de Nidaa Tounes s’adonne au trafic D’INFLUENCE et même la base a été touchée. Pire, la corruption s’y est propagée de manière alarmante.
En fait, comment est-ce qu’un parti sans vision et sans projet politique réel peut fonctionner? Nous avons l’impression que le Nidaa n’a été qu’une machine électorale. Aujourd’hui il est vidé de toute sa consistance et des égos s’y livrent des guerres sans merci. Qu’en pensez-vous ?
Il n’y a aucun projet politique à Nidaa Tounes actuellement. Les dirigeants n’ont que des intérêts personnels et chacun défend ses intérêts, c’est tout. Lors de nos réunions, nous ne débattions pas d’un projet sociétal, tout ce qu’on y faisait se rapportait aux nominations des responsables locaux ou nationaux.
Je suis convaincu qu’une grande partie des dirigeants de Nidaa Tounes s’adonne au trafic d’influence et même la base a été touchée. Pire, la corruption s’y est propagée de manière alarmante. C’est un fait gravissime qui menace même le bloc parlementaire du Nidaa.
Aujourd’hui, le chef du gouvernement risque de se retrouver sans une assise populaire ou parlementaire. Et c’est le grand danger. Je ne suis personnellement pas contre le fait de voir Youssef Chahed présider le bureau politique ou que certains membres du gouvernement y prennent place, ce qui me gêne est l’approche adoptée pour proposer son nom. Au contraire, j’estime que ce poste le confirmerait en tant que chef de la majorité.
Je pense finir mon mandat sans pour autant le renouveler, j’aurais bientôt 80 ans, je n’ai ni le projet de me présenter aux municipales, ni même d’occuper le sommet de Nidaa Tounes.
En quoi le fait de voir Youssef Chahed présider le comité politique peut être bénéfique pour le pays d’après vous ?
Il faut qu’il y ait un chef de la majorité. Il faut que le chef du gouvernement s’engage dans des pourparlers avec d’autres partis progressistes et démocratiques pour qu’il puisse avoir une assisse solide au sein du Parlement et pouvoir exercer ses prérogatives avec plus d’aisance. Je connais bien Youssef Chahed et je pense qu’il est dans cette logique.
Pour conforter cette idée, un groupe de personnes dont Ridha Belhaj avec lequel je n’ai aucune affinité politique, s’est présenté pour remettre de l’ordre dans le parti. Je suis conscient que chacun a des ambitions personnelles, ce qui n’est pas le cas pour moi. Je pense finir mon mandat sans pour autant le renouveler, j’aurais bientôt 80 ans, je n’ai ni le projet de me présenter aux municipales, ni même d’occuper le sommet de Nidaa Tounes. C’est simple, le parti ne peut m’intéresser que dans la mesure où je peux y être d’un apport positif.
Le groupe de Nidaistes dont fait partie Ridha Belhaj a pour objectif de réunifier les rangs du parti. Cela peut susciter des doutes chez nombre de personnes parce que ce monsieur a participé à son éparpillement mais j’ai voulu être constructif, je les ai écoutés et j’ai essayé de modérer leurs positions. D’ailleurs le communiqué final de la journée du 20 novembre le prouvait.
Ce que je ne saisis pas est que le président de la République n’ait pas pris en considération ces mains tendues et n’a pas réagi positivement à cette initiative. Peut-être qu’il n’apprécie pas certaines personnes parmi celles qui ont organisé cette rencontre. Nous aurions peut-être pu discuter et savoir si nous devions écarter quelques-unes d’entre elles, l’essentiel était de faire redémarrer le processus de réunification et de réédification du parti.
C’est Nidaa qui a contribué à son élection à la présidence, c’est ce parti-là qui nous a permis de gagner une majorité à l’ARP
Le président de la République a déclaré à maintes reprises s’être retiré du Nidaa après son élection et vouloir observer une posture de neutralité par rapport aux querelles intestines du parti dont il a été le fondateur…
Nous ne nous adressons pas à Béji Caïd Essebsi en tant que président de la République. Nous savons parfaitement qu’il doit se tenir à égale distance vis-à-vis de tous. Nous comprenons que l’investiture suprême exige de la hauteur par rapport à tout le monde. Nous l’avons interpellé plutôt en tant que président d’honneur et fondateur de Nidaa Tounes.
si je renvoie mon fils je renvoie tout le monde
Dans le monde entier, il y a des hommes politiques qui arrivent au pouvoir mais qui restent quand même attachés à leurs partis. C’est Nidaa qui a contribué à son élection à la présidence, c’est ce parti-là qui nous a permis de gagner une majorité à l’ARP avec 86 députés et qui a contribué à donner une majorité à Béji Caïd Essebsi pour qu’il puisse constituer le gouvernement.
J’avais espéré que lors de l’entretien qui a eu lieu le 21 novembre le président d’honneur du Nidaa donne une note positive pour raccorder le violon du parti qu’il a fondé.
Malheureusement, il a dit “si je renvoie mon fils je renvoie tout le monde”. Je pense qu’il se désintéresse totalement du parti. Est-ce que c’est une bonne chose ? Bien sûr que non !
Ce qui est pourtant extraordinaire est que quand nous avons commencé notre tournée pour le rassemblement du 20 novembre, nous nous sommes réunis avec les cadres du parti qui ont participé de manière active à sa création et ils ont applaudi, ils croient encore en leur parti. Le message était positif et lorsque vous voyez ce que disent les sondages même si avec ce qui ce passe de par le monde, nous ne pouvons plus les considérer comme fiables à 100%, c’est paradoxal mais le Nidaa, malgré ses problèmes, occupe toujours la première place.
réglez vos différents au sommet et nous serons là pour reprendre du service.
Il n’empêche la machine Nidaa est assez mal gérée…
Le drame est que la machine existe, que les bonnes volontés sont là pour soutenir le parti mais nos bases nous disent : “réglez vos différents au sommet et nous serons là pour reprendre du service”.
J’ai dit clairement à HCE : “aujourd’hui le pays passe par une phase très difficile, le parti aussi, est-ce que vous êtes prêt à en parler et négocier pour y mettre de l’ordre dans l’intérêt du pays ? Il m’a rétorqué oui. J’ai pris sa réponse pour argent comptant
Comment voyez-vous votre rôle après avoir été choisi pour assurer le rôle de médiateur après l’entretien du président mardi 22 novembre et la réunion du Directeur exécutif du parti lundi 21?
Je pense qu’il est impératif d’instaurer un dialogue. Ridha Belhaj, Nacer Frikha et moi sommes réunis mercredi 15 novembre à l’Acropole, avec Ons Hattab, Hafedh Caïd Essebsi et Soufiane Toubel. J’ai dit clairement à HCE : “aujourd’hui le pays passe par une phase très difficile, le parti aussi, est-ce que vous êtes prêts à en parler et négocier pour y mettre de l’ordre dans l’intérêt du pays ?” Il m’a rétorqué oui. J’ai pris sa réponse pour argent comptant sans entrer dans les détails. Ce que je voulais était un accord de principe d’abord. A partir de ce moment-là, le comité de sauvetage m’a proposé d’être le président du comité de médiation, j’ai approuvé et c’est ce qui explique le communiqué modéré du dimanche 20 novembre qui préparait largement le terrain pour une mobilisation réelle autour de Nidaa Tounes.
Ne pensez-vous pas qu’il est temps pour que les jeunes prennent la relève au sein du parti et décident de son avenir ? Un chef de gouvernement de 41 ans qui dirige le pays n’est-ce pas un signal fort appelant tous les partis politiques à donner aux jeunes et aux femmes leurs chances ?
Personnellement, j’en suis convaincu. Je le pense et je l’ai dit dans mon discours du vendredi. J’ai parlé des jeunes et des femmes, parce que je pense que les électeurs et les électrices, en majorité étaient des femmes. Ces femmes ne se retrouvent plus dans le paysage politique du pays, les jeunes non plus ! Personne ne se retrouve dans le Nidaa actuel, parce qu’il y a tout le temps des guéguerres entre des personnes parachutées par je ne sais qui.
Aujourd’hui, il faut absolument que les femmes et les jeunes prennent les choses en main. Il faut que nous les incluions dans la direction et dans les affaires du parti. Si nous réussissons cela, c’est déjà un grand pas en avant. Il faut se projeter dans l’avenir et y projeter nos jeunes militants.
Les portes restent toujours ouvertes pour qu’avec Hafedh Caïd Essebsi, qui reste quand même le directeur exécutif du Nidaa, vous puissiez identifier des pistes de sortie de crise ?
Les portes sont toujours ouvertes, et nous tenons à ce que cette population qui a largement contribué à la réussite de Nidaa Tounes soit là et en première ligne. Nous sommes prêts à négocier avec tous les membres du BP, HCE en premier, et tous ceux et celles qui se sentent concernés par l’instauration d’un dialogue pour la réunification et la reconstitution de Nidaa Tounes pour le bien de la Tunisie.
Entretien conduit par Amel Belhadj Ali