Une interview en deux tons et une deuxième partie consacrée à l’économie. Aucune transition démocratique ne peut résister à l’effondrement économique. Moncef Sellami opérateur privé depuis les années 70 et aujourd’hui député en est conscient. Entretien.
M.Sellami, on prétend que la phase politique est en train d’être supplanté et ce malgré tous les problèmes dont vous venez de me parler et qui concernent Nidaa Tounes. Ne trouvez-vous pas qu’il est important en tant que député de faire en sorte que l’économie occupe une place prépondérante au cœur de l’ARP ?
Je suis membre de la commission des finances et bien entendu, nous avons examiné ensemble le budget de l’Etat pour 2017. Ce qui m’inquiète en matière d’économie dans notre pays, est que nous faisons constamment des constats mais nous ne prenons pas de décisions. Il faut reconnaître que la loi des finances 2017 a été élaborée dans la précipitation. J’estime qu’il va falloir l’adopter pour l’instant pour ne pas bloquer le pays.
A partir du mois de janvier 2017, des négociations doivent être lancées et un dialogue général concernant la situation économique en Tunisie, doit impérativement démarrer.
Pour revenir au politique, j’aimerais juste préciser de nouveau que pour moi, une cohésion au niveau de Nidaa Tounes et un parti fort auraient pu jouer un rôle important dans la stabilité sociopolitique du pays. Il fallait réconcilier les Tunisiens avec eux-mêmes, avec l’establishment politique et avec l’Etat et le gouvernement. C’est seulement de cette manière que la conférence internationale 20/20, peut donner ses fruits mais pas sous forme de promesses seulement mais des réalisations concrètes pour faire sortir le pays de son marasme.
Payons nos impôts, à commencer par les députés eux-mêmes, je ne vois aucun député en train de payer ses impôts pour donne l’exemple.
Comment pouvoir sortir un pays de son marasme lorsque dès que vous touchez à une profession, on vous rétorque pourquoi moi et pas les autres ? Les avocats refusent de se plier à la nouvelle loi des Finances, les médecins et d’autres…
Malheureusement, le corporatisme bat son plein dans notre pays et pose un véritable problème. A ceux qui scandent le slogan du patriotisme à tout bout de champ, je dis : «Payez vos impôts et discutons après. Je pense que le gouvernement, tous les gouvernements, n’ont jamais pris au sérieux le dossier de la réforme fiscale, pour amener les gens à payer leurs impôts.
Il y a toute une préparation, une stratégie, une culture à instaurer. Et jusqu’à ce jour, rien n’a été fait dans ce sens. Payons nos impôts, à commencer par les députés eux-mêmes, je ne vois aucun député en train de payer ses impôts pour donne l’exemple.
Au mois d’octobre dernier, je suis allé les voir et j’ai présenté mon bulletin d’impôts pour leur dire justement, commencez vous-même par payer vos impôts, donnez l’exemple. Cette logique du «ne me touchez pas commencez par l’autre n’avance en rien le pays».
On a augmenté, à titre exceptionnel, les impôts sur les entreprises de 7%. C’est positif. Je ne suis pas non plus contre la levée du secret bancaire. Il faut commencer quelque part, nous ne pouvons pas à chaque fois nous jeter la pierre les uns les autres. Il faut aussi pourvoir l’Etat en ressources financières, tout comme nous n’avons plus le droit de taire certaines vérités au peuple et à commencer par la situation catastrophiques des entreprises publiques. Celles qui sont structurellement déficitaires et qui pompent de l’argent auprès du contribuable.
Il est impératif d’oser dire les vérités haut et fort. Certaines entreprises publiques sont structurellement déficitaires et en tant que contribuables, nous donnons un argent fou pour que ces entreprises, au lieu de se remettre, continuent à être déficitaires. Quel mal y a-t-il à ouvrir le capital de ces entreprises ou de les vendre si on peut les rentabiliser, préserver les postes d’emplois et les rendre plus compétitives ?
Des entreprises comme Al Fouledh, ou la SIAP à Sfax, sont pratiquement en faillite. Bon si on ferme leurs portes, les employés vont se trouver en chômage. Donc, il faut trouver des solutions viables pour ces sociétés. Mais le malheur, aujourd’hui dans notre pays est que personne ne propose de véritables solutions. La devise régnante est «Akhta rassi we Adhrab» (Après moi le déluge) c’est vraiment malheureux.
J’appelle Youssef Chahed à assumer ses responsabilités, à être courageux et nous serons là pour le soutenir et concéder les sacrifices nécessaires.
Quelle posture doit observer le gouvernement Youssef Chahed face à ce genre de situation ?
Personnellement, je soutiens totalement le gouvernement Chahed. Je l’encourage à entamer au plus tôt la réforme du système fiscal, et récupérer les dus de l’Etat.
Comment admettre que la régie du tabac soit manipulée par nombre d’individus, disons-le des contrebandiers. Comment tolérer que 50% de notre économie se fasse dans le circuit parallèle. J’appelle Youssef Chahed à assumer ses responsabilités, à être courageux et nous serons là pour le soutenir et concéder les sacrifices nécessaires. Personnellement, je ne pense plus à moi et même pas à mes enfants. Ils sont grands et mariés mais plutôt à mes petits-enfants. Je crois en la Tunisie et je suis confiant en une grande partie de nos compatriotes prêts à faire des sacrifices dans l’intérêt général du pays à condition qu’il y trouve de l’intérêt et de s’assurer de sa stabilité.
Un message à ce gouvernement d’union nationale, APPLIQUEZ LA LOI ! Nous ne sommes pas en train d’appliquer la loi.
Comment y arriver ? Il y a un grand problème de croissance qui ne sera pas résolu que par les investissements espérés ou attendus ?
Pour la croissance, c’est simple, il faut travailler. Il faut bien que la Tunisie se remette au travail. Aujourd’hui, les gens ne veulent plus travailler, le Tunisien veut être un assisté et c’est malheureux. Alors un message à ce gouvernement d’union nationale, APPLIQUEZ LA LOI ! Nous ne sommes pas en train d’appliquer la loi. D’énormes efforts doivent être déployés de la part des opérateurs économiques, de la part de l’ensemble des travailleurs qu’ils soient commerçants, industriels, artisans ou ouvriers mais le plus gros du travail revient au gouvernement.
Le climat délétère qu’on a instauré dans le pays ces dernières années et caractérisé par la lutte des classes est très mauvais pour le pays. Il y a même des députés qui disent que les hommes d’affaires n’ont pas le droit d’être à l’assemblée. Pourquoi, nous ne sommes pas des Tunisiens? Nous ne créons pas des richesses? Nous ne participons pas à la croissance économique? Nous n’employons pas nos compatriotes?
Les députés, eux, baissent les impôts du «Tiercé» de 25 à 15% !
Avez-vous défendu vos positions à l’ARP ?
En ce qui me concerne et convaincu que la Tunisie ne peut se mettre debout sans le développement de l’exportation. Car comme vous le savez notre marché est exigu et ne peut absorber tout ce que produit l’activité industrielle, il ne peut pas non plus employer tous les diplômés du Supérieur si on n’encourage pas les entreprises exportatrices.
Figurez-vous que lorsque j’ai défendu le principe de ne pas imposer une taxe sur les bénéfices aux sociétés exportatrices, j’ai été critiqué avec virulence. Et du coup, nous avons décidé au sein de la commission qu’à chaque fois qu’il y a risque de «conflits d’intérêts», le député concerné n’intervient pas. Et quoi encore ! Et pourtant ceux qui ont désapprouvé mon opinion n’ont pas condamné la réduction des impôts sur les jeux du hasard dont le «Tiercé» ! Insensé ! Lorsque l’on sait que des familles sont en ruine à cause des courses de chevaux.
Les députés, eux, baissent les impôts du «Tiercé» de 25 à 15% !
On attend de l’UGTT un discours mûr et responsable qui encourage ses adhérents à travailler et produire tout en défendant leurs intérêts
Et pour ce qui est de la loi des Finances dans son ensemble ?
Je pense que c’est une loi élaborée à la va vite, sans vision. Mais de toutes les manières, il faut aujourd’hui que tous les Tunisiens se remettent au travail. Je ne pense pas que les entreprises ne veuillent pas augmenter les salaires s’il y de la productivité, un travail sérieux et un engagement pour le bien de l’entreprise, ce qui bénéficie aux uns et aux autres.
Personnellement, j’encourage l’employé qui produit et qui me fait gagner de l’argent. Quand c’est le cas, il gagne en retour. Dans le discours de l’UGTT, on n’entend pas parler de productivité ou d’encouragement au travail. C’est ce que nous espérons d’une institution historique qui a participé à l’édification du pays, un discours mûr et responsable qui encourage ses adhérents à travailler et produire tout en défendant leurs intérêts. Quoi de plus logique ? Et à ce moment-là, je l’écouterais et nous pourrons travailler ensemble pour le bien du pays.
il faut savoir qu’un chef d’entreprise ne peut pas diriger une machine aussi compliquée qu’une entreprise sans appliquer une politique sociale participative.
C’est le cas dans vos entreprises ?
Effectivement, c’est ma politique. Je dis à mes employés : travaillez et produisez et vous en récolterez les bénéfices. Et ça marche très bien. Tout le monde est content et satisfait. J’ai même fait profiter les travailleurs des actions des entreprises Sellami. Je leur ai expliqué qu’une partie ira à l’augmentation du capital, une autre aux bénéfices et une troisième vous appartient, et cela marche parfaitement. Il faut savoir qu’un chef d’entreprise ne peut pas diriger une machine aussi compliquée qu’une entreprise sans appliquer une politique sociale participative. Comme c’est le cas de Hafedh Caïd Essebssi qui veut diriger un parti sans la participation des composantes de ce parti, ou sans impliquer les autres.
Comment rassurer les Tunisiens et se projeter dans l’avenir de notre pays, d’après vous ?
En ayant une vision et un projet qui nous rassemble. La réalité tunisienne est celle aussi de Nidaa Tounes. Tout le monde sait que Béja Caïd Essebssi ne se représente pas aux prochaines élections. Chaque politicien ambitieux est en train de «chauffer sa campagne présidentielle» ou de se préparer aux élections de 2019 et de l’après BCE si vous préférez. Personne ne pense à la Tunisie ou au parti auquel il a appartenu. Les partis politiques ne sont pas concernés par l’avenir du pays, ce sont des égos maladifs qui se disputent le gâteau, des intérêts et des ambitions personnelles sans limites. Comment gérer tout cela. C’est la véritable question.
Nous traversons une grande crise morale et éthique. C’est normal après 23 ans de dictature et l’absence d’un leadership politique réel. Il faut du temps pour que la Tunisie guérisse de tous ses maux causés par un passé proche et un présent tumultueux conjugués à des médias qui exercent une liberté de presse débridée, un Etat qui ne sait pas appliquer la loi et imposer les limites qu’il faut. Le fait est que le pays a besoin que chacun soit prêt à sacrifier un peu de lui-même. Il y a des étapes à franchir et au moins une génération à sacrifier.
Entretien conduit par Amel Belhadj Ali