S’il est des défaillances commises par tous les gouvernements qui ont succédé au soulèvement du 14 janvier 2011, ce sont bien celles de ne pas avoir su profiter de l’expertise des compétences des hommes et femmes d’Etat qui géraient les affaires du pays malgré toutes les erreurs politiques ou de gouvernance.
Pendant près de 6 ans, on s’est acharné à tort plus qu’à raison à dénigrer les compétences pour pouvoir les remplacer par des amnistiés promus directeurs et directeurs généraux dans des ministères importants ou par des hauts commis de l’Etat parachutés dans des postes clé parce qu’ils ont juré allégeance à leur parti plutôt qu’à la Tunisie.
Pendant longtemps, on a reproché au RCD d’avoir mis ses hommes aux postes importants. Au moins parmi eux, il y en avait beaucoup qui maîtrisaient les rouages de l’Administration et qui brillaient par leurs compétences.
Aujourd’hui, l’Administration tunisienne est désemparée car en perte de vitesses à plus d’un titre: des compétences écartées ou carrément radiées, et des partis et des syndicats qui y font la pluie et le beau temps.
C’est dans ce contexte que fut organisée la Conférence internationale sur l’investissement «Tunisia 2020». On aurait pu profiter du capital expertise cumulé sur des décennies pour l’organiser par des Tunisiens pour des Tunisiens comme cela se faisait du temps où c’était la FIPA qui organisait les conférences internationales sur l’investissement. Mais non, il a fallu que nous la sous-traitions. Il n’était pas dit qu’elle réussisse si ce n’est qu’elle fût sauvée in extremis par les intervenants tuniso-tunisiens.
Un brillant Fadhel Abdelkefi, ministre du Développement, de l’Investissement et de la Coopération internationale, qui a donné du tonus et de la consistance à la Conférence, et des commissaires désignés par le chef du gouvernement, dont Mourad Fradi, commissaire général, qui s’est tué à la tâche pour en assurer le succès, participant même à des road show pour convaincre les opérateurs internationaux d’être présents à Tunis.
La conférence Tunisia 2020 aurait pu être organisée après la finalisation du plan et l’adoption d’une vision économique
Nous aurions pu mieux faire, estiment nombre d’économistes, même si les signaux nous paraissent positifs, nous explique Taoufik Baccar, ancien gouverneur de la BCT et président du CEPED. «Nous avons appris à la fin de l’élaboration de chaque plan à organiser une conférence internationale sur l’investissement, mais celle organisée récemment a revêtu un caractère particulier car elle vient dans une période de grandes difficultés économiques et elle vise le retour de la Tunisie sur l’échiquier économique international. Evidemment, nous aurions aimé que cette conférence soit organisée après la finalisation du plan et l’adoption d’une vision économique et des ambitions du pays pour l’avenir, et après la promulgation des textes d’application du code des investissements».
Malgré cela, estime M. Baccar, la conférence comprend dans sa première phase des motifs de satisfaction grâce à une présence massive et de haut niveau de personnalités nationales et internationales et des dispositions à aider la Tunisie et promesses financières importantes.
Le plus important, selon lui, reste la seconde phase qui est aussi importante sinon plus que celle de la tenue de la conférence en elle-même. Il s’agit de la concrétisation réelle des promesses des investisseurs et des bailleurs de fonds. «Nous avons encore en tête les promesses faites au G8 à la conférence de Deauville ou encore plus récemment l’expérience égyptienne de Charm Echeikh où la concrétisation a été en deçà des attentes. Maintenant il va falloir actionner les outils de suivi et surtout la diplomatie économique du pays qui doit être plus active».
Les rencontres bilatérales avec les institutions et les pays qui ont affirmé leurs dispositions à aider la Tunisie et surtout élaborer les dossiers nécessaires requis pour cela doivent avoir lieu au plus tôt. Un outil de suivi auprès du gouvernement et de l’ARP doit être également mis sur pied.
Il faut faire la part des choses pour ce qui est du contenu des promesses, précise Taoufik Baccar: «il y a des accords avec des organismes avec lesquels la Tunisie a toujours travaillé (BERD, BID, BAD, FADES, BEI, FKD…). Il s’agit le plus souvent de conventions de soutien financier sous forme d’enveloppes sur quatre ou cinq ans qui intègrent une augmentation du niveau habituel de ce soutien et dont l’apport doit être apprécié à travers la mise additionnelle de ces institutions qui n’a rien à voir avec les chiffres affichés. Il y a d’autre part le soutien de certains pays ou fonds, et il y a enfin les projets d’investissement et de partenariat. En ce qui me concerne, j’accorde surtout de l’importance aux projets structurants tels que les projets d’infrastructure, de généralisation de la fibre optique ou les projets d’énergies alternatives et les projets de partenariat avec le secteur privé qui peuvent changer la réalité des choses».
Entre 2011 et 2016, la Tunisie a bénéficié de 26 milliards de dinars de ressources additionnelles provenant de l’endettement extérieur
L’essentiel du soutien attendu se traduira, toutefois, par de l’endettement, déplore le président du CEPED, la part des dons étant réduite. «Les prêts doivent être remboursés à terme et il importe de tout mettre en œuvre pour que ces ressources se traduisent par un surcroît de croissance pour éviter au pays de se trouver dans une véritable trappe financière».
Rappelons que les promesses s’élevant à un montant de 34 milliards de dinars représentent 35% du PIB de notre pays. «Imaginez un pays avec un endettement de plus de 90% du PIB et où la croissance ne suit pas. Entre 2011 et 2016, la Tunisie a bénéficié de 26 milliards de dinars de ressources additionnelles provenant de l’endettement extérieur, de 5 milliards de dinars disponibles à la fin 2010 et de près de 2 milliards de dinars provenant des produits de la vente des biens expropriés ou de la privatisation pour l’essentiel en devises, ce qui fait en tout 33 milliards de dinars, soit quasiment l’équivalent des promesses faites à la dernière conférence sans pour autant que la croissance reparte».
Est-ce qu’un gouvernement élu, légitime et permanent, pourrait changer la donne? Réponse de Taoufik Baccar: «Le pays se doit de transformer l’essai en réussissant la deuxième phase de cette conférence, celle de la concrétisation et en engageant les réformes nécessaires pour que ces ressources aient l’impact requis sur le développement du pays. L’enjeu aujourd’hui est là».
A.B.A