«A ma demande, le projet d’extension de l’aéroport de Tunis Carthage, inscrit parmi les projets qui devaient être présentés à la Conférence internationale sur l’investissement “Tunisia 2020“ a été retiré pour une raison simple. Le ministère du Transport n’a pas encore engagé les études nécessaires à la lumière desquelles il prendra la décision d’agrandir l’aéroport ou de le transférer en dehors de Tunis». C’est ce qu’a déclaré, mercredi 16 novembre, Anis Ghedira, le ministre du Transport, sur les ondes de radio Mosaique FM, en réponse à une interpellation sur cette question de l’animateur de l’émission “Midi show“, Boubaker Akacha.
Ayant déjà attiré dans un article précédent l’attention sur «les signes avant-coureurs» d’une spéculation foncière sur le site de l’aéroport (900 juteux hectares de grande qualité foncière) et sur le rôle que peuvent jouer certains médias à cette fin, je ne peux m’interdire de poser deux questions.
D’abord, sur la base de quelle logique et de quels critères, Anis Ghedira avait-il décidé une première fois d’inscrire l’agrandissement de l’aéroport sur la liste des projets vendables aux investisseurs étrangers et de le retirer, après, à une semaine de la tenue de “Tunisa 2020“?
Ensuite, sur la base de quelle décision d’un conseil interministériel -parce qu’un projet de telle dimension nécessite, en principe, le feu vert de la présidence du gouvernement- Fadhel Abdelkefi, ministre du Développement, de l’Investissement et de la Coopération internationale et responsable officiel de “Tunisia 2020“ a-t-il satisfait la requête du ministre du Transport?
Les explications fournies par le ministre du Transport au cours de cette interview accordée à radio Mosaïque sont loin d’être convaincantes. Selon lui, l’aéroport de Tunis-Carthage «ne fait plus honneur à la Tunisie» en tant que vitrine d’une destination devant accueillir, régulièrement, des touristes, des investisseurs étrangers, des VIP (diplomates et autres cols blancs…).
Et le ministre de dévoiler ses véritables intentions. Pour lui, le transfert ne va rien coûter au contribuable au regard de la qualité du titre foncier de l’aéroport qui peut être cédé au prix fort. «Le prix de sa cession pourrait financer la construction de deux autres aéroports», a estimé le journaliste-écrivain Safi Saïd qui était le premier à évoquer ce dossier sur la chaîne privée ElHiwar Ettounsi.
Plaidoyer pour l’option immobilière
Anis Ghedira a ajouté que le transfert de l’aéroport Tunis-Carthage va permettre aux promoteurs et investisseurs immobiliers des quartiers standing de La Soukra et des Berges nord du lac de Tunis de construire plus en hauteur (R+20 et plus) dans la mesure où ces immeubles à cette hauteur ne constitueront plus de risque pour l’atterrissage et le décollage des avions.
Alors, deux autres questions s’imposent.
La première: pourquoi le ministre, qui ne dispose pas encore des résultats des études qui seront faites sur l’éventualité de l’extension ou du transfert de l’aéroport, a-t-il déjà opté pour le scénario du transfert dans la mesure où il a évoqué ce qu’on peut faire du site de l’aéroport actuel une fois transféré, en l’occurrence son exploitation dans des projets immobiliers, outre son impact sur la promotion immobilière dans les quartiers environnants?
La deuxième: le ministre du Transport, qui doit en principe avoir une vision multidimensionnelle de la chose urbaine, a-t-il pensé que le site de l’aéroport, si jamais il est transféré, peut être dans le cadre d’un partenariat public/privé, soit un très bel espace vert qui constituerait un véritable poumon d’oxygène pour la capitale, soit un campus universitaire de dimension internationale à même de générer de précieuses devises pour le pays, soit des centres hospitalo-universitaires spécialisés appelés à fournir des prestations de qualité aux Tunisiens et aux étrangers?
Moralité : le ministre n’avait pas à parler de l’affectation future du site de l’aéroport d’autant plus qu’il n’est pas éternel dans ce poste et que son option pour l’exploitation du site dans l’immobilier est loin d’être défendable pour une seule raison.
Un cauchemar urbain à l’horizon
Supposons que son option soit retenue, comment peut-on imaginer la capitale avec tous les projets immobiliers en gestation: avec une ville de 250.000 riches habitants sur le site de l’aéroport, une ville de plus 50.000 riches habitants et plus à Tunis Sport City -projet immobilier que compte réaliser le magnat émirati Boukhater à quelques mètres de l’aéroport, la cite d’El Bouheira avec 500.000 riches habitants (compte tenu de son extension vers l’ouest du lac nord)- et de la Porte de la Méditerranée -future ville de 250.000 habitants du holding Sama Dubaï, Tunis sera tout simplement invivable d’autant plus que les habitants de ces nouvelles cités seront automatiquement fortunés avec comme corollaire l’encombrement de la circulation en raison du nombre faramineux des voitures que cela suppose? Aucune artère actuelle ou en projet (échangeurs, rocade X) ne peut supporter.
Cela pour dire que le transfert de l’aéroport n’est pas une simple affaire. Elle relève de la haute stratégie urbaine. Elle suppose, en priorité, des études d’impact multidimensionnelles (environnement, sécurité, esthétique, qualité de vie, citadinité…). Ces études sont urgentes d’autant plus qu’économiquement le transfert de l’aéroport ne se justifie pas actuellement.
D’une capacité théorique de 7 millions de voyageurs par an, l’aéroport de Tunis-Carthage n’a accueilli, annuellement depuis 2011, que 3 à 4 millions de voyageurs. Alors pourquoi cette précipitation?
Quant à moi, j’espère qu’il ne sera pas transféré, du moins en cette période d’incertitudes, parce que cela constituerait la porte de l’enfer.