Des agriculteurs en colère dans les localités agrumicoles de Menzel Bouzelfa et Beni Khalled ont jeté, le 14 décembre 2016, près de 5 tonnes d’oranges et de mandarines sur l’asphalte, en protestation contre la chute des prix et l’absence de marchés, alors que l’excédent de production est estimé à 200 mille tonnes d’agrumes (700 mille tonnes contre 500 mille prévus).
En plein hiver, des tonnes d’oranges, fruits reconnus comme remèdes naturels préventifs par excellence contre le rhume, ont été jetés sur la route. L’image de ces fruits aux mille vertus, jetés par terre et écrasés par les voitures passantes, a fait le buzz sur les réseaux sociaux, où les internautes ont partagé les photos et cumulé les commentaires et répliques.
“Les pauvres n’ont pas le droit à des oranges à bas prix…il vaut mieux utiliser leur jus pour nettoyer les rues”, se moque, un internaute.
Un autre défendant la réaction des agriculteurs réplique:
“ce n’est pas juste, la production des agrumes coûte les yeux de la tête, comment voulez-vous qu’ils vendent des oranges à 400 millimes le kilo?”
La réaction de ces producteurs en colère est, toutefois, beaucoup plus qu’un effet de buzz. Elle est révélatrice d’un déficit de gestion des excédents, et d’une incapacité des autorités agricoles à trouver des solutions à des problèmes structurels qui perdurent, tels que ceux de la filière du lait, estime le fondateur du Syndicat des agriculteurs de Tunisie (SYNAGRI), Leith Ben Becher.
5% seulement des jus de fruits fabriqués en Tunisie sont faits à partir de fruits locaux
Lassaad Romene, un responsable tunisien dans une société internationale d’import-export, résidant en Russie depuis 13 ans, indique avec regrets, à l’Agence TAP, “j’ai envoyé des correspondances à des structures agricoles en Tunisie, dont le Groupement interprofessionnel des fruits (GIF) à la recherche de fournisseurs tunisiens d’oranges sur le marché russe, mais ils n’ont pas donné suite à ma requête jusqu’à ce jour. Pourtant, le marché russe est capable de recevoir, en cette période proche de Noël, 30 à 40 conteneurs chargés d’oranges”.
“Au lieu d’aller chercher des fournisseurs en Turquie ou dans d’autres pays, j’ai préféré contacter mes compatriotes et je me suis même déplacé en Tunisie, mais je suis revenu bredouille”, a raconté, navré, Romene.
Ces fruits aux mille vertus, sont souvent associés à Noël en Europe et dans d’autres pays du monde, car autrefois, ils étaient offerts en cadeaux aux enfants sages.
Leith Ben Becher, fondateur du Syndicat des agriculteurs de Tunisie a affirmé qu'”en tant qu’exploitant agricole et syndicaliste, je comprends parfaitement la colère des agriculteurs. Si ces derniers ont jeté une partie de leur production de mandarines sur l’asphalte, c’est qu’ils n’y trouvent pas leur compte. Les prix proposés ne couvrent parfois, même pas les coûts de la main d’œuvre”. Le même problème se pose selon, lui pour les raisins, les pommes de terre…
Il a estimé “qu’il y a, en Tunisie, un vrai problème de gestion de la pénurie comme de l’abondance des produits agricoles, en raison de l’absence d’une politique publique dans le secteur agricole”.
Ben Becher a aussi, pointé “une défaillance au niveau des mécanismes de prévision et d’anticipation des récoltes et des rendements, principalement due à une mauvaise structuration des filières de production. Nous avons des groupements interprofessionnels qui ne servent à rien, ou presque, dont le GIF. Les outils et mécanismes de statistiques et de prévisions déployés par l’Observatoire national de l’Agriculture sont aussi, inefficaces et défaillants. Au sein même du ministère, les différentes structures ne sont que très peu, voire pas reliées”.
Le président du SYNAGRI a, également, mis l’accent sur la défaillance de l’industrie de transformation agro-alimentaire, “à peine 5% des jus de fruits fabriqués en Tunisie, y compris les jus d’oranges sont faits à partir de fruits locaux. Et c’est une défaillance qui paralyse énormément, nos producteurs “.
Les cantines scolaires et de l’armée peuvent absorber l’excédent de la production agrumicole
Le ministre de l’Agriculture, des Ressources hydrauliques et de la Pêche, Samir Bettaieb, avait reconnu, jeudi, dernier, que la production excédentaire pose un problème de commercialisation. Il avait évoqué parmi les solutions identifiées pour absorber l’excédent de la production d’agrumes, l’approvisionnement des restaurants scolaires et universitaires, ceux de l’armée nationale et des services de la sécurité, en plus de l’organisation de marchés de vente des agrumes, dans les délégations.
Reste cependant, à mettre rapidement en exécution les solutions préconisées….
En Tunisie, les agrumes demeurent l’une des principales richesses de l’arboriculture tunisienne et la péninsule du Cap Bon reste la principale région agrumicole du pays. Les autorités agricoles mais aussi celles du ministère du commerce doivent désormais, penser non seulement, à gérer la pénurie mais aussi l’abondance pour certaine filières dont celles des agrumes et du lait.