Au lendemain du 14 janvier 2011, le monde entier ne parlait que du soulèvement des indignés tunisiens avec comme point d’orgue l’immolation du jeune Mohamed Bouaziz, à Sidi Bouzid.
Six ans après, au regard de la précarité multiforme dans laquelle vit, aujourd’hui, le pays, on ne peut s’interdire de se demander si cette convulsion populaire était bien une révolution ou une simple révolte.
L’universitaire et historien français Jean Tulard évoque dans son livre «les Révolutions» les quatre étapes par lesquelles passent généralement les révolutions.
C’était juste une révolte
Pour Jean Tulard, toutes les révolutions (française, bolchévique, mexicaine, iranienne…) suivent la même évolution: elles germent et naissent dans les mentalités grâce aux intellectuels, explosent dans les villes du pays grâce aux couches populaires, favorisent, dans l’euphorie, une fraternité nationale, avant de glisser, in fine, dans la terreur, c’est-à-dire la prise du pouvoir par une dictature new-look: un parti totalitaire, l’armée ou autre force organisée…
Si on s’amuse à appliquer cette évolution aux évènements qu’a connus la Tunisie, depuis le 14 janvier 2011, on se rend compte que cette explosion populaire n’a rien de révolutionnaire, et ce pour quatre raisons majeures. Elle n’était pas encadrée par aucun mouvement intellectuel. Elle n’a pas explosé dans les villes mais dans des bourgades rurales (Thala, Sidi Bouzayane, Regueb…). Elle n’a pas favorisé cette fraternité nationale. Bien au contraire, elle a fait émerger des phénomènes scissionnistes archaïques tels que le régionalisme, le clanisme et le corporatisme.
Elle n’a pas également favorisé l’émergence d’un force politique dominante ou autre structure capable d’imposer la paix sociale et l’ordre. Le parti Ennahdha, qui est le mieux organisé dans le pays, ne représente que 27 à 30% de la masse électorale.
Moralité: c’était loin d’être une révolution. C’était juste une manipulation de l’extérieur pour déstabiliser le pays le plus fragile du monde rabe avec la complicité d’une mafia politico-financière locale apatride, voire un cocktail d’islamistes moyenâgeux, de droit-hommistes mercenaires sans foi ni loi, d’hommes d’affaires véreux, de contrebandiers, de terroristes de tous genres…
Les pouvoirs les plus intéressants tardent à venir
Concrètement, durant six ans, les Tunisiens ont fait l’apprentissage par le choc des assassinats politiques, du terrorisme, du crime organisé, de l’islamisme politique déstructurant…
Il faut imaginer ce qu’a pu engranger comme terreur et horreur un jeune qui avait 15 ans le 14 janvier 2011 et qui a maintenant 21 ans.
D’ailleurs, les quelques acquis accomplis, depuis 2011, demeurent très fragiles, s’agissant de l’adoption d’une nouvelle Constitution et de l’organisation d’élections libres et démocratiques qui ont fait émerger des pouvoirs batards: un exécutif à trois têtes (les présidents Béji Caïd Essebsi et Rached Ghannouchi, un chef de gouvernement), un législatif flemmard qui traîne du pied et un judiciaire constamment en crise.
Est-il besoin de rappeler que les deux principaux pouvoirs tant attendus, en l’occurrence le pouvoir local et le pouvoir constitutionnel, sont constamment renvoyés, délibérément, aux calendes grecques.
Le texte sur les élections municipales est loin de faire l’objet d’un consensus au sein de l’Assemblée des représentants du peuple, tandis que la loi sur la Cour constitutionnelle tarde à voir le jour, et ce, rappelons-le, six ans après.
Les arrivistes qui sont arrivés au pouvoir n’ont appliqué de la Constitution de 2014 que ce qui arrange leurs intérêts et consolide leurs privilèges.
Conséquence: Des insurrections non encadrées commencent à se manifester sur tout le territoire national, particulièrement dans l’arrière-pays où le gouvernement continue à faire de l’assistance sociale et à programmer les investissements lourds sur le littoral.
Cela pour dire que le déséquilibre régional reprend de plus belle et qu’une autre révolte, qui risque d’être cette fois-ci plus destructrice, couve dans le pays.
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