La GIZ, à travers sa présence en Tunisie, a entamé en 2016 un programme de coopération triangulaire «Développent du tourisme durable» entre l’Allemagne, le Costa Rica et la Tunisie. Ce programme s’inscrit dans le cadre du projet «Fonds pour la promotion de l’emploi des jeunes en Tunisie» et le projet «Fonds régional en Amérique Latine et dans les Caraïbes». Le programme se poursuit par un voyage d’étude de professionnels, d’associations de la société civile et de des cadres de l’administration tunisienne, du 17 au 26 janvier 2017, afin de participer à un échange d’expériences dans le secteur du tourisme durable. Par Amel DJAIT

Pour ce premier jour du voyage d’études à Stuttgart, nous partons à la rencontre de Marco Geraldo, co-propriétaire et gérant de la certification la plus prestigieuse d’Allemagne, Tourcert. Ici, le propos est toujours d’amener plus de responsabilité dans les entreprises du tourisme mais aussi et surtout de labelliser des destinations.

Marco Geraldo est un soldat de la durabilité. Il se dit porté par une mission, celle de «prendre par la main des entreprises de l’industrie du tourisme et leur poser de bonnes questions sur leur vision, leur responsabilité, leur pouvoir de changer le monde. Quand on évolue dans un secteur qui génère le plus d’argent dans le monde et crée 1 emploi /11 mn, nous devons réfléchir à faire évoluer l’économie et le monde. Où allons-nous? Quelles possibilités avons-nous pour nous engager et faire engager pour un tourisme plus responsable de la nature et des autres?»

Tourcert est (non profit consultancy certification organisation), créé en 2009. Son siège est à Stuttgart en Allemagne. L’entreprise a ouvert plusieurs bureaux notamment au Pérou, en Colombie, en Chine, à Cuba…

Ce label, qui vient s’ajouter aux 150 autres labels disponibles dans le monde, se développe rapidement (600 certifications d’ici 2019) et s’affirme comme le seul qui travaille sur toute la chaîne de valeur du tourisme: agence, TO, hébergements, transports, musées, parcs…

Reconnue par the Global Sustaibilty Tourisme Council (GSTC), la certification porte sur plus de 200 critères (ses critères sont aussi ISO 26000).

Pour se développer, l’entreprise utilise plusieurs outils. Elle organise des séminaires, propose une académie en ligne pour le transfert des connaissances, développe un réseau, évolue en marque blanche avec des DMO (Destination Management Compagny), lance bientôt une plateforme de voyages durables…

A ce jour, Tourcert a certifié plus de 140 entreprises en Allemagne et plus de 60 autres ont réalisés des «Tourcert Check», un produit rapide, gratuit et en ligne. En moyenne, l’entreprise de labellisation fait du cas par cas mais son processus de certification dure environ 8 mois et environ 7.500 euros l‘an. La certification est valable 3 ans.

Marco Geraldo affirme qu’il «est évident de travailler sur la qualité, la motivation, la différenciation, la sécurité, le succès à long terme, l’innovation… Nous analysons tous les processus comme la production du C02, le circuit d’achat, la vente. Nous mettons en place un système d’amélioration, en étant convaincus que la durabilité n’est jamais atteinte à 100%».
Toujours selon lui, si une destination veut se faire certifier, il faut qu’elle sache que c’est un véritable engagement de qualité, de responsabilité et de vouloir et savoir travailler ensemble: «L’entreprise doit s’engager à utiliser l’électricité verte, se réengager dans des projets de reboisement, se préoccuper de la satisfaction des employés, rédiger et publier un rapport sur la durabilité. La durabilité nettoie, balise et porte des valeurs. C’est par de pareilles projets que nous pouvons aider une destination à lutter contre la prostitution infantile, faire respecter les droits de l’Homme, améliorer les conditions de travail des femmes, maximiser les retombées sur les populations locales…». En gros, la durabilité vient de l’intérieur d’une destination ou d’un ensemble d’entreprises qui doivent inventer, adapter et s’approprier leur propre durabilité.

Grandes aspirations et dures réalités

Narjess Bouasker est hôtelière à Hammamet et membre du BE de la FTH. Fortement sensibilisée à la question de la durabilité, son hôtel vient d’être labellisé “Travelife”  (http://www.travelife.org)

Participant au voyage d’études organisé par la GIZ en Allemagne, elle se demande dans quelle mesure les labels peuvent apporter du respect et de la responsabilité dans les relations professionnelles quand il y a de grands enjeux économiques. Elle explique: «Comment une entreprise qui fait du profit sur un marché en particulier peut-elle saigner ses partenaires et s’autocertifier durable, éthique ou sociale? Dans la guerre que se livrent les industriels du tourisme, s’autocertifier avec des budgets de 2 à 3 millions d’euros de marketing n’est pas crédible! On ne peut pas exiger des tarifs qui ne garantissent ni qualité ni dignité humaine et se prétendre responsable!».

Triste constat ou am-re réalité? Les deux à la fois mais face au profit, les entreprises ne sont pas égales. Pire, celles qui ont fait du profit sur certaines destinations n’ont aucun scrupule à se détourner d’elle à la première tempête. Les grands mastodontes du tourisme ne peuvent attendre 5, 10 voire 15 ans pour voir les retours sur leurs investissements. Pour eux, le choix est fait: le tourisme est alors brusquement dégarni de sa valeur humaine, sociale, culturelle…

Bien au contraire, pour certains, la durabilité a bon dos et certains brands n’hésitent pas à la décrédibiliser. Taxée d’élitiste, chère, pas assez visible, confidentielle, on se demande si le tourisme durable parvient à vraiment créer des emplois. Quelles sont les vraies retombées de ce tourisme sur les populations locales?

Et c’est précisément de faire le tri que servent des démarches comme celle de Tourcert qui avait tout mis en réseau des professionnels autour de visions et valeurs. Si la durabilité est une question d’engagements et de choix, on peut se demander qui en est responsable. Comment communiquer sur la durabilité? Comment être durable à long terme? La durabilité est-elle compatible avec le tourisme de masse? Pourquoi la durabilité doit-elle être plus chère et coûteuse?

Des voyages durables pour qui?

Le marché de la durabilité est un fait. De récentes études ont démontré que près de 50% des Allemands veulent des voyages durables mais que seulement 2% voyagent avec du durable. Les raisonq sont nombreuses et l’on cite que les produits durables ne sont pas suffisants et ceux qui sont disponibles ne sont pas suffisamment mis en avant.

Le marché quant à lui est profitable aux entreprises qui en font la démarche. Chiffres à l’appui, les entreprises qui se sont engagées dans une démarche durable ont augmenté leur chiffre d’affaires de près de 20%, ont économisé sur les coûts de productions, ont trouvé de nouveaux partenaires et marchés… Le certificateur affirme que rien qu’en 2016, plus de 90 Tour Opérateurs certifiés cherchent des prestataires certifies sans grand succès!

Le tourisme durable est-il compatible avec le tourisme de masse?

Marco Geraldo estime que le processus est lancé et qu’il prendra du temps mais tôt ou tard, les destinations vont avoir à faire face aux dégâts du tourisme, et là, elles vont se tourner vers le durable: «Si nous arrivons à prendre 1% du tourisme de masse vers le durable, c’est une bataille de gagnée et reste la guerre! Il est évident que pour le moment, le durable n’est pas compatible avec les hôtels à forfait. Par contre, le durable peut aider à gérer le tourisme et ses dégâts comme la pénurie d’eau, la gestion des déchets, le travail des enfants…»

A ce jour, Tourcert s’engage dans la promotion du tourisme durable et la certification des destinations en soutenant notamment plus de 100 projets de coopération et d’aide au développement avec plusieurs fondations et ONG allemandes et européennes. Actuellement, l’entreprise travaille sur un programme «LATINA» avec un budget de 800.000 euros pour des pays d’Amérique Latine, et lance le «DANUBE», un programme de développement qui tend à certifier la chaine de valeur sur l’ensemble de la région du fleuve et qui relie 16 pays.

Tourcert estime aujourd’hui qu’il y a lieu de lancer un autre programme pour la région Maghreb ou Méditerranée. Les fonds sont disponibles et les besoins énormes.

Pour parler concrètement de la Tunisie, la question est de savoir si la durabilité peut aider la Tunisie à faire face à la crise. La question vaut la peine d’être posée.