Des experts allemands et nord-africains dont des Tunisiens ont souligné, vendredi 27 janvier, que les gouvernements européens ne doivent pas dicter un nouvel accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA) à la Tunisie, lequel risque de saper la base matérielle de la démocratie naissante.
Lors d’une conférence organisée à Tunis, pour présenter le livre ” Développement à travers le libre échange ” par la fondation allemande Rosa Luxembourg, l’économiste tunisien Sami Aouadi a souligné que le plus important défi auquel est confronté aujourd’hui la Tunisie c’est l’incapacité de l’économie à se positionner comme un véritable partenaire.
“Il existe une asymétrie flagrante. Le géant européen négocie avec le nain économique qui est la Tunisie”, a-t-il souligné.
Attention aux marchés publics…
Selon Sami Aouadi, le projet actuel d’ALECA en négociation, introduit de véritables défis pour des secteurs névralgiques comme l’agriculture, plusieurs services et les marchés publics sur lesquels désormais les multinationales européennes vont pouvoir concurrencer les producteurs locaux, lesquels ne sont guère préparés et ont besoin au préalable d’une véritable mise à niveau qualitative et significative.
Dans ce sens, il a mis l’accent sur l’urgence de mettre en œuvre une politique agricole active et réelle et de soutenir les petits agriculteurs pour dépasser le caractère traditionnel et saisonnier de la production vers une agriculture plus compétitive, plus diversifiée et à fort contenu en termes de progrès technique.
Faire le bilan de l’accord de 1915…
De son côté, l’économiste tunisien Abdeljelil Bedoui a indiqué qu’avant d’entamer les négociations sur l’ALECA, il faut procéder à une évaluation du partenariat entre la Tunisie et l’UE depuis 1995 et une évaluation du nouveau projet de partenariat proposé par l’UE outre l’identification des besoins de l’économie tunisienne et l’élaboration d’un nouveau modèle de développement.
La faute au libre-échange
Résumant les interventions contenues dans le livre, Werner Ruf, universitaire allemand, a souligné que les principes de libre-échange ont déjà fait perdre à la Tunisie d’importants revenus après la renonciation aux douanes.
“Ces revenus ne sont plus disponibles pour des investissements d’infrastructure comme les écoles, les universités, les hôpitaux, etc “, -a-t-il cité comme exemple.
L’intervenant a fait remarquer que six ans après, “les raisons profondes de la révolution du 14 janvier 2011 sont toujours là, elles sont même en train de se renforcer”, a-t-il dit.
La situation économique et sociale c’est-à-dire les conditions de vie de la majorité de la population ne se sont guère améliorées notamment, dans le sud et dans l’ouest du pays. Les couches moyennes connaissent une stagnation de leur revenu alors que les prix montent. La masse de jeunes reste sans perspective aucune. La qualification et les études souvent mènent directement au chômage.
“La demande des citoyens pour une vie digne s’avère irréalisable sous le régime néo-libéral”, a-t-il souligné.
Et d’ajouter : “la conséquence c’est l’attractivité du salafisme radical et le jihad offre souvent un certain revenu”.
Selon Werner Ruf et d’autres économistes citées dans le livre présenté, la lutte contre le terrorisme ne peut être efficace sans la lutte contre la misère.
” Il faut que l’Etat soit capable de servir les besoins des citoyens pour rendre le concept de la démocratie crédible “, a estimé l’intervenant, faisant observer que ce but ne pourra être atteint que par le renforcement des capacités distributives de l’Etat et non pas par une politique de privatisation au profit surtout des capitaux étrangers.
“Si l’on veut réellement stabiliser la démocratie en Tunisie, il faut laisser de l’oxygène à son économie et il faut créer des conditions pour que le revenu des ménages garantisse une vie digne aux citoyens”, a-t-il conclu sa présentation.
Puis un livre…
Pour sa part, Khaled Chaâbane, représentant de la fondation Rosa Luxembourg a souligné que le livre Développement à travers le libre échange: les enjeux de l’agenda néolibéral de l’Union européenne pour les pays de l’Afrique du Nord, est le résultat des travaux du colloque international organisé en octobre 2015.
Le livre de 282 pages comporte des interventions d’économistes et universitaires tunisiens, marocains, algériens et allemands durant ce colloque. Il est publié en deux langues français et anglais avec une introduction en anglais et en allemand.
Réalisé par Gisela Baumgratz, Khaled Chaâbane et Werner Ruf, ce livre comporte trois chapitres sur l’UE comme actrice d’une politique économique néolibérale dans ses relations extérieures avec les pays de l’Afrique du Nord, la perception critique des accords de libre échange par des chercheurs tunisiens, marocains et algériens et le développement : alternatives à l’agenda néolibéral.