Des villages collinaires de la grande Kroumirie, des bourgades ex nihilo situées sur les hauteurs frontalières tunisio-algériennes -en l’occurrence Ain Draham, Babouch, Melloula, Ain Soltane, Dar Fatma, Col des vents, col des ruines, Tebainia, Hammam Bourguiba, Ben Metir, Fernana, Ghardimaou-, viennent de souffrir le martyr et de revivre le même cauchemar qu’en 2012 en raison d’importantes chutes de neige (90 cm).
Ces chutes, qui étaient pourtant prévisibles, ont surpris tout le monde, plombé la circulation sur les routes qui mènent aux villages et bloqué les véhicules des visiteurs qui étaient accompagnés de leurs enfants, ce qui a conféré à la situation une dimension dramatique.
Les pouvoirs publics, au triple niveau local, régional et central, se sont certes démenés pour éviter le pire, voire des décès comme ce fut le cas en 2012, mais ont commis les mêmes bourdes aux relents “racistes”.
Ils ont apporté les secours nécessaires pour sauver les visiteurs immobilisés mais n’ont rien fait pour venir aux secours des communautés rurales enclavées dans les montagnes.
Conséquence: des pertes énormes ont été enregistrées au niveau du bétail, de la couverture sanitaire des malades et de l’approvisionnement en nourritures et autres accessoires pour le chauffage.
Il a fallu une semaine après le déblocage des visiteurs pour que les pistes montagneuses desservant les douars de la délégation d’Ain Draham (réseau routier des 7 omdas), les pistes menant à Oued Zene, Ain Sallam, Azaizia, Attatfa et Ghraibia soient déblayées et ouvertes à la circulation. Bien toute une semaine. C’est un véritable cauchemar.
En 2012, on se rappelle cette déclaration “raciste“ du ministre des Affaires sociales de l’époque, Khélil Zaouia, qui avait dit après avoir déblayé la neige et ouvert la circulation: “maintenant que la circulation est ouverte et que nous avons sauvé et débloqué les visiteurs, les habitants de la délégation d’Ain Draham sont habitués à la neige. Ils peuvent se démerder tous seuls”.
Lors de la période coloniale, les Kroumiriens dans les zones enclavées étaient ravitaillés, en période de neige abondante, par hélicoptères. Et c’est là toute la différence. Parfois on est vraiment tenté de croire que l’indépendance a été confisquée par une mafia incompétente et cynique qui a géré, jusque-là, le pays comme un butin.
Ain Draham doit disposer de camions de déneigement
Pourtant, depuis 2012, le département de l’Equipement a acquis les équipements nécessaires pour faire face à de tels aléas. Les Tunisiens ont pu regarder ces balayeuses de neige, bulldozers, camions de déneigement flambants neufs.
Ces engins n’ont pu être d’aucune utilité parce que tout simplement ils étaient entreposés au chef-lieu du gouvernorat. Du moins, ils n’ont pas pu intervenir à temps parce que les routes étaient bloquées par les véhicules immobilisés.
A l’époque coloniale, Ain Draham avait sa propre unité d’équipement. Les engins étaient entreposés douze mois sur douze dans le village, ce qui permettait une intervention dans tous les sens, vers Tabarka et Babouch, vers Amdoun et Béja (route nationale 11) et vers Ben Metir, et Fernana et Jendouba (route nationale N°17). Cela pour dire que les engins pouvaient manœuvrer plus aisément à partir d’Ain Draham et non à partir du chef-lieu du gouvernorat, Jendouba. La solution serait de mettre à la disposition des autorités locales d’Ain Draham ces engins durant la période de neige (décembre-février).
Le rôle pernicieux du chef-lieu du gouvernorat
Autre insuffisance à pallier: les ruraux d’Ain Draham, peu avertis et peu informés de la complexité de l’administration tunisienne, ont assailli le siège de la délégation et brandi le fameux “dégage” à l’endroit du délégué.
Pourtant, ce pauvre fonctionnaire ne gère rien ni un budget, ni des équipements, ni des aides spéciales en cas de catastrophe naturelle. Tout est centralisé dans le chef-lieu du gouvernorat qui est pire que l’administration centrale. Est-il besoin de rappeler que le seul fonctionnaire de l’Etat qui détient la clef du coffre de l’argent de l’Etat est le gouverneur de la région?
C’est pour cette raison que le retard qu’accuse la promulgation de lois consacrant le pouvoir local prévu par la nouvelle Constitution (élections municipales…) nuit beaucoup aux collectivités locales et aux bourgades rurales.
L’idéal serait de conférer à la répartition du budget régional la transparence requise et de publier les budgets locaux qui reviennent aux délégations. Le moment est venu pour que chaque village, chaque agglomération et chaque douar sache combien l’Etat lui alloue annuellement. Et ce n’est que justice, car les habitants de ces bourgades payent leurs impôts.
Et pour ne rien oublier, la neige, en dépit des désagréments qu’elle peut provoquer par l’effet de la mauvaise gestion humaine, est loin d’être une malédiction. Bien au contraire, c’est une bénédiction. Elle ne dure qu’une semaine mais son impact sur l’arboriculture fruitière, sur la nappe phréatique et sur le remplissage des barrages est énorme. Alors faisons en sorte qu’elle soit toujours une bénédiction.