Ceux qui ont surprotégé Sihem Ben Sedrine, présidente de l’Instance Vérité et Justice, ne lui ont pas rendu service. Car leur attitude est, bien au contraire, de nature à entretenir et à alimenter les doutes et les accusations ayant trait à la gestion de l’IVD. Et à leur causer du tort à eux-mêmes, car donnant d’eux à l’opinion publique l’image de partis et de gens n’hésitant pas à sacrifier valeurs et grands principes pour prendre la défense d’un allié politique.
Le mardi 17 janvier 2017 restera à jamais marqué d’une pierre… noire, dans l’histoire de la classe politique, en général, et dans celle du mouvement Ennahdha et du Front populaire, en particulier. Ce jour-là, les députés de ces deux formations –de concert avec d’autres- ont réussi à empêcher l’adoption par l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) d’une proposition de création d’une commission d’enquête pour tirer au clair des soupçons de corruption formulées à l’encontre de l’Instance Vérité et Justice (IVD), en charge de la justice transitionnelle, et plus particulièrement de sa présidente, Sihem Ben Sedrine.
La proposition a recueilli l’adhésion de 82 députés, alors que 80 s’y sont opposés et deux se sont abstenus, et n’a pas, de ce fait, été votée, car l’article 95 du règlement intérieur exige pour cela le vote positif de la majorité de ses membres présents, pourvu que ce nombre ne soit pas inférieur au tiers (1/3). Concrètement, pour que la commission d’enquête puisse voir le jour, il aurait fallu qu’au moins 83 sur les 163 députés présents votent en sa faveur.
En plus de l’ «erreur» d’interprétation du règlement intérieur de l’ARP, relevée par le constitutionnaliste Amin Mahfoudh (lire l’article), ce sont principalement trois partis politiques qui ont empêché la proposition de création d’une commission d’enquête de passer. Il s’agit dans l’ordre, du mouvement Ennahdha (1 pour, 59 contre, 1 abstention), du Front populaire (0 pour, 11 contre, 0 abstention), et du Bloc démocratique (0 pour, 8 contre, 0 abstention).
Le bloc d’en face, favorable, lui, à la création de la commission d’enquête, était composé de députés de Nidaa Tounes (48 pour, 0 contre, 0 abstention), de l’UPL (5 pour, 0 contre, 1 abstention), d’Afek Tounes, du mouvement national et de Nidaa des Tunisiens à l’étrangers (7 pour, 0 contre, 0 abstention), et de députés n’appartenant à aucun bloc (6 pour, 2 contre, 0 abstention).
Pourquoi ces partis se sont-ils opposés à ce que la présidente de l’IVD ait à rendre compte de sa gestion des affaires de cette instance? Si le parti islamiste s’est emmuré dans un silence assourdissant, le porte-parole du Front populaire, Hamma Hammami, est descendu dans l’arène pour expliquer que «ceux qui ont voulu former la commission veulent en réalité s’attaquer à la justice transitionnelle». Comment auraient-ils pu le faire, si la présidente de l’IVD s’était prêtée au questionnement auquel elle était invitée et en avait profité pour réfuter les accusations portées contre elle?
On ne sait pas s’ils en sont conscients ou pas, mais ceux qui ont surprotégé Sihem Ben Sedrine ne lui ont pas rendu service. Car leur attitude est, bien au contraire, de nature à entretenir et à alimenter les doutes et les accusations ayant trait à la gestion de l’IVD. Cette attitude est également préjudiciable aux formations politiques ayant bloqué la création d’une commission d’enquête car elle donne d’eux à l’opinion publique l’image de partis et de gens n’hésitant pas à sacrifier valeurs et grands principes pour prendre la défense d’un allié politique.
Moncef Mahroug
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