Pour Faten Kallel, secrétaire d’Etat à la Jeunesse, il est choquant que l’on axe toutes les attentions du législateur et du pouvoir judiciaire sur la pénalisation des drogues douces (consommation de cannabis) alors qu’il y a d’autres maux autrement plus nocifs dont personne ne parle : la dépendance à l’alcool chez une grande partie de notre jeunesse.
Le fait est que la jeunesse tunisienne souffre d’un mal-être qui s’exprime par des excès, qu’il s’agisse d’excès dans la consommation de toutes formes de substances, allant de l’alcool aux drogues dures en passant par les drogues douces ou d’excès dans une religiosité qui les mène droit vers la mort.
«La Tunisie est loin d’être un pays parfait, mais c’est un pays où il fait bon vivre si seulement ses élites arrêtaient de s’entre-tuer à cause d’intérêts égoïstes»
Qui est responsable de cet état de choses? Les médias qui, depuis 2011, n’arrêtent pas de médire de la mère patrie, l’attaquant à tous bouts de champ, ternissant son image à tel point que lorsque vous posez à un jeune la question «que veux-tu faire lorsque tu seras grand», il vous rétorque sans aucune hésitation «partir de ce pays, la Tunisie ne m’a rien donné». Comme si l’enseignement avec toutes ses tares n’était pas gratuit ou encore que la couverture sociale aussi mutilée soit-elle n’existait pas comme c’est le cas dans d’autres pays et j’en passe.
La Tunisie est loin d’être un pays parfait mais c’est un pays où il fait bon vivre si seulement ses élites arrêtaient de s’entre-tuer à cause d’intérêts purement égoïstes, et s’occupaient, essayaient de ressusciter l’espoir chez les jeunes et se concentraient un peu plus et réellement des affaires du pays et surtout déployaient plus d’efforts pour redonner espoir aux générations futures et surtout leur redonner foi en leur patrie.
«On ne nous donne pas le droit et la liberté d’exprimer nos opinions et défendre nos idées…»
«En fait, estime Faten Kallel, il y a deux problèmes: celui de la représentativité réelle des jeunes au niveau de toutes les instances politiques ou autres et un autre beaucoup plus important: les jeunes n’ont pas été outillés pour se battre. Lorsque nous avons autant d’énergie, d’idées et de bonnes prédispositions, nous devons vaincre et être majoritaires dans les partis, dans les organisations et dans les associations. En fait, partout, sauf que personne ne nous a jamais appris à faire ça, à nous engager, à défendre nos idées, nous le voyons dans les familles et à l’école. On ne nous donne pas le droit et la liberté d’exprimer nos opinions et défendre nos idées, sans nous dire “non, vous êtes dans l’erreur“. Un jeune de 16 à 17 ans n’a pas le droit de travailler tout en poursuivant ses études. A moins que les parents soient vraiment dans le besoin».
«La peur de l’échec hante notre jeunesse et constitue le principal obstacle à la réalisation personnelle»
En fait, selon la secrétaire d’Etat à la Jeunesse, nos jeunes souffrent d’une société conservatrice où les clivages de tout ordre ne leur permettent pas d’aller de l’avant et de vivre par eux-mêmes leurs propres expériences. «Dans notre société, il est de tradition de ne pas travailler lorsque nous étudions, d’où le peu de place qu’occupe la valeur travail dans notre culture, nous ne sommes pas encouragés à persévérer malgré les échecs. On ne nous apprend pas que les échecs font partie des épreuves de la vraie vie. L’échec fait peur dans nos sociétés mais si nous n’échouons pas, nous n’avançons pas».
La peur de l’échec hante notre jeunesse et constitue le principal obstacle à la réalisation personnelle. Dans un monde idéal, ces jeunes auraient été entourés par des parents qui leur auraient appris que sans échecs, il n’y a pas de réussites, et sans défaites, il n’y a pas de victoires. Mais ceci ne fait pas partie de notre enseignement ou de notre éducation, d’où des blocages permanents. «Nos parents ne nous disent pas que le succès est la partie apparente de l’iceberg et que pour y arriver, il y a tout un parcours jalonné d’expériences de réussites, de déceptions et d’échecs».
Une stratégie pour sauver les jeunes de l’inertie
Tout changement exige du temps. La jeunesse est un grand chantier sur lequel doivent plancher nombre de ministères. «Nous travaillons sur trois grands axes dont les soft-skills à travers des actions originales en incitant les jeunes à être actifs et innovants. Notre travail de sensibilisation prend ancrage dans le milieu familial et démarre à partir de l’âge de 12 ans. Et là, il y a une véritable action sur les jeunes. L’importance d’avoir un véritable parcours de vie qui doit commencer assez tôt et avec les parents pour leur dire laissez-les voler de leurs propres ailes, accompagnez-les à partir de 15 ans pour qu’à 25 ans vous retrouviez des jeunes indépendants, autonomes et qui suivent d’ores et déjà le chemin de la réussite».
«Qu’ils fassent des petits boulots… cela doit devenir un motif de fierté…»
D’autres programmes sur l’autonomisation des jeunes et l’égalité des chances ont été mis en place par le ministère de la Jeunesse et des Sports. «De nos jours, le jeune adulte ne doit plus rester tributaire de la situation financière de ses parents. Et là il y a plusieurs axes de travail dont le plus important est le travail des jeunes. Vous allez dans un pays européen et vous retrouvez des jeunes de 16 ans qui travaillent à mi-temps pour assurer leurs besoins. Il est entendu qu’un cadre légal s’impose par rapport à cela, parce qu’il est de notre devoir et de notre responsabilité de protéger nos jeunes. Nous voulons également leur apprendre à avoir leur propre autonomie financière, à être humbles et à avoir de l’humilité pour bien avancer dans leur vie. Qu’ils fassent des petits boulots comme serveur, coursier, agents d’accueil dans une foire ou autre, cela doit devenir un motif de fierté pour eux puisque ça leur permet de subvenir à leurs propres besoins et leur apprend à bien gérer leurs finances».
«Le souhait du secrétariat d’Etat est de créer une synergie entre tous les intervenants»
Un texte de loi devrait être soumis à l’ARP concernant l’organisation du travail des jeunes. Un bon cadre légal pourrait être une plateforme sur laquelle tout le monde peut et doit réfléchir. Aujourd’hui, plusieurs plateformes s’occupent de la jeunesse. Le souhait du secrétariat d’Etat est de créer une synergie entre tous les intervenants pour aboutir à une véritable stratégie qui profite aux jeunes et qui leur offre l’opportunité de suivre de bonnes études, de gagner des bourses pour les plus brillants et se procurer des postes de travail. Pour ce, les financements sont nécessaires.
«C’est triste une maison de jeunes qui n’est pas à même de donner aux jeunes les moyens de se familiariser avec les nouvelles technologies…»
Les espaces spécialement dédiés aux jeunes tels les maisons de jeunes sont aujourd’hui complètement dépassés quant à la qualité des prestations qui leur est rendue. Une nouvelle vision est en train d’être mise en place dans les maisons de jeunes, plus modernes, où l’on procède à l’intégration et à la socialisation des jeunes, mais aussi à travers l’usage des nouvelles technologies. «C’est triste une maison de jeunes qui n’est pas à même de donner aux jeunes les moyens de se familiariser avec les nouvelles technologies, de les maîtriser et d’innover en concevant eux-mêmes de nouvelles applications».
«Nous avons déjà lancé ce genre d’expériences dans les maisons de jeunes qui ont atteint des niveaux internationaux en matière d’innovation. Des fois, on nous pose la question suivante: “à quoi servent ces maisons de jeunes?“ Pour moi, la réponse est évidente, elles servent à offrir un environnement épanouissant à des jeunes dont les parents manquent de moyens. Ils peuvent évoluer dans un espace différent de celui dont ils disposent chez eux, quand ils n’ont pas leur propre chambre, quand ils ne disposent pas d’un ordinateur assez puissant pour réaliser leurs propres graphismes, faire du design ou réaliser ses propres projets».
«Aujourd’hui, il s’agit d’harmoniser la politique nationale, mettre en place un plan et converger vers un seul et unique projet»
Jusque-là, tous les projets concernant la jeunesse destinés au développement personnel ont été éparpillés sur plusieurs ministères. Il n’y a pas une stratégie nationale les concernant. Aujourd’hui, il s’agit d’harmoniser la politique nationale, mettre en place un plan et converger vers un seul et unique projet. Ceci implique un budget conséquent pour avoir la force de frappe nécessaire qui permet d’investir dans des projets porteurs et surtout convaincre les bailleurs de fonds par du concret et non pas des discours.
Amel Belhadj Ali