Mettre le rating de Fitch en délibéré ? Une riposte tactique. Prendre Fitch à contre-pied est une façon de refaire le match pour plaider en faveur du retour à la loi sur la réconciliation nationale.
Fitch a dit son mot. Les marchés aussi. Les marchés ont bien en mémoire la baisse de la note de la Tunisie. L’agence s’est bien employée à l’éditer la veille de la sortie de la Tunisie pour l’émission d’un souverain. Toutefois, les marchés, sans porter les ouillières de Fitch, ont su faire la différence.
Démêler le vrai du faux
Pour sa récente émission, la Tunisie a su négocier des conditions relativement clémentes, pour ce qui est du taux et du montant. Pas pour la maturité, qui est de sept ans. L’on se souvient il y a de cela quelques années, sur le “yankee“ : on avait pu obtenir une maturité de 30 ans. Qu’importe, l’un dans l’autre, la signature de la Tunisie a été bien monnayée. La baisse de la note a été amortie.
Les marchés ont bien vu que les agences accumulent les contreperformances. Au début des années 2000, elles n’avaient pas vu que les comptes nationaux de la Grèce ont été revisités par Goldman Sachs. Et c’était à l’origine de l’emballement de la dette grecque, laquelle frôle le défaut de paiement mettant l’Union monétaire européenne à rude épreuve. Pas plus qu’elles n’avaient vu venir la crise des subprimes et certains de ses évènements majeurs tel la faillite de Lehman Brothers, laquelle a précipité une crise financière systémique outre Atlantique qui a ensuite déferlé sur le reste du monde.
Aujourd’hui elles présentent, sans discernement, un tableau noir de l’économie tunisienne en négligeant ses perspectives plausibles de rebond. Il convient cependant de ne pas tourner le dos aux agences mais de relativiser leur rating en démêlant le vrai du faux. C’est au prisme du réalisme que les choses révèlent leur vérité.
On raconte que Nikita Kroutchev (*), principal dirigeant de l’URSS, a reçu en cadeau un coupon d’un tissu précieux. Il convoqua le tailleur du Kremlin pour lui coudre un costume. Cependant, Nikita Kroutchev avait un gros bedon, et son tailleur, par peur, s’empêchait de le serrer à la taille, a jugé que le coupon est trop court. Pareil pour le tailleur de l’état-major de l’armée rouge. Même avis des couturiers de l’Ouest, contactés en douce. Et voilà qu’un malin couturier de l’arrière-pays se présenta pour la mission sans se laisser impressionner par la peine à encourir en cas d’échec. Le tour fut joué et le costume allait comme un gant à Kroutchev. Et l’espiègle artisan de s’expliquer de sa prouesse: “J’ai pris ses véritables mesures“.
Reconsidérer la note de Fitch à l’aune des perspectives économiques d’avenir, de la Tunisie, est un exercice de bonne pratique académique. Et il pourrait nous apporter un certain éclairage.
“Dégraisser le mammouth“
Nous ne sommes pas en train de ruminer une quelconque hostilité à l’égard des agences de notation. Mais à bien considérer la question, les experts de Fitch ont été nettement moins sévères que les membres du gouvernement Chahed.
A titre d’exemple, Zied Laadhari, ministre de l’Industrie et du Commerce, répète que le pays ne sait pas où donner de la tête, parce qu’il court trop de lièvres à la fois. Il lui faut se fixer pour une priorité majeure et y travailler.
Fadhel Abdelkefi, ministre du Développement, de l’Investissement et de la Coopération internationale, dit en toute sérénité que le risque de rupture macroéconomique n’est pas totalement écarté. Cependant, leur décryptage franc et sincère de la situation a donné tout son relief aux mesures de réformes qui se mettent en place, dans le charmant désordre ambiant, mais avec une résolution réelle. On annonce que l’administration sera reconfigurée, et on promet de dégraisser le mammouth avec une première charrette de 50.000 fonctionnaires pour le seul exercice 2018, afin d’éviter que le budget étouffe.
Les promesses ficelées de Tunisia 2020 ne sont tout de même pas un mirage. Par ailleurs, la flexisécurité sans être formellement inscrite sur l’agenda de l’UGTT finira par se réaliser dans le cadre de l’application du nouveau contrat social signé entre les trois partenaires sociaux. Et cela détendra le marché de l’emploi. Il en est autant pour le plan IT de Tunisie digitale 2020. Ainsi que de toute la chaîne logistique. Et quand bien même cela n’est pas garant du nouveau modèle économique que le pays appelle de ses vœux, il y contribuerait dans une certaine mesure.
Revisiter la loi sur la réconciliation nationale
Dans un propos récent, Fadhel Abdelkefi plaidait pour le retour à la loi sur la réconciliation nationale, comme issue de secours pour donner toutes ses chances à un redressement économique. Le ministre voulait comme argumentaire le paradoxe où l’on voit les finances publiques à leur étiage et des circuits parallèles qui regorgent de devises. Alors, il y est allé de tout son franc-parler appelant à ne pas exiger la dinarisation des avoirs en devises des opérateurs du marché parallèle s’ils acceptaient d’intégrer le secteur organisé.
A l’évidence, avec un tel renfort en devises, le pays dépendra moins des caprices des agences de notation et des humeurs du marché international de la dette. La question mérite débat et aussi du volontarisme. On a boudé la loi, par caprice. On peut y revenir, par nécessité. Ne dit-on pas, après tout, que nécessité fait loi.
*Anecdote rapportée par André Fontaine, directeur du journal “Le Monde“, dans son ouvrage “Le dernier quart de siècle“.