Un regard d’ensemble sur les problèmes développementaux que connaît structurellement le pays fait ressortir l’absence de coordination entre les structures de l’Etat. D’où l’enjeu de réfléchir très sérieusement à la transversalité de certains secteurs. Des activités comme la recherche, la formation dans son acception globale, l’ordre public, la défense nationale, l’aménagement du territoire… gagneraient à être gérées de manière transversale et de faire l’objet de structures indépendantes.
Des pays émergents comme l’Iran, la Chine, l’Inde, l’Afrique du Sud et le Brésil doivent les progrès technologiques qu’ils ont atteints à leur recours au management transversal de la recherche entre autres. Ils ont eu recours aux fonctions transversales pour assurer la coordination permanente nécessaire au bon fonctionnement global des activités précitées.
Ce besoin de déploiement de politiques cohérentes ou d’harmonisation des pratiques dans les différentes entités est devenu impératif de nos jours. Il s’accroît avec l’intensification des revendications régionales, le développement de l’internationalisation, de l’externalisation de certaines fonctions ou encore des politiques de décentralisation. L’ultime objectif étant de cibler constamment l’efficience et les résultats positifs.
Pour la transversalité de l’activité de l’aménagement du territoire
En Tunisie, parmi les activités qui gagneraient à faire l’objet d’un management macroéconomique transversal, figure l’aménagement du territoire.
Cette activité, assimilée à tort à l’urbanisme et à l’habitat et gérée officiellement par une direction générale du ministère de l’Equipement, de l’Habitat et de l’Aménagement du territoire, relève de fait de tous les départements ministériels.
En théorie, l’aménagement du territoire permet de déterminer où l’on construira des maisons et des usines, des routes et des rails, des ports et des aéroports, des barrages et des centrales électriques; où l’on aménagera des terrains de loisirs et des écoles; où seront offerts les services essentiels de la collectivité comme les hôpitaux, les écoles; où les cultures seront plus performantes…
Officiellement en Tunisie, “l’aménagement du territoire est défini comme l’ensemble des choix, des orientations et des procédures fixés à l’échelle nationale ou régionale pour organiser et optimiser l’utilisation de l’espace et assurer notamment la cohérence dans l’implantation des grands projets d’infrastructures, d’équipements publics et des agglomérations”.
Malheureusement, il ne s’agissait que d’une profession de foi. Elle a été mise à rude épreuve par l’insurrection du 14 janvier 2011 qui a fait ressortir un déséquilibre régional monstre entre le littoral à l’est mieux nanti et un arrière-pays pauvre à l’ouest et au sud du pays.
C’est ce qui explique en grande partie la principale revendication des indignés de cette révolte, la recomposition du territoire obéissant à des logiques nouvelles dont la discrimination positive instituée dans la Constitution.
Echec des réformes d’aménagement du territoire depuis 1956
Historiquement parlant, l’aménagement du territoire en Tunisie a connu deux réformes, sanctionnées toutes les deux par un échec cuisant en raison de la gestion autoritaire du territoire par l’administration centrale.
La première, mise en œuvre jusqu’en 1990, a consisté à répartir le territoire du pays en six régions économiques autour d’unités industrielles industrialisantes: le pétrole au sud du pays, le phosphate et les industries chimiques à Gafsa, Gabès et Sfax, les industrie légères dans le Grand Tunis, Sfax et Nabeul, la sidérurgie et les construction navales à Bizerte, le bassin céréalier au nord-ouest, une papeterie à Kasserine au centre-ouest.
Cette réforme d’équilibre régional a certes pu doter plusieurs régions d’un certain nombre d’équipements, mais par l’effet d’un déficit institutionnel (poids de la centralisation) et de mauvaise gouvernance, elle n’a pas réussi à faire émerger des territoires compétitifs.
La deuxième a été enclenchée en 1990, sous l’effet de la mondialisation et du Programme d’ajustement structurel (PAS), avec la promotion de la métropolisation des grandes villes du pays. Le but était de réussir l’intégration internationale de la Tunisie par le biais de la métropolisation.
Le président Ben Ali voulait faire de Tunis, Sousse et Sfax de grandes métropoles pouvant rivaliser avec de grandes cités du Nord de la Méditerranée, comme Marseille en France et Barcelone en Espagne. C’est dans cet esprit qu’il avait engagé les mégaprojets touristico-immobiliers et les technopoles de prestige.
Le résultat est hélas là et criard. Les politiques d’aménagement menées depuis l’indépendance, par des pouvoirs excessivement centralisés, bureaucratiques, autoritaires et, dans une certaine limite, régionalistes, n’ont pas réussi à réduire les disparités spatiales héritées de la colonisation et accentuées par l’ouverture à la mondialisation. Bien au contraire, elles ont entretenu et la marginalité du local et du régional en dépit de la délégitimation de la centralisation au plan international.
Une ANAT indépendante serait un début de solution?
La question qui mérite d’être posée dès lors est: comment y remédier après la révolte du 14 janvier 2011?
La principale action à entreprendre serait, à notre avis, de regrouper toutes les structures concernées par l’aménagement du territoire (Direction générale de l’aménagement du territoire, Agence de protection du littoral, Agence de protection du patrimoine, Direction des forêts, parcs nationaux, zoning industriel, cartographie agricole…) dans une seule structure transversale et indépendante.
Celle-ci serait dénommée, comme c’est le cas dans les pays développés, Agence nationale d’aménagement du territoire (ANAT).
L’ANAT aurait pour missions de promouvoir et de mettre en œuvre la politique du gouvernement en matière d’aménagement du territoire et de travaux géographiques et cartographiques. Elle serait chargée, également, d’apporter une réponse originale à la nécessité de mieux coordonner les politiques d’organisation et de développement territorial dans les espaces urbains et ruraux. Elle aurait à transformer les contraintes en atouts en offrant notamment à tous les acteurs du territoire national un outil de mise en cohérence de leurs projets.
Il y a hélas urgence de créer l’ANAT en prévision de l’élaboration de lois devant consacrer au quotidien l’esprit de la nouvelle Constitution, particulièrement en ce qui concerne la discrimination positive et l’institution du pouvoir local et régional.