Le président de la République, Béji Caïd Essebsi, lors d’une interview radio télévisée, reprend la main et sort l’artillerie lourde, avec son arme favorite, la diplomatie et les relations internationales. Sur ce plan, il rassure et tient l’opinion en haleine. Mais on le voit, juste, gagner du temps en matière de développement régional, ventre mou de la politique actuelle. Cela reste un point de vulnérabilité qu’il ne faut pas négliger.
A l’écran chez Nessma et en duplex avec les stations de radio, BCE prenait un bain d’opinion en direct avec les régions. Il affectionne ces parades où, au bout du compte, il bénéficie de tout l’ascendant de son magistère. Cela lui réussit pour le moment et lui-même semble affectionner ce format soft. Il entendait, via son interview du dimanche 19 courant, donner les clés de décryptage de la politique actuelle, au bon peuple, qu’il veut maintenir sous séduction. Et cet exercice de pédagogie lui réussit, jusque-là, surtout quand il avance sur son terrain favori des relations internationales et du bien-fondé de la politique extérieure tunisienne. Il faut dire qu’il y marque des points.
Cependant, sa prestation reste entachée de peu de conviction au plan développement régional. Sur ce terrain, on le voit surtout occupé à du temps. Et l’appel de croissance des régions reste une question pendante. Et cela a toujours été le défaut de la cuirasse de la planification tunisienne. On pouvait étouffer les régions du temps des années de fer. Ce n’est plus le cas, en temps démocratique. Et même si le chef de l’Etat plaide, à juste titre la question de la sécurité comme une condition essentielle à l’essor économique des régions, il est nécessaire de proposer du concret, en la matière.
BCE garde la main haute sur la politique et remet tout le monde à sa place
Il faut reconnaître à BCE ce don de jongler avec les difficultés, à l’écran. Ses interlocuteurs, professionnels et avertis, ont constamment cherché à l’envoyer dans les cordes du ring, à le mettre dans l’état du boxeur groggy, en vain. En 120 minutes de temps -une performance-, il était insubmersible. Bien sûr que la majorité présidentielle à l’Assemblé est en difficulté. Mais avec ce don de relativiser les évènements, il donne à la dissidence de Machroue et UPL, sa véritable mesure. Un élément de contrariété. Pas plus, pas moins.
Roublard, référant au bon vieux crédo bourguibien de l’essentiel et l’important, BCE insinue que l’essentiel est dans l’entente Nidaa-Ennahdha. Cet attelage lui semble à l’épreuve des accidents y compris la désertion de deux groupes qui lui donnaient une certaine solidité. BCE sait que cet attelage durera tout le temps que Nidaa, en stand-by, ne se sera pas reconstruit. Et qu’Ennahdha, en incertitude de reconquête du terrain pour renverser la table, s’y réfugiera. Cet équilibre instable lui convient pour le moment.
Et, quid de la gesticulation diplomatique du président d’Ennahdha? BCE soutient qu’il a son partenaire à l’œil et que la situation est sous contrôle. D’ailleurs, la question qui a manqué est ce que pense Ennahdha de la venue du président égyptien, en Tunisie. Ennahdha observe un silence radio mais sur sa droite, Hachemi Hamdi le conteste bruyamment. Le fait-il pour compte d’autrui, également? On ne sait trop. Mais là encore, BCE a la partie belle en mettant en avant ses initiatives et tout le redéploiement qu’il insuffle à la diplomatie tunisienne et notamment à la résolution de la question libyenne.
La primauté de la légalité internationale
En matière de relations internationales, le palmarès de la Tunisie est incontestable. BCE rappelle, avec un art consommé, qu’«il s’adosse au crédo, fondateur de tout l’ordre mondial né au sortir de la Deuxième Guerre mondiale et de la création de l’ONU», à savoir la légalité internationale. C’est bien ce qui commande ses initiatives dans la question libyenne.
N’affirmait-il pas, en décembre 2015 aux Journées de l’entreprise de l’IACE, apostrophant l’UE, en présence de nombreux dirigeants internationaux, que “nos amis européens doivent admettre que la partie se joue en Libye et non en Syrie“. L’actualité lui a donné raison.
Sur la base de cette même légalité internationale, BCE a mobilisé le voisinage africain, à savoir Tunisie, Algérie, Mali, Tchad, Soudan et Egypte, pour plaider en faveur du dialogue politique libyo-libyen. Il laissait entendre, sans le dire, que la première intervention de l’OTAN a brisé ce qui restait de l’Etat libyen favorisant l’irruption des milices. En bonne logique, une seconde intervention ne ferait que consacrer la partition de ce pays.
On serait dans une configuration proche du désastre provoqué par de la guerre d’Irak. Le voisinage se réveillerait avec un foyer de tension qui peut métastaser, remettant en question leur stabilité politique, déjà bien fragile. Et c’est ce qui explique qu’il pousse le trio Tunisie-Algérie-Egypte à prendre les devants, tout en interpelant la partie européenne.
Il a laissé entendre, lors de son dernier voyage en Italie, que si jamais l’UE laissait la Russie s’infiltrer en Libye, elle serait prise en étau de l’Ukraine à la Libye en passant par la Syrie. Ce message fort intervient à un moment où l’UE se laisse bercer par les sirènes du repli sur soi, émanant des courants populistes qui essaient de revenir au pouvoir.
De facto, son message prend l’allure d’un avertissement. Si d’aventure l’UE se laverait les mains de son flanc sud, elle serait fortement exposée et c’est pour elle une question de survie et de destin. Mais les Européens l’entendront-ils de cette oreille?
L’abcès du développement régional
En 2011, Abderrazak Zouari, ministre du Développement régional du gouvernement de BCE, alors Premier ministre, avait émis une hypothèse de coopération à l’adresse de l’Europe. Le ministre, dans un Livre blanc, a bien démontré que la Tunisie est incapable de trouver les moyens pour financer une politique de développement régional efficace et équilibrée. Il lui faut trouver une passerelle afin de puiser dans les fonds structurels que l’UE destine au développement de ses régions. Pour cela l’UE doit nous consentir le statut de membre sans l’adhésion aux institutions. C’était une offre juste et fairplay. A ce jour l’UE s’obstine à pousser en direction de l’ALECA. Cela ne profitera ni à l’Europe ni à la Tunisie.