“Parles, souffres et laisses les mots t’envelopper” est l’un des vers en prose du célèbre poème “Les mots” du poète de la liberté et de la résistance Mnaouar Smadah qui résume l’expérience de vie et de plume du poète, une expérience qui, selon les critiques et hommes de lettres, constitue l’illustration même des douleurs des opprimés et de l’arme destinée aux tyrans et ennemis de la liberté.
La vie du poète Mnaouar Smadah et son parcours culturel ont fait l’objet d’une rencontre-débat modérée par le poète Férid Saidani et organisée par la délégation régionale des affaires culturelles à Tunis à l’avenue Habib Bourguiba en marge de la quatrième édition de la foire du livre de la ville de Tunis.
Dans son intervention, l’écrivain Jalloul Azzouna revient sur les étapes les plus marquantes dans la vie de Smadah en mentionnant que le poète est né d’une famille littéraire et scientifique connue dans le Sahara. Sa mère l’a envoyé à son oncle installé dans la région de Sidi Amor Bouhajla (gouvernorat de Kairouan) pour vaquer à ses études et pouvoir quant à elle s’occuper de ses deux frères Mohamed Larbi et Abderrahim après le décès de leur père. Smadah avait alors travaillé à cette époque dans une boulangerie puis dans un local de beignets dans la région de Nasrallah à Kairouan et après dans la région de Makthar (gouvernorat de Siliana). Cette période a été un tournant décisif dans la vie de Smadah après sa rencontre avec le leader Habib Bourguiba en 1949 quant il lui a récité en sa présence des vers et des poèmes qui l’ont ébloui.
A cet égard, Jalloul Azzouna a rappelé que le leader Habib Bourguiba avait promis à Mnaouar Smadah de l’inscrire pour poursuivre ses études. Cependant, cette promesse n’a pas été tenue. Azzouna avance que ces facteurs ont poussé Mnaouar Smadah à écrire ces remarquables vers ironiques “Deux choses dans mon pays m’ont déçu: l’honnêteté dans la parole et le dévouement au travail”.
Le premier recueil de Smadah “El Ferdaws el moghtasab”, publié en 1954 par la maison d’édition de Othman Guitouri (située à la place Romdhane Bey, près de la rue Pacha à Tunis) a été saisi par le colonisateur dès lors que son contenu revient sur l’épopée nationale dans la lutte contre le colonialisme. Par la suite, il a publié une série d’oeuvres poétiques comme” Fajr el hayat” en 1955 et “Combat” en 1956. Le poème “Les mots” était le dernier chef d’oeuvre de Smadah qu’il a écrit lors de son séjour à l’hôpital Razi de Manouba.
Le début des années 60, estime Jalloul Azzouna, a été le deuxième tournant dans la vie du poète qui s’est “révolté” contre Bourguiba après les nominations de certaines personnalités à la tête de hautes structures de l’Etat alors qu’elles n’ont pas participé au mouvement de libération nationale . A cet effet, Azzouna président de la ligue des écrivains indépendants a estimé que la vive critique adressée par Smadah à l’encontre de Bourguiba dans le poème” Al Malak El Aed” en 1960 a ouvert la porte du conflit qui l’a conduit à l’hôpital psychiatrique.
Dans son témoignage, Azzouna a précisé que bien que la première partie du 20ème siècle soit assimilée au poète Abou el Kacem Chebbi qui s’est distingué en tant que poète, il ne faudrait pas laisser à l’oubli aussi la quintessence de l’oeuvre de Smadah connu, selon ses propos, par la sincérité de ses écrits, son plaidoyer pour les causes justes, sa défense des mouvements de libération nationale notamment en Algérie, et son soutien au roi du Maroc Mohamed V après son exil à Madagascar.
De son coté, le poète Houssine El Ouri a, dans son intervention intitulée “Smadah le poète autodidacte”, mentionné que le poète Mnaouar Smadah a su allier entre labeur et art, ce qui l’a aidé à enrichir sa poésie avec plusieurs images qui ont nourri ses poèmes.
Professeur de poésie contemporaine à l’université tunisienne, El Ouri a tenu à signaler que Smadah a été parmi les premiers à diversifier les genres poétiques tout en les exploitant dans le militantisme national et régional dans les années 50 appelant à fouiller dans l’oeuvre richissime et peu ou mal connue de Smadah pour la porter à jour et le faire de plus près auprès de la nouvelle génération.
De son côté, Dr Mustapha Kilani s’est contenté de présenter quelques aspects de l’expérience poétique de Smadah faisant savoir que le poète qui vivait un déchirement immense avait pour seul refuge la poésie qui était son unique source de bonheur et de joie, a-t-il précisé.
En effet, la plus grande souffrance de Smadah était sa déception sous l’Etat de l’indépendance, à la suite de la politique d’harcèlement et de répression de libertés relevant que le poème “Les mots” résume en lui même toute une vie.
Né à Nefta en 1931 et décédé le 28 décembre en 1998, le poète tunisien est issu d’une famille littéraire et scientifique. Son père était un savant d’el Azhar, et ses deux frères Mohamed Larbi et Abderrahim étaient respectivement poète et écrivain. Le poète n’a suivi ni des études scolaires ni universitaires. Autodidacte de formation, il a écrit 12 œuvres poétiques rassemblés en un seul ouvrage qui comporte en vers et en prose ses écrits sur la liberté, la révolution, l’amour, l’art, la beauté …
Ayant plaidé farouchement pour la liberté et la justice humaine, il a contribué dans la création de la ligue “El kalam Al Jadid” (la nouvelle plume) au début des années 50. Il a également eu des contributions dans la presse depuis les années 50 et a travaillé dans la radio durant une vingtaine d’années.