Libérées légalement de l’interventionnisme politique à la faveur de la nouvelle loi bancaire, les banques publiques commencent à prendre, en toute indépendance, des initiatives. Parmi celles-ci, figure la décision de récupérer leurs créances notamment auprès des hôteliers et de poursuivre en justice, si nécessaire, les mauvais payeurs.
Une «trentaine d’unités hôtelières sur 120 environ concernées sont, aujourd’hui, poursuivies en justice», a révélé sans les nommer, le 13 février 2017, au cours de son audition à l’Assemblée des représentants (ARP), la ministre du Tourisme et de l’Artisanat, Selma Elloumi Rekik.
Le recours à la justice est une décision éminemment courageuse et ne manque pas d’enjeux au regard du montant élevé des créances carbonisées à la charge des hôteliers.
Il faut du reste rappeler que les dettes des hôteliers sont estimées par la Fédération tunisienne de l’hôtellerie à 4 milliards de dinars dont 2,5 milliards de dinars de créances classées et 1,5 milliard de dinars de créances litigieuses. Les banques les plus affectées sont les banques publiques et les banques mixtes.
Des solutions, le gouvernement en a proposé
Ces poursuites judiciaires interviennent après plusieurs initiatives de réconciliation. La plus récente consiste en la mise en place, depuis 2015, d’une commission pour trouver une solution à cette problématique de l’endettement qui plombe tout le secteur.
Cette commission, composée de représentants des départements du Tourisme, des Finances et de la Banque centrale de Tunisie (BCT) et des professionnels du secteur, œuvre à trouver des solutions aux problèmes d’endettement des hôteliers.
Au regard de la persistance du problème, cette commission n’a abouti à aucun résultat tangible, tout comme les autres commissions.
A noter que la mise en place de cette commission fut suite à une autre initiative, au temps de la Troïka, la création de la Société tunisienne de gestion d’actifs (STGA), connue sous la dénomination “Assets Management Company“ (AMC).
L’AMC qui, à défaut de quorum au Parlement, n’avait pas pu voir le jour en raison de sa non-adoption par l’Assemblée nationale constituante (ANC) de l’époque, avait reçu pour mission de «racheter les crédits accrochés auprès des banques et des sociétés de recouvrement et de restructurer les entreprises endettées, dans le but de renforcer leur rentabilité et leur réinsertion dans l’économie». Il s’agit d’une société anonyme au capital de 150 millions de dinars que l’Etat détiendra en totalité et dont la durée de vie sera de 12 ans.
Cette loi sur l’AMC a été fortement contestée par les hôteliers lesquels ont pesé de tout leur poids aux relents lobbyistes pour l’annuler.
Ils lui reprochent deux choses. D’abord, ils estiment que cette loi est non constitutionnelle en ce sens où elle viole le droit à la propriété. Ensuite, elle est injuste, disent-ils, car elle donne des pouvoirs absolus à l’AMC sans possibilité de recours à la justice pour les hôteliers concernés.
L’AMC servirait, selon ces mêmes hôteliers, les intérêts d’éventuels acquéreurs étrangers, particulièrement suisses et qataris.
La responsabilité des hôteliers endettés
Quant aux responsabilités, le syndicat des hôteliers (FTH) les fait assumer, certes, au dilettantisme des hôteliers mais aussi aux banquiers.
La FTH ne nie pas «l’existence de certaines mauvaises gestions, voire des malversations de la part de quelques promoteurs qui ont profité des crédits bancaires. Elle impute «cet enrichissement sur investissement» au manque de professionnalisme des hôteliers concernés.
Pour la FTH, le problème réside dans le fait que «de nombreux agréments ont été accordés à de jeunes promoteurs qui ne connaissent rien du milieu et qui ne disposent pas de la solidité financière minimale. Ces derniers, selon la Fédération, finissent rapidement par entrer dans la spirale de l’endettement qui devient du surendettement si l’on sait le taux d’intérêt assez élevé imposé par les banques qui n’accordent que 13 ans d’échelonnement des crédits alors que, normalement, pour espérer une meilleure solvabilité, ces crédits devraient être remboursables sur 20 voire 25 ans et assortis d’un taux d’intérêt plus bas».
Les banques seraient également responsables
Les hôteliers concernés sont, ainsi, en faillite parce qu’ils ont mal géré à tous les stades leur unité: négociation à la hâte des crédits, mauvaise gestion du chantier, mauvaise exploitation de l’hôtel. En dépit de la reconnaissance de leur responsabilité, les hôteliers accusent les banques de les avoir exploités.
Ils insistent sur le besoin d’auditer leurs dettes en vue de déterminer leur montant exact auprès des banques qui continuent à refuser de leur octroyer de nouveaux crédits pour rénovation et maintenance.
La ministre du Tourisme l’a confirmé sur les ondes de la radio publique RTCI. Elle a révélé que certains dossiers d’endettement recèlent des excès. «J’ai pu m’enquérir du dossier d’un hôtelier ayant contracté une dette de 9 millions de dinars. Il a remboursé 10 millions et la banque lui en demande encore 10 autres. Le comble c’est que la somme remboursée était principalement des intérêts et des pénalités, ce qui est inacceptable», a-t-elle dit.
Moralité: un nouveau bras de fer s’annonce entre hôteliers et banques…