Le secteur des assurances pourrait amasser un gisement considérable d’épargne si utile au financement du développement. L’épargne longue donne un deuxième souffle au secteur et serait un troisième poumon pour la croissance.
Au séminaire organisé par l’Institut tunisien des études stratégiques (ITES), jeudi 23 courant, on a diagnostiqué l’état de santé de la profession d’assurance. L’avis général est que le secteur sous-performe. Atomisé, le secteur se développe peu. Il continue à se maintenir à un niveau de primes totales qui oscille entre 1,8 et 2% du PIB. Il n’y a pas de quoi lui faire pousser des ailes. Et, toutes les enseignes ne sont pas toutes au meilleur de leur santé financière. Certaines ont besoin d’interventions d’urgence.
“C’est au prix de ce changement de cap que l’assurance exercerait ce pouvoir de captation de l’épargne longue, veine nourricière de la croissance économique”
Les conférenciers ont évoqué les conditions d’un redéploiement de la place. La question était de savoir si la profession pouvait muter de la couverture des risques basiques vers celle des risques sociaux, à savoir la vie, la santé et la complémentaire retraite. C’est au prix de ce changement de cap que l’assurance exercerait ce pouvoir de captation de l’épargne longue, veine nourricière de la croissance économique. Et, même si ce basculement ne saurait, raisonnablement, se faire d’un coup, comment alors l’activer au plus vite?
L’assurance en chiffres et en produits
Sur les cinq dernières années, le total des primes est resté figé, tout au plus à 2% du PIB alors que la moyenne mondiale se situe à 6,5%. Elle peut atteindre des pics de 8% et même de 10% dans certains pays à économie avancée.
Il faut bien se dire que la bonne santé du secteur profite à l’économie dans son ensemble. C’est la nature du métier qui le veut. Les assureurs réinjectent dans le système tout leur excédent financier. Il est vrai que la capacité de collecte du système est aujourd’hui à son niveau le plus modeste au vu de la faible étendue de la gamme des produits.
“Cela fait que le secteur ne se trouve pas en possession d’un trésor de guerre conséquent, qui soit de maturité longue”
L’assurance-auto, qui fait 45% du total des primes, est déficitaire. L’assurance-vie est excédentaire mais elle ne fait que 16,5% du total -il est vrai qu’elle enregistre un taux de progression annuel de 9% par an. Mais le hic est qu’il s’agit d’une augmentation mécanique accompagnant l’expansion de l’augmentation des crédits aux particuliers dont le crédit logement. Et il arrive que ces crédits atteignent 25% du total des crédits sur la place. L’ennui est qu’elles sont de maturité courte ou moyenne. Cela fait que le secteur ne se trouve pas en possession d’un trésor de guerre conséquent, qui soit de maturité longue, 25 ans et plus, qui en ferait un instrument de maturité longue, pourvoyeur de cette manne si nécessaire au financement du développement.
Sur les grandes places financières, les investisseurs institutionnels sont les intervenants les plus importants. Les statistiques placent les fonds de pension en tête avec 4.000 milliards de dollars. Arrivent en seconde position les Fonds communs de placement (Mutual funds) et les assurances avec 3.200 milliards, puis les fonds de capital investissement avec 700 milliards. En Tunisie, le secteur totalise 3,9 milliards de dinars, soit la contre-valeur de 1,3 milliard de dollars. Bien entendu, c’est peu.
“Seulement 22% vont en placements actions… Il ne s’agit en aucune façon de participations en portefeuilles, c’est-à-dire en valeurs de rapport”.
Mais comment sont-ils alloués? Les assureurs doivent se conformer à un catalogue de placements imposé par la tutelle. En effet, 68% des placements vont aux Bons du Trésor. En réalité, ils servent à financer le déficit budgétaire. Seulement 22% vont en placements actions, et encore il d’agit de participations stratégiques dans des secteurs indiqués par la tutelle. Il ne s’agit en aucune façon de participations en portefeuilles, c’est-à-dire en valeurs de rapport. L’impératif de prudence fait que l’assureur devient “Risk adverse“, c’est contre nature.
“La Tunisie saura-t-elle se donner les moyens de changer la physionomie de la profession d’assurance? L’ITES prend un sacré pari”.
Emanciper le métier
La configuration optimale, qui se vérifie sur les places financières avancées, serait que le secteur détienne 60 à 70% du marché obligataire. Cette proportion massive contribue à la dynamisation des transactions sur le marché obligataire apportant la liquidité si indispensable. Cela favorise le profilage de la courbe des taux. Et c’est cela qui crée un référentiel pour les taux de moyens et long termes. De la sorte, la place se dote d’une visibilité de long terme, indispensable aux investisseurs. Cela préfigure, sans doute, le nouveau mode de développement économique. Le défi est lancé. La Tunisie saura-t-elle se donner les moyens de changer la physionomie de la profession d’assurance? L’ITES prend un sacré pari.