Depuis plus de six ans, le secteur de la santé ne cesse de vivre des défis de plus en plus insurmontables. Actuellement, plusieurs facteurs concomitants mettent la santé du citoyen tunisien à mal. Parmi ces facteurs, trois semblent plus important que les autres et constituent une véritable urgence.
1- La situation économique : le manque de moyens financiers rend l’accès aux soins plus difficile. Par ailleurs, les dépenses non coordonnées et souvent abusives font que plus de la moitié (52% et non pas 37%) des frais de santé sont actuellement supportés par les ménages, ce qui plombe le budget familial, terrasse le pouvoir d’achat et est en contradiction avec toutes les recommandations internationales.
2– L’automédication ou la prise de médicaments sans ordonnance: celle-ci est devenue choquante, dangereuse et constitue le dénominateur commun des principaux maux dont souffre le secteur de la santé, à savoir:
- le manque de médecins dans les régions : Si les médecins n’ont pas envie de s’installer dans les régions, c’est aussi à cause de la vente de médicaments sans ordonnance. Ils n’y vont pas tant que l’on n’a pas besoin d’eux pour se soigner;
- la relation de confiance médecin-malade passe aussi par l’ordonnance. En effet, s’il est possible d’acheter simplement un antibiotique ou un corticoïde à la pharmacie d’en face, pourquoi aller consulter un médecin? D’ailleurs, à quoi sert encore ce médecin dans un pays où les médicaments sont vendus sans ordonnance? Un pays où on n’accorde pas de place aux médecins au sein du système de santé. La vente sans ordonnance des antibiotiques, des corticoïdes, etc. contourne la première ligne de soins dont on parle tant, la rend poreuse, inefficace et la ridiculise;
- l’apparition de germes multi-résistants est devenue une menace dangereuse, les cas d’infections nosocomiales se multiplient, ce dont témoignent les études et rapports spécialisés qui ne manquent pas. Par ailleurs, la décapitation des pathologies infectieuses ainsi que le retard au diagnostic de certains cancers sont intimement liés à l’automédication. Tant que les médicaments sont aussi facilement disponibles en pharmacie, le Tunisien restera mal soigné. Car traiter les symptômes, ce n’est pas traiter la maladie. Un pays qui respecte et protège ses citoyens ne permet pas la vente sans ordonnance d’antibiotiques, de corticoïdes et d’autres médicaments. Tout cela aboutit souvent à des complications sérieuses qui sont alors examinées par le médecin en urgence, dans des services d’urgences encombrés par des patients qui consultent après avoir essayé des médicaments de leur choix ou vendus par des apprentis-préparateurs,
3- L’impact de la dégradation de l’environnement sur la santé: entre l’exposition à des polluants dangereux et inconnus et risque de contamination par des maladies infectieuses sévère, le Tunisien est réellement en danger. L’absence d’autorité et de services communaux a conduit à une sérieuse dégradation de l’environnement dans les villes et les villages tunisiens. Les métaux lourds, les produits chimiques dangereux et les pesticides utilisés de manières anarchiques ont lourdement contaminé l’air, les sols et la nappe phréatique. La recrudescence de certaines maladies néoplasiques, inflammatoires et allergiques n’est pas étrangère à cette situation environnementale désastreuse.
L’accumulation de déchets dans les rues et les caniveaux a conduit à la multiplication des rongeurs et des chiens errants, l’impact médical arithmétique direct de cette situation fut l’augmentation sans précédent des cas d’hépatite A et de rage. Beaucoup d’autres maladies contagieuses ont vu leur incidence grimper, c’est le cas de la leishmaniose et de la fièvre typhoïde qui sont, elles aussi, directement liée à la qualité de l’environnement.
Une prise en compte de ces éléments de manière urgente et professionnelle est indispensable pour dresser un plan d’action visant à :
– alléger la participation des ménages dans les frais de santé, par une unification des filières de soins et un renforcement de la médecine de première ligne, familiale de proximité;
– appliquer avec rigueur la réglementation des conditions de vente de médicaments pour freiner l’automédication;
– assainir progressivement l’environnement pour mettre le citoyen à l’abri des toxiques et de la contamination.
Dr Maher Haffani