Le textile-habillement quitte le navire UTICA. SOS! Et gare au naufrage.
En rupture de ban, le textile-habillement alerte sur la nécessité d’abandon de la politique des revenus. L’alignement annuel des revenus sur l’inflation est une politique qui a touché à ses limites. Le coup de gégène doit être pris au sérieux. Il vient de la Fédération qui a fait les beaux jours de l’industrie tunisienne, de l’export, et de l’UTICA. La Centrale patronale, à un moment de sa vie, pouvait être assimilée à la centrale du textile-habillement d’où sont issus Hédi Djilani et Wided Bouchamaoui.
Trop c’est trop, disent les professionnels de ce qui était le secteur phare de l’économie nationale et qui a fait la gloire de l’exportation tunisienne. Même la flotte de la CTN était configurée aux besoins de ce secteur vital. Des navires RO-RO (roll On, Roll Off) qui embarquent les semi-remorques, provenant de Ras Jebel ou de Monastir et d’ailleurs, qui partaient samedi de La Goulette et se mettaient sur les routes de France, dimanche. Cela fait que les articles se trouvaient donc en rayon sur les mètres linéaires des donneurs d’ordre, au bonheur des clients, dès le lundi matin. Le flux tendu avait fait toute la force du textile-habillement tunisien. Un pavé dans sa mare a été jeté ce 10 mars du fait de la validation par l’UTICA d’un accord d’augmentation salariale de 6%. Les professionnels, à l’unanimité, ont fait chorus pour désavouer ce boulet qu’ils n’ont pas vu venir.
Un secteur pris en ciseaux entre la franchise et la friperie
Le textile-habillement tunisien ne manque pas d’étoffe. Il a gagné des batailles innombrables. L’une des plus importantes était celle du cumul des valeurs ajoutées sur plusieurs pays, signataires de l’accord de partenariat avec l’UE, en juillet 2007. C’est le secteur national qui a mené les troupes de Jordanie, du Maroc et d’Egypte pour faire pression sur l’UE, et depuis tout produit qui cumule 40% de sa valeur ajoutée en rive sud entrait en UE en franchise de droits de douane.
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Résultat des courses, la cotonnade égyptienne, confectionnée en Tunisie, arrivait en UE à un prix plus bas que les articles chinois. Vous avez bien lu, meilleur marché que les vêtements payés au bol de riz. Si ce n’est pas un exploit, cela lui ressemble.
Imaginons, un instant, l’envol qu’aurait pris le secteur si les USA nous avaient gratifiés du FTA (Foreign Trade Agreement) qui a donné un troisième poumon au textile marocain. Malgré tout cela, le secteur s’est battu et s’est repositionné pour les tissus techniques et la numérisation des process. Le technopôle Monastir, el Fejja, a été organisé pour lui apporter du ressort afin qu’il se redéploye. D’ailleurs, la Directive européenne “REACH“ lui apportait aussi une opportunité supplémentaire pour se développer. Ce secteur était au Zénith.
Rappelons-nous que Paul Hick, PDG du groupe Lee Cooper, disait qu’à Ras Jebel se formaient 60% des bénéfices du groupe et que Lee Cooper avait payé 10 fois son capital en dividendes sur les premières quinze années de son existence.
Depuis une décennie, le secteur appelait l’attention des pouvoirs publics sur certains dangers dont il ne fallait pas s’accommoder. La trop grande place prise par la friperie, dans les achats des ménages tunisiens, le serrait au cou, rétrécissant les débouchés et donc les carnets de commande. Le secteur textile a toujours fait valoir, non par caprice, mais bien par nécessité, certaines spécificités. La franchise, avec des marques grand public tel TATI ou KIABI, laminaient ses marges. Le secteur est en situation d’étouffement. Il était nécessaire de le perfuser et non de le plomber davantage avec des augmentations salariales.
On n’achève pas un secteur sinistré
Le secteur file du mauvais coton, à l’heure actuelle. De tous temps le textile/habillement a su faire valoir ses exigences professionnelles propres. La saisonnalité est la première d’entre toutes. La Centrale ouvrière a été compréhensive, et l’annualisation des salaires a pu lui être reconnue. Le refus unanime de la dernière augmentation n’est pas à prendre comme un caprice mais bien comme un appel de détresse.
Le secteur est en perte de vitesse, il a besoin de mettre toutes ses ressources dans la fonction investissement. Sa survie est au prix de son score de productivité. Il ne fallait donc pas accepter d’augmenter les salaires de manière mécanique, car ces augmentations seraient de facto répercutées dans les coûts, empêchant le secteur de garder la tête hors de l’eau.
Les professionnels répétaient régulièrement que les augmentations de salaires doivent être réglées sur les indicateurs de performance des entreprises et non pas de rattraper l’inflation. La raison en est simple. L’entreprise ne peut redistribuer qu’une partie de sa valeur ajoutée. Elle ne peut indemniser pour la perte de pouvoir d’achat due à l’inflation. Elle ne peut être tenue pour responsable des dérapages de la politique économique de l’Etat.
Par ailleurs, le secteur textile qui, en anémie financière extrême, cherche par tous les moyens à rassembler ses forces pour investir se voit ponctionné indument. On ne peut indéfiniment monnayer la paix sociale au prix d’augmentations mécaniques des salaires. D’autres solutions sont à trouver.
Fallait-il quitter la maison?
La FENATEX a pris la décision de se mettre en dissidence avec la Centrale. Cette décision, grave, a été prise à l’unanimité des troupes. C’est dire si le ras-le-bol est général. C’est une décision souveraine, qu’il faut respecter. D’autres fédérations, en colère, ont pourtant choisi de rester dans la Centrale et de guerroyer. C’est ce qu’a fait INFOTICA, par exemple. Elle dit tout son désaccord avec la politique du gouvernement mais elle reste à l’intérieur de la forteresse qui a besoin de ne pas se désagréger, ne serait-ce que pour mieux résister à l’UGTT.
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Cette rupture pourrait, nous le pensons, faire de l’ombre à toute l’argumentation de la FENATEX, quel que soit son degré de cohérence. Cette posture peut être jugée comme hostile et pourrait discréditer toute la stratégie de la Fédération. Elle incite ses interlocuteurs davantage à aller vers le bras de fer que vers la main tendue. Restée dedans, la FENATEX pouvait appeler, par exemple, à copier le modèle allemand, à laisser chaque branche négocier seule avec les syndicats. Chaque secteur conviendrait de l’augmentation qui lui sied. Ce serait recevable. Ayant choisi d’aller dehors, pareille revendication, si tant est qu’elle sera formulée par la FENATEX, apparaîtrait comme une posture hégémonique. La FENATEX, seule, peut-elle aider le syndicalisme national à s’émanciper de sa seule légitimité de revendication syndicale?
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