L’écrasante majorité des Tunisiens célèbre, aujourd’hui (lundi 20 mars 2017), avec émotion le 61ème anniversaire de l’indépendance du pays du joug colonial français et de la création d’un Etat républicain souverain. Ils ne peuvent qu’en être fiers. Ils le font, depuis deux ou trois années, avec plus de conviction et de ferveur parce qu’ils ont effleuré le pire, durant les années de braise (2012-2013).
Au cours de cette triste période, la Troïka, menée alors par le parti revanchard d’obédience islamiste, Ennahdha, avait essayé d’instaurer, au nom de la mouvance islamique internationale, une nouvelle dictature, le 6ème califat. Un modèle politique dont on peut mesurer facilement, aujourd’hui, les dégâts avec la destruction systématique de pays entiers comme l’Irak, la Syrie, le Yémen, la Libye…
Le pire a été évité
Un tel projet a eu pour corollaires, en Tunisie, la déstructuration systématique de tous les symboles de la République, l’émergence du terrorisme djihadiste et l’acharnement, à cette période, des nouveaux maîtres du pays à faire table rase des “acquis” de 56 ans d’indépendance. Ces mêmes acquis, qui nous honorent autant qu’ils nous engagent, et ce en dépit de manquements structurels catastrophiques.
Car, pour un peuple tunisien homogène de 11 millions d’habitants faciles à gouverner à travers l’Histoire, et pour un petit pays long de 700 kilomètres et large de 300 kilomètres utiles, il faut reconnaître que les résultats enregistrés, après 61 ans d’indépendance, sont le moins qu’on puisse dire dérisoires. On aurait pu faire mieux et plus.
“… au regard de l’ampleur de la corruption qui gangrène pratiquement tous les secteurs, il n’y a vraiment pas de quoi pavoiser”.
Au regard de la crise multiforme que connaît la Tunisie avec l’avènement, en 2014, de la 2ème République, et au regard de l’ampleur de la corruption qui gangrène pratiquement tous les secteurs, il n’y a vraiment pas de quoi pavoiser.
Cet état de lieu peu reluisant m’a remis à l’esprit une boutade du Colonel Kadhafi à l’endroit de notre pays. Ce dernier aimait dire chaque fois que nos dirigeants quémandeurs lui demandaient de l’aide: “La Tunisie n’est pas un pays pauvre, il est riche et même très riche, et ce pour une raison simple: depuis son accès à l’indépendance, il a été systématiquement pillé par les siens, et pourtant, il est resté toujours debout”.
“Aujourd’hui l’Histoire lui donne entièrement raison. Et pour cause. Rares sont les réformes engagées au lendemain de l’indépendance qui ont abouti”.
“Le fou de Libye” ne pouvait pas si bien dire. Aujourd’hui l’Histoire lui donne entièrement raison. Et pour cause. Rares sont les réformes engagées au lendemain de l’indépendance qui ont abouti.
En effet, la réforme agricole a engendré un système de production qui ne nourrit pas les Tunisiens. Le pays est obligé, jusqu’à ce jour, d’importer le plus net de ses besoins alors que la Tunisie est réputée pour être avant tout un pays à vocation agricole.
La Tunisie, un pays répulsif pour les Tunisiens
Le système éducatif, fierté de la Tunisie durant les années soixante, ne forme que des générations sans aucune qualification. Le pays compte aujourd’hui plus de 200.000 diplômés sans emploi et 100.000 abandons scolaires chaque année. Comble de l’incohérence, nous formons nos meilleurs élèves et étudiants pour les envoyer à l’étranger. Les statistiques montrent que la plupart de ces derniers ne reviennent jamais au bercail même s’ils ont un riche patrimoine.
Pis, selon une récente enquête menée par le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES), 45,2% de Tunisiens âgés entre 18 et 34 ans (5 millions de jeunes environ) disent vouloir quitter le pays et émigrer vers l’Europe. Le pays est répulsif pour les Tunisiens. A l’ouest, ils ont les yeux rivés vers l’Algérie, et à l’est ils n’ont d’yeux que pour l’Europe à travers l’Italie.
“Pis, selon une récente enquête menée par le FTDES, 45,2% de Tunisiens âgés entre 18 et 34 ans… disent vouloir quitter le pays et émigrer vers l’Europe”
La santé publique, autre fierté de l’indépendance, n’assure plus des soins appropriés aux Tunisiens en dépit d’une forte participation aux frais (plus de 50%). Seuls les riches en ont droit. Séjourner dans un hôpital public est devenu une affaire à haut risque. Si on n’y perd pas la vie, on en sort avec des invalidités. La situation est particulièrement dramatique à l’intérieur du pays qui manque dramatiquement de médecins spécialistes dont le nombre est pourtant suffisant dans le pays. Ce sont des médecins chinois qui sont venus les remplacer dans les régions de l’intérieur.
Un pays systématiquement pillée…
L’industrie, une des grandes ambitions de la Tunisie indépendante, ne satisfait aucunement après 61 ans d’indépendance les Tunisiens. Surprotégée, ses produits sont rares, chers et souvent de mauvaise qualité. Toutes les filières (agroalimentaire, tourisme, textile…) sont aux mains de lobbies.
A ce propos, Jalloul Ayed, ancien ministre des Finances (2011), estime que le mal de l’industrie tunisienne réside dans la persistance de lois scélérates adoptées au temps des anciens régimes de Bourguiba et de Ben Ali à la mesure des intérêts de castes proches du pouvoir: “Ces législations empêchent, aujourd’hui, l’accès des investisseurs privés à pas moins de 25 secteurs -bien secteurs”.
“Jalloul Ayed estime que le mal de l’industrie tunisienne réside dans la persistance de lois scélérates adoptées au temps des anciens régimes de Bourguiba et de Ben Ali à la mesure des intérêts de castes proches du pouvoir…”
Autre insuffisance, cette industrie s’est avérée une industrie de bout de chaîne et de sous-traitance. Certains de nos industriels, affairistes/chasseurs de primes et de subventions, n’ont jamais créé de la valeur.
Mention spéciale pour l’industrie textile qui a vampirisé le plus net des incitations fiscales et financières. Aujourd’hui, cette filière n’arrive pas à habiller un quart de la population tunisienne. Les Tunisiens s’habillent à hauteur de plus de 60% chez les fripiers.
“Aujourd’hui, cette filière n’arrive pas à habiller un quart de la population tunisienne. Les Tunisiens s’habillent à hauteur de plus de 60% chez les fripiers”.
Il faut reconnaître que cette filière a beaucoup pâti des accords de libre-échange bilatéraux (avec la Turquie), régionaux (avec l’Union européenne) et multilatéraux (OMC), accords négociés par des experts tunisiens, aussi incompétents que corrompus. De nos jours, le marché tunisien est inondé par de la camelote de toutes parts. Le déficit de notre balance commerciale (10% du PIB) en est une illustration.
L’industrie non manufacturière, notamment celle phosphatière, n’a pas été à son tour à la hauteur des espoirs. Particulièrement polluante, elle n’a généré que frustrations, maladies et mauvaise qualité de vie auprès des habitants du bassin minier à Gafsa, et des industries chimiques à Sfax et à Gabès.
Le secteur des services engrange également de très mauvais résultats et n’a jamais été à la mesure des attentes d’un Etat moderne.
Les banques, qui ont pris la fâcheuse habitude de ne prêter, depuis leur création, qu’aux riches, ne financent que les secteurs générateurs d’emplois précaires. C’est le cas du commerce de distribution et surtout de la grande distribution.
Le transport, monopolisé par les lobbies du tout automobile, a été marqué des décennies durant par la marginalisation du ferroviaire et du transport en commun. Aucune perspective de changer les choses n’est à l’horizon pour le moment.
“Le tourisme est également aux mains du lobby du balnéaire. Depuis son lancement par défaut, durant les années soixante-dix, afin de mobiliser à l’époque des fonds de la Banque mondiale…”
Le tourisme est également aux mains du lobby du balnéaire. Depuis son lancement par défaut, durant les années soixante-dix, afin de mobiliser à l’époque des fonds de la Banque mondiale sous prétexte que l’économie du pays était diversifiée et ouverte aux privés, ce secteur ne s’est jamais diversifié. Aucun intérêt n’a été accordé au tourisme culturel qui fait le bonheur d’autres destinations concurrentes du nord de la Méditerranée, comme l’Italie, la France, l’Espagne…
L’indépendance confisquée
Malheureusement, nous ne pouvons nous permettre, l’espace d’un article, énumérer toutes les défaillances structurelles des divers secteurs. Ce qui est certain, la liste est bien longue.
De compte fait, nous pouvons dire qu’à la faveur du clientélisme érigé en système politique durant les trois dictatures (Bourguiba, Ben Ali et la Troïka), l’économie du pays a été systématiquement pillée… par des mafias politico-financières.
“Par malheur, ces mêmes mafias politico-financières sont toujours à l’œuvre avec la deuxième République”.
Par malheur, ces mêmes mafias politico-financières sont toujours à l’œuvre avec la deuxième République.
La question qui se pose dès lors est de savoir jusqu’à quand l’indépendance du pays sera constamment confisquée et usurpée.