Du haut de son ambition et de ses 29 ans, Rabeb Dabboussi est en train de devenir la star de Tbainia, un village qui se trouve à quelques 25 Km d’Ain Draham dans le gouvernorat de Jendouba et dont toute la dynamique s’articule autour d’un café, d’une école primaire, d’une mosquée et d’un marché hebdomadaire. Mais depuis un an, une jeune brune aux yeux de braise, qui produit des pleurotes et du Shiitake, deux variétés de champignons dont elle prend soin quotidiennement sous une serre et qu’elle cultive dans un substrat de blé, crée une autre forme d’attrait. Les bus des étudiants en agriculture sont de plus en plus nombreux à venir faire une halte pour découvrir l’initiative innovante de la jeune femme.
Soutenue et portée par le programme Fikra, Rabeb est surtout en train de devenir une référence pour l’économie sociale et solidaire en Tunisie.
Portrait. Par Amel DJAIT
Lorsque je rencontre Rabeb, il y a 9 mois, elle chuchotait plus qu’elle ne parlait. Sa timidité était aussi frappante que sa force, et c’est probablement pour cela aussi qu’Amina Ben Fadhl, directrice du programme Fikra (*), se rappelle du jour où elle a pitshé avec précision: “On ne l’entendait pas. Elle rougissait et pensait avoir zéro chance de passer la première sélection même en étant ingénieur agronome. Depuis, elle a fait du chemin et actuellement assure même du conseil autour d’elle. Avec Fikra, notre objectif n’est pas seulement de démontrer qu’entreprendre autrement est possible mais nous impacter irrémédiablement les hommes et les femmes. Ce sont eux l’espoir, l’outil et la fin. Ce n’est que par eux et pour eux que le changement doit et peut se faire. Et je vous prie de croire qu’a travers les 4 appels à projets de Fikra, nous avons touché du doigt le cœur des problèmes et des gens”.
Fikra a en effet financé et soutenu une cinquantaine dont des projets d’apiculture, une association de gestion en eau potable avec création de potagers collectifs, un projet de pêche en eaux douces, une distillerie, un atelier de tissage…
Actuellement, le programme lance son 4ème appel à projets. Entre 70 et 100 dossiers sont déposés au Comité de sélection à chaque session. Le programme est apprécié et reconnu dans le nord-ouest où ce ne sont pourtant pas les appels aux projets et opportunités qui manquent. Aujourd’hui, ce qui fait la crédibilité d’un programme, ce sont les projets qui restent viables après le retrait des bailleurs de fonds. Dans le nord-ouest, une des régions les plus marquées par le chômage, l’abandon scolaire, l’immigration clandestine, la marginalisation, à chaque changement qui opère, c’est l’espoir qui revient et la vie qui reprend ses droits.
Une année pour changer
L’année 2016 a été celle de tous les changements pour Rabeb. La jeune femme a multiplié les efforts, s’est épuisée au travail, s’est coltinée toutes les formations en communication, marketing et gestion, et bien entendu reçu un don de 27.000 Dt pour l’achat des équipements (serre, semences, substrats…).
En plus d’un accompagnement minutieux quasi permanent, Rabeb est soutenue par son père qui lui donne le terrain sur lequel elle crée, en plus de ses serres, un potager. Avec sa production mensuelle qui avoisine les 100 kg et ses 12 cycles de production, Rabeb a vite fait de créer 7 emplois directs et 3 indirects. Autant dire qu’en moins de temps qu’il n’en faut, elle est devenue un des plus gros employeurs de son village.
Mais à part cette réussite, c’est l’attitude de leader de Rabeb qui est frappante. La jeune femme devient un agent de transformation et rayonne sur la région notamment à travers l’association «Atlas» à Ain Draham (Association tunisienne pour le leadership, l’auto-développement et la solidarité). Elle est aussi coordinatrice régionale de l’association «Rayhana» pour le développement et la citoyenneté et vice-présidente du groupement féminin de développement agricole de Tbainia-Aindrahem (GFDA Tbainia).
Fière de voir son petit village attirer de plus en plus l’attention, Rabeb reçoit ses clients dans un petit bureau jouxtant ses serres. Ses clients sont de plus en plus nombreux et le dernier en date est le chef cuisinier du restaurant Le Zink. Akram Ben Ayed vient d’acheter sa première commande. Il a eu le coup de foudre pour la fraîcheur, la résistance et la noblesse des produits. Il travaille actuellement à une recette Terroirs avec les pleurotes en attendant que les autres variétés arrivent à maturité.
Terroir ? La mention surprend vraiment quand il s’agit de champignons. Pourtant, Rabeb n’en démord pas. Le pleurote est une variété qui pousse naturellement dans les forêts d’Ain Draham et qui était consommé par les populations: «A cause du réchauffement climatique, du manque d’eau et de la désaffection des gens, elle est en train de disparaître et je m’évertue à la réintroduire. Même si actuellement j’importe les graines. Si actuellement je l’importe, je vous promets que je vais rapidement produire mes propres semences. Il faut juste que j’investisse dans un petit laboratoire et quelques instruments».
Chose promise, chose qui sera sans doute faite. Rabeb est du genre qui ne lâche rien. Avec son panache et son sens de l’engagement, tout porte à croire qu’elle répondra au 4ème appel de Fikra tout en s’inscrivant dans un concours international d’innovation dans l’agriculture.
C’est finalement le cœur léger que je laisse Rabeb à sa récolte. Ni ses hauts talons et encore moins ses ongles vernies d’un rouge vermillon ne l’empêchent de récolter sa récolte de pleurotes jaunes qui arrivent et ses Shiitake qu’un client vient chercher dès qu’elle lui téléphone.