La Poste tunisienne édite un timbre dédié à Tahar Ben Ammar à l’occasion du 61ème anniversaire de l’indépendance. La philatélie vient au rendez-vous de l’Histoire. Ce faisant, la Poste tunisienne accomplit un acte noble de devoir de mémoire.
On a cherché à exfiltrer Tahar Ben Ammar (TBA) de l’histoire du mouvement national ainsi que de la mémoire populaire, en vain. Cela n’a duré qu’un temps. Il y a une justice sur terre. Quoique avec différé, ce grand homme a fini par se réapproprier sa part de gloire et à récupérer la place qui lui revient.
On a pu le constater, une fois de plus, lors de l’inauguration du Salon de la philatélie dédié à l’histoire du Mouvement national, ce samedi 18 courant, à l’avenue Bourguiba, où l’on découvrait un timbre qui lui est dédié.
Cette exposition, véritable coin de musée, a été inaugurée par Anouar Maarouf, ministre des Technologies de la communication et l’Economie numérique, qui était entouré, pour la circonstance, de Moez Chakchouk, PDG de la Poste tunisienne, ainsi que de Chedly Ben Ammar, fils de Tahar Ben Ammar.
La deuxième République a été équitable envers Tahar Ben Ammar et son nom est associé à la célébration de la fête de l’indépendance, lui qui a signé l’accord sur l’autonomie interne, le 3 juin 1955, et le Protocole d’indépendance, le 20 mars 1956. En effet, l’an dernier, le président de la République, Béji Caïd Essebsi, le citait dans son discours en saluant sa mémoire, lui restituant l’aura de sa carrière politique glorieuse. Et pour le 61ème anniversaire, sur les murs du palais présidentiel, a été reproduit le texte du protocole d’indépendance faisant référence explicite à son signataire.
Le panthéon national, en accueillant TBA, retrouve, enfin, une figure de légende de la lutte pour l’indépendance. Quelle belle consécration pour la Poste tunisienne d’avoir contribué à un apaisement de notre mémoire nationale.
En paix avec notre histoire
L’exposition de philatélie donnait un coup de fraîcheur à l’épopée de la lutte pour l’indépendance. La galerie de portraits et d’événements reproduits sur les timbres est un merveilleux bouquet de souvenirs. Moncef Bey et Lamine Pacha Bey, portaient avec majesté notre trait de fierté nationale. Habib Abdeljelil Zaouch, Abdeaziz Thaalbi, puis Habib Bourguiba, ainsi que Jellouli Farès, de même que Ahmed Tlili. Désormais Tahar Ben Ammar se joint à eux ornant de sa personnalité charismatique cette fresque de l’indépendance.
Quelques-uns manquent à l’appel, notamment Ali Belhouane ou Taieb M’Hir, mais à l’instar de Tahar Ben Ammar, ils signeront leur retour, un jour ou l’autre, avec les honneurs qui leur reviennent.
Nous devons à la vérité de rappeler que l’appareil de l’état a fini par se faire au bien-fondé du come back de Tahar Ben Ammar en écho au patient effort de son fils Chedly. Ce dernier lui a consacré un livre remarquable (*). Il l’a, d’abord, édité en langue arabe, avant, prouesse de sadikien génétiquement instruit au bilinguisme, de le traduire, par ses seuls soins en à peine une année et demi, en langue française.
Ce livre n’a pas été un exercice d’apologie au père. On y voyait TBA, aux côtés d’autres figures nationales, sans la moindre tentation de faire de l’ombre aux compagnons de lutte. C’était une figure de proue, le plus souvent à la manœuvre, grand timonier des négociations de Matignon, qui ont fait de lui l’autre père de l’indépendance, selon les propos de Béchir Ben Yahmed, directeur de l’hebdomadaire Jeune Afrique. Ce fut un récit objectif et sincère. Une œuvre de reconstitution de l’histoire selon son déroulement authentique, réel, fidèle à sa chronologie. L’objectivité du travail a été saluée de tous, autant les milieux académiques, que les fidèles de Bourguiba encore parmi nous et la scène politique dans son ensemble. Cela a créé un climat propice au retour de TBA.
TBA, chef politique, visionnaire et homme d’Etat
Ce samedi 18 mars, à l’occasion de l’exposition philatélique, Chedly Ben Ammar a donné une conférence où il revenait sur le parcours politique de son père, de même qu’il l’a fait dans son livre. Engagé au service de la lutte contre la colonisation, à sa prime jeunesse, Tahar Ben Ammar a pris rendez-vous avec l’Histoire pour donner de l’âme à la résistance au colonialisme.
Déjà en 1920, il présidait la deuxième commission qui s’est déplacée à Paris pour plaider en faveur d’un Parlement tunisien. La cause nationale prenait forme et le patriotisme s’est forgé les outils d’une stratégie de lutte qui a été victorieuse.
En véritable chef politique, il a fini la course en tête. Président du conseil en 1954 avec l’appui de Bourguiba et du néo-destour, et d’Ahmed Ben Salah ainsi que de l’UGTT, de même que de toutes les forces vives de la Tunisie combattante, en véritable homme d’Etat, il a été un négociateur résolu, courageux et déterminé face à la puissance coloniale.
Après l’accord sur l’autonomie interne, il a su gagner la confiance des fellagas pour déposer les armes et abolir le dernier obstacle sur la voie de l’indépendance totale. Lors du round final au mois de février 1956, il s’est opposé à la clause d’interdépendance. La Tunisie recouvrait ainsi sa souveraineté, assumant elle-même sa défense nationale et présidant à sa diplomatie, sans une interférence tierce. L’accord du protectorat de mai 1881 était déclaré caduc et la Tunisie, souveraine.
En rendant le tablier en avril 1956, après avoir mis en place l’Assemblée constituante, il a fait un boulevard à Habib Bourguiba, pour ce grand chantier de l’édification de l’Etat de l’indépendance.
Une injustice injustifiée
L’Histoire les faisait se succéder. Peut-être par narcissisme, Bourguiba ne l’entendait pas de cette oreille et a cherché à usurper le passé, écrit par d’autres, alors que l’avenir lui ouvrait les bras. Il montra un acharnement féroce à squatter tout l’espace, le vidant de ses acteurs. Et au prix d’un procès politique et d’une malheureuse falsification, il a fait du Bourguibisme un substitut à l’Histoire de la lutte nationale, effaçant TBA et d’autres.
En campant sa posture de censeur de l’Histoire, Bourguiba n’offrait pas à l’opinion son profil le plus attachant. TBA, aristocrate patriote, donnait le ton à l’objectif majeur du Bourguibisme, à savoir l’unité nationale. Que ne l’a-t-il utilisé pour conforter l’idéal de la réconciliation nationale.
En occultant l’apport de ses illustres aînés, Bourguiba s’est fait du tort à lui-même. Ses détracteurs s’en servent, contre lui, pour altérer son œuvre et son héritage immense.
Avec beaucoup de hauteur, Chedly Ben Ammar ne tombe pas dans ce travers et n’a jamais cherché à souiller la mémoire de Bourguiba, pour redorer celle de son père. Et c’est ce qui donne de l’aplomb à sa démarche, drapant l’œuvre de son père de son haut relief vertueux, patriotique et dévoué. La légende de Tahar Ben Ammar reste vivace et intacte.
*Tahar Ben Ammar, l’itinéraire d’un homme et le destin d’un peuple (Edition en langue arabe) Traduction française: “Une vie de lutte pour l’indépendance“.