L’ambassadeur de la Grande-Bretagne en Tunisie, Louise De Sousa, a accordé à Webmanagercenter (WMC) l’interview ci-dessous, dans laquelle elle revisite les relations bilatérales entre les deux pays (finance, santé, investissement, enseignement), les attentats de Sousse, la coopération sécuritaire, mais évoque aussi la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne (Brexit), la question libyenne…
Dans cet entretien, Mme De Sousa annonce notamment la tenue d’un sommet sur la finance entre la Grande-Bretagne et la Tunisie en avril 2017, ainsi que la venue en Tunisie de Andrew Parmley, Lord Mayor de la City de Londres. Entretien
WMC : Avec le Brexit, la Grande-Bretagne se détache de l’Union européenne. Pourrait-elle, de ce fait, s’éloigner de la Méditerranée?
Louise De Sousa: La Grande-Bretagne s’est retirée de l’Union européenne, mais pas de l’Europe. Nous ferons toujours partie de l’Europe. Les pays européens sont nos voisins, géographiques, historiques et stratégiques. J’ajouterais que l’espace européen est un grand marché et que son succès commercial serait une bonne chose pour nous.
Le Royaume-Uni ne change pas sa place dans la communauté internationale. Et nous continuons à être dans le Conseil de sécurité des Nations unies, membre du G7 et du G20, mais également de l’OTAN et du Commonwealth. Et nous continuons à être une voix importante dans les principales affaires du monde.
Le Brexit ouvre de nouvelles opportunités car la Grande-Bretagne adopte une politique globale. Nous avons une vision du global Britain. Nous resterons donc ouverts sans avoir à faire face aux contraintes de l’UE en étant un pays à vision globale.
La Méditerranée continue à être un espace que nous regardons de très prés. Nous portons les mêmes intérêts aux pays du pourtour sud de la Méditerranée qu’auparavant. Le succès de l’Europe et de la Méditerranée sont importants pour notre sécurité et notre prospérité. Le Brexit n’implique rien de négatif pour la Tunisie. Au contraire, cela va renforcer nos relations bilatérales.
Il n’y aurait donc pas à craindre pour les relations de la Grande-Bretagne avec la Tunisie?
Je dois rappeler que nos relations avec la Tunisie remontent à 1662, avec la signature du Traité consulaire sous le roi Charles II. Par conséquent, le parcours de nos relations est historique et précède la création de l’UE. Et cela continuera. Nous allons travailler avec la Tunisie, de manière différente mais certainement plus profonde qu’avant.
La Grande-Bretagne, si présente aux côtés de la Tunisie au début de la révolution, se manifeste moins, à l’heure actuelle.
La Grande-retagne a apporté son soutien au processus de transition et il y a un dialogue régulier à haut niveau entre les deux gouvernements. Je rappelle, à titre d’exemple, le déplacement du ministre de l’Intérieur à Londres, pour la signature de la convention bilatérale, en décembre 2016, sur la collaboration sécuritaire entre nos deux pays.
Par ailleurs, la SE aux Affaires étrangères britanniques était présente en Tunisie en novembre 2015 pour soutenir la lutte de la Tunisie contre le terrorisme.
L’assistance financière au gouvernement tunisien s’est également renforcée. Le budget d’aide de 2011 à 2016 a été de 24 millions de Livres Sterling. Pour la seule année 2017, il fera un bond de près de 50% pour passer à 10 millions de Livres Sterlings. L’investissement britannique en Tunisie augmente régulièrement.
J’ajouterais in fine que le nombre de diplomates en exercice à Tunis est passé de 5 en 2010 à 30 en 2016.
Le personnel diplomatique a augmenté mais nous relevons la fermeture de UK Investment and Trade, section économique de l’ambassade.
La section UK Investment and Trade n’existe plus car on a créé un ministère nouveau au sein du gouvernement britannique. Il s’agit d’un ministère du Commerce international, et c’est lui qui assurera le relai.
Toutefois, les missions commerciales anglaises se font rares.
Les visites de délégations d’hommes d’affaires continuent. Nous étions présents en novembre 2016 avec une importante délégation à la Conférence internationale sur l’investissement “Tunisia 2020“.
Par ailleurs, nous attendons la visite du Lord Mayor de Londres au mois d’avril. Il sera accompagné d’une importante délégation de la City. C’est une mission dédiée au secteur financier.
Notez que nous continuons avec des missions de plus en plus focalisées sur des secteurs clés tels que finance, énergie, défense, santé et non des missions généralistes.
Est-ce qu’une visite d’Etat serait en préparation?
Les contacts à haut niveau se poursuivent et ce n’est pas à exclure. Nous travaillons étroitement à haut niveau et nous verrons si cela est approprié.
En dépit de promesses de la part de Andrew Morrisson* ou de Philippe Gauthier**, les relations économiques n’ont pas amorcé un véritable décollage.
Récemment à Tunisia 2020, la Grande-Bretagne s’est engagée pour la construction de deux hôpitaux régionaux, l’un à Béja et l’autre à Gabès. Cela représente un investissement stratégique avec un transfert de savoir-faire en matière de gestion des hôpitaux publics. En réalité, notre assistance dépend des priorités identifiées par les autorités tunisiennes.
Le Lord Mayor de Londres en visite en Tunisie en avril prochain:
“Andrew Parmley, Lord Mayor de la City de Londres, visitera la Tunisie pendant le mois d’avril pour promouvoir les liens entre la place financière de Tunis et la cité financière de Londres, The City.
Andrew Parmley a été élu lord Mayor, il préside la “City of London Corporation” pour 2016-2017. Sa mission est de promouvoir les services financiers et professionnels qu’offre la City comme étant un pôle global d’investissement et de commerce”.
A l’instar des Etats-Unis d’Amérique, la Grande-Bretagne accordera-t-elle sa contre-garantie à la Tunisie pour d’éventuelles sorties sur le marché international de la dette?
Nous avons aidé la Tunisie à diversifier ses sources de financement et nous avons un soutien qui se développe dans le secteur financier pour réaliser des réformes qui aident à l’inclusion financière et au soutien de la PME. Pour toutes les autres formes d’aide, nous continuons à travailler en collaboration avec le gouvernement tunisien, et c’est à lui d’identifier les priorités pour le pays.
Les banques anglaises n’ont manifesté aucun intérêt pour une éventuelle privatisation des banques publiques tunisiennes.
Le débat continue mais la décision n’est pas encore prise, ni dans un sens ni dans l’autre. Les banques anglaises ne discuteront qu’une fois que le gouvernement se sera prononcé. A l’évidence, la City peut apporter son expertise à la Tunisie, dans des domaines variés et notamment en matière de PPP.
Quid de l’avancement de la coopération de British Council avec l’éducation nationale?
Cette coopération concerne, en fait, trois départements, à savoir l’éducation nationale, l’enseignement supérieur et la formation professionnelle. Cela porte sur la formation des enseignants, le développement des compétences et la certification des programmes d’enseignement.
Quand un Tunisien est certifié par British Council, il bénéficie d’une équivalence reconnue au plan mondial. D’ailleurs, j’ai assisté à une cérémonie de diplomation à Kasserine et bientôt on en organise une autre à Sfax.
Le nombre des bourses anglaises accordées aux étudiants tunisiens demeure modeste.
Avec le programme Chevening, le nombre de bourses n’est pas très élevé mais le cursus proposé est de très haute qualité. Nous contribuons à former les leaders de demain.
La page de Sousse est-elle définitivement tournée?
Nos consignes de voyage sur la Tunisie sont en constante révision. Notre collaboration se porte mieux qu’avant. Après l’attentat, nous avons travaillé avec les départements de l’Intérieur, de la Défense et des Transports pour renforcer la sécurité des frontières, des aéroports et, de façon générale, à conforter les capacités des instituions sécuritaires.
Cependant, la Tunisie continue à être dans une région difficile.
Que pensez-vous de l’initiative du président Béji Caïd Essebsi pour le règlement de la question libyenne?
Nous comprenons parfaitement pourquoi la situation en Libye concerne la Tunisie. Il y a des effets économiques et sécuritaires dont nous comprenons les retombées sur la Tunisie.
Nous soutenons les efforts du président Caïd Essebsi, notamment avec les deux pays voisins, l’Egypte et l’Algérie. Notre ambassadeur en Libye l’a confirmé publiquement. Nous soutenons tous les efforts qui visent à appliquer la résolution de l’ONU dite de Skhirat.
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*Andrew Morrisson : Commissaire, auprès du Premier ministre britannique, au Commerce pour le Maroc et la Tunisie.
**Philippe Gauthier: Commissaire aux relations extérieures de la City de Londres.