Un des rares économistes crédibles du pays, en l’occurrence Mongi Boughezala, l’avait prévu, au mois d’octobre dernier. Il avait estimé, à l’époque, qu’une des pistes à explorer en prévision des difficultés que va connaître le service de la dette du pays en 2017 (3,5 milliards de dinars supplémentaires en plus des 4 milliards traditionnels) consiste à opter, l’espace d’une année, pour la planche à billet.
«L’Etat, avait-il dit, peut continuer à financer son déficit et ses besoins, moyennant une création indirecte de monnaie…”. Il pensait qu’il vaut mieux faire ça plutôt que de s’endetter auprès des institutions internationales surtout que la Tunisie a de plus en plus des difficultés à accéder aux ressources étrangères .
Sa proposition ne semble pas tomber dans l’oreille d’un sourd. Deux mois et demi après, le gouvernement, pour boucler le schéma de financement de 2016, financer les deux déficits jumeaux -déficit budgétaire et déficit courant (9% du PIB pour ce dernier)- et contourner, surtout, le report sine die du versement de la deuxième tranche (350 millions de dollars) du crédit (2,9 milliards de dollars) accordé, en mai 2016, par le FMI à la Tunisie, a dû faire tourner la planche à billet.
Il faut dire que le gouvernement n’avait pas beaucoup de choix d’autant plus que le décaissement de cette tranche était considérée comme le signal et la condition sine qua non pour déclencher la mobilisation de fonds accordés par d’autres bailleurs de fonds à la Tunisie (Banque mondiale, BEI, BAD, BID, BERD…).
La ministre des Finances le reconnaît
C’est Lamia Zribi, ministre des Finances, qui a reconnu, dans ses interventions dans les médias, le recours à la planche à billet, et ce sans en parler nommément.
Dans une récente interview accordée à L’Economiste Maghrébin, elle dit texto: “Pour remédier au non décaissement de la tranche du crédit du FMI, prévu pour fin décembre 2016, nous avons fait une opération de refinancement en interne. Au lieu de rendre les Bons de Trésor assimilables (BTA), une enveloppe conséquente de 500 MDT, nous les avons rendus mais on s’est refinancé sur le marché intérieur pour boucler l’année 2016”.
Concrètement, l’Etat achète des titres de dettes publiques aux banques de la place. Cette dette étant une reconnaissance de dette émise par l’Etat aux établissements de crédit privés. Elle a donc de la valeur en ce sens où elle est refinancée par la BCT (TMM+ 3% environ).
C’est bien là le mécanisme de la planche à billet, retenu, en théorie, par les économistes classiques comme le remède miracle pour relancer la croissance. De grandes puissances comme les Etats-Unis d’Amérique, l’Union européenne et le Japon avaient recouru à ce système.
La planche à billet, une solutionprovisoire
Il consiste à demander à la Banque centrale de Tunisie (BCT) d’imprimer plus de billets que le pays n’en a besoin et d’augmenter ainsi la quantité d’argent en circulation dans l’ultime objectif de booster la consommation et l’investissement avec la seule condition de trouver les oiseaux rares, des consommateurs et des investisseurs disposés à s’endetter et faire tourner la machine économique. Ce qui est loin d’être le cas actuellement pour les Tunisiens dont le pouvoir d’achat ne cesse de diminuer de manière sensible (plus de 60%).
Cette situation compromet l’effet positif attendu de la planche à billet dans son acception classique.
Interpellé sur cette problématique, Walid Ben Salah, expert-comptable estime que la solution “réside dans la mise en place d’une stratégie efficace pour lutter contre le secteur informel (contrebandiers, contrefacteurs, entreprises fictives, mafieux de tout bord …) lequel engrange d’énormes quantités de liquidités.
Il pense à ce titre que “les autorités publiques et la BCT n’ont pas mis en place des mesures efficaces (tel que le changement de billets de banque par exemple), permettant de réintégrer, même à titre partiel et ou provisoire, ce volume important de liquidités circulant dans l’informel dans le système financier et de le réinjecter de nouveau dans l’économie”.
Pour notre part, nous pensons que la planche à billet, et son corollaire la mise en circulation d’une monnaie fictive, n’est pas la panacée, et ce pour une raison économique simple. Ce n’est pas la monnaie qui crée la richesse mais la production de produits et de services réels.
Espérons que cette précarité sera atténuée par les bonnes nouvelles concernant l’annonce, pour cette année, d’une bonne récolte agricole et la reprise des exportations du phosphate et du tourisme.