Monsieur le président, la Tunisie est malade! Le savez-vous? Le sentez-vous? Devinez-vous le désarroi de vos concitoyens qui ne voient plus le bout du tunnel? Voyez-vous leurs regards éteints?
Monsieur le président, entendez-vous la voix de votre peuple qui veut être rassuré, et voir ses acquis -si tant ils existent encore- préservés? Monsieur le président, percevez-vous sa détresse quant à la sauvegarde de ses institutions?
Monsieur le président, vous qui avez été élu au suffrage universel pour garder l’Etat, croyez-vous que l’Etat existe encore?
Le pensez-vous? Lorsque dans une île, une compagnie internationale est prise en otage, occupée par des bandits instruits grâce à l’argent du contribuable face à l’impuissance d’un Etat frileux … Lorsque les terres de l’Etat sont occupées et l’Etat laisse faire par peur…
Où est l’Etat, Monsieur, lorsque des jugements prononcés par les tribunaux sont annulés et des hordes d’individus manipulés à souhait par des mafias politiques et des contrebandiers économiques font plier l’ordre public?
Où est l’Etat lorsque c’est la rue qui décide en lieu et place des autorités?
Où est l’Etat lorsque la hiérarchie n’est plus respectée, lorsque ceux censés être au service des contribuables deviennent leurs bourreaux?
Où est l’Etat lorsque les Tunisiens ne voient que son impuissance à agir et réagir? Lorsque la vision n’est pas et lorsque la confiance n’est plus?
Où est l’Etat lorsque, au mépris de toute logique, on impose dans nos institutions scolaires une langue morte comme le turc, prémices d’une colonisation culturelle succédant à celle économique?
Où est l’Etat lorsque les ambassadeurs dépassent leurs prérogatives pour agir dans notre pays en terrain conquis?
Oui Monsieur le président, les temps sont durs, et la souffrance des Tunisiens est omniprésente, ces Tunisiens qui vous ont élu ainsi que le parti que vous dirigiez parce qu’ils avaient cru que vous pouviez les sauver!
Ces Tunisiens qui ont toléré le compromis mais qui n’arrivent plus à accepter la compromission!
Ces Tunisiens désabusés, désillusionnés qui pensent que la dictature de Ben Ali était douce par rapport à ce qu’ils endurent aujourd’hui!
Ces Tunisiens qui ne savent plus qui gouverne, qui décide de leur avenir ni ce que l’avenir leur réserve, parce que dans l’Etat que vous présidez, il y a des Etats!
Les Etats des lobbys, des politiciens véreux, de certains hommes de loi corrompus, de législateurs aliénés ou tricheurs, de petits fonctionnaires frauduleux et déloyaux trônant dans leurs administrations, décidant de tout, souvent au mépris des lois et aux services des toutes nouvelles mafias, invisibles à l’œil nu mais agissantes et efficientes. Des mafias qui se déplacent dans l’obscurité agissant et décidant pour préserver leurs intérêts et détruire ceux du pays.
Monsieur le Président sous votre règne, les juges recourent à la rue pour faire pression et l’Administration a perdu sa neutralité, l’allégeance partisane y a supplanté les compétences et le mérite.
Monsieur le président, plus de deux millions de Tunisiens dont une majorité de femmes ont mis tous leurs espoirs en vous pour que l’Etat revienne, que l’ordre règne et que les institutions reprennent leurs places. Nombreux parmi ces Tunisiens ne croient plus en vous, Monsieur, ils voyaient en vous l’Etat et ils vivent dans le non Etat!
Que de promesses et que de beaux discours, Monsieur, mais ce sont des antalgiques qui n’arrivent plus à calmer les souffrances des Tunisiens et encore moins à leur redonner confiance!
Comment se sentir Tunisien dans une Tunisie qui nous semble de plus en plus étrangère, à laquelle nous ne nous identifions plus? Dans une Tunisie où le patriotisme est devenu l’exception et la traîtrise la règle?
Comment se sentir Tunisien lorsque nos soldats issus de familles pauvres, sont blessés ou meurent en silence, quand le terrorisme est banalisé et ses acteurs protégés?
Comment se sentir Tunisien lorsque le service militaire s’achète et le salut du drapeau devient une corvée dans nos établissements scolaires?
Comment se sentir Tunisien lorsque le mot patrie est absent et le terme intérêt devient la patrie?
Monsieur le président, le peuple tunisien avait espéré pouvoir reposer sa tête sur les genoux de gouvernants qui ont le sens de l’Etat, de l’éthique et des valeurs. Aujourd’hui, il ne croit plus en rien!
Monsieur, notre peuple, qui était gaieté, joie et chaleur, est devenu doute, angoisse et peur. Peur pour le futur de la Tunisie qui lui échappe d’heure en heure!
Monsieur le président, quelqu’un a dit que «Le peuple qui ne sent pas la main de celui qui le gouverne lui fait sentir la sienne».
Monsieur, notre peuple a besoin d’une main qui dirige et non d’une main qui brutalise même en refusant d’agir…
Amel Belhadj Ali