L’auteur ne se prive de rien. Il dit ce qu’il pense de la société tunisienne en transformation durant les deux décennies 70 et 80. Hamadi Oueslati est un gagneur de ces années-là, mais ce n’est pas un parvenu, ni un arriviste, plutôt bâtisseur.
Le titre est énigmatique. Ce chiffre est le Messali code (du nom de l’auteur). Un code pour une histoire à rebondissement. Un récit d’une vie, qu’on disait à bout de souffle mais qui, au prix d’une pirouette, finit par retrouver un deuxième souffle.
Après la vigueur de la puissance sociale, l’histoire se prolonge par le ressort du bonheur. Oh! Quel retournement. Epoustouflant d’imprévisibilité. Samir Messali, ce primo-romancier est un cascadeur du texte et un pilote de course de la narration qui sait télescoper les événements avec une veine de cinéaste. Ce roman est écrit pour le cinéma. Il n’y a pas de doute, ce jeune romancier a un talent de scénariste. Quelle chute! Le lecteur croit entrevoir ”The End” et le voilà projeté sur un play off, avec un redémarrage déconcertant du fil de l’histoire. Oh, quelle puissance d’imagination.
Il faut aimer la vie pour de vrai pour la décrire avec une telle extravagance. Financier de métier, Samir Messali mute un thriller financier poignant, en un vaudeville émoustillant. Un panachage, pas banal, peu commun, qui fait du bien au lecteur.
Quarante: une vie s’éteint, une légende s’éveille
Quarante jours après le décès de quelqu’un, son entourage fait le deuil définitif du défunt, en organisant une réunion familiale, généralement conviviale. C’est la date à laquelle l’entourage se résout à “archiver“ le défunt comme disparu.
Hamadi Oueslati, personnage principal du roman, ne l’entendait pas de cette oreille. Victime d’une malencontreuse erreur médicale, on lui annonce une mort imminente. Eh bien, lui qui a su dominer sa vie suivant à la lettre Ruduyard Kipling, “La vie serait un bien perdu pour celui qui l’a vécu autrement qu’il le pouvait alors qu’il le pouvait“. Eh bien, comme il a su infléchir le cours de sa vie vers la réussite sociale, il fera de son quarantième jour un moment entièrement organisé par ses soins où on se rappellera qu’il est d’abord un homme de volonté et de challenge. Il ne veut pas passer aux oubliettes comme le commun des mortels. On se souviendra qu’il a vécu comme il le voulait, à la force du poignet. Une fois que sa vie se sera éteinte, il veut que sa légende s’éveille. Hamadi Oueslati sera anticonformiste, y compris dans les péripéties de sa mort. Aux âmes fortes, la vie est reconnaissante et finit parfois par les récompenser avec une prolongation. Une juste récompense, en somme.
Un personnage haut en relief
La vie est escarpée et ce jeune provincial démuni, touchant aux petits métiers pour s’accrocher, s’emploiera à la gravir et l’escalader. La réussite dans les études sera sa planche de salut. Jeune cadre, il attrape l’ascenseur social. Une fois au sommet, il saura se délester de ce qui l’encombrait, un frère défaitiste, une liaison amoureuse sans dot qu’il quitte pour embrasser la fortune. Il a le sens de l’instant: quand la vie te tend la main, ne la refuse pas, dira-t-il à son dauphin dans l’empire qu’il a bâti. Ce successeur, on le découvrira avec émotion, n’est pas que son fils spirituel.
Sur fond d’une Tunisie en plein essor, durant les années 70 et 80, Hamadi Oueslati se constitue une fortune, se fait un nom, devient une notabilité et ne manquera pas de savourer sa réussite. Il est passé à côté de certaines choses qu’il n’oubliera pas. Il s’est jeté dans l’univers des affaires quand la dynamique de la croissance se mettait en route. Il a fait des arbitrages douloureux, et l’auteur saura justifier ces choix discutables les drapant, habilement, par la nécessité de la trajectoire de la réussite.
Il faut monter mais en montant rester soi-même. Hamadi oueslati, redeviendra lui-même, à l’annonce de sa mort maladroitement diagnostiquée des suites d’une erreur médicale. Il se résout à passer la main et cherche à se réconcilier avec le passé. Sa mémoire du bonheur est toujours vive. Elle refera surface. Et la providence fera qu’il la retracera aussi joliment qu’il l’avait rêvée.
Un talent prometteur
L’auteur ne se prive de rien. Il dit ce qu’il pense de la société tunisienne en transformation durant les deux décennies 70 et 80. Hamadi Oueslati est un gagneur de ces années-là, mais ce n’est pas un parvenu, ni un arriviste, plutôt bâtisseur.
Samir Messali fait positiver les personnages. Par ailleurs, il a la nostalgie charmante, quand il parle de “Hammamlenf“. Son clin d’œil à Jallel Ben Abdallah, qui a éternisé le site de Boukornine dans une toile magnifique reprise en couverture, est une marque de reconnaissance déférente.
Samir Messali écrit comme Balzac ou Théophile Gautier, en leur temps, avec une plume vive et un style pertinent pour reproduire la société de l’époque, avec verve, mais sans ressentiment. Un bel exercice de réalisme. Et de talent.
Ce jeune romancier possède le génie du récit. Il est plein de promesse.