Forte, comme d’autres acteurs politiques et sociaux, de la faiblesse de l’Etat, l’UGTT est en train d’en profiter en adoptant une posture de plus en plus dure, voire agressive, et en formulant des demandes qu’elle n’aurait jamais osé mettre sur la table avant le 14 janvier 2011.
Sous Ben Ali, la centrale ouvrière était aussi docile que les autres organisations nationales et ne s’est retournée contre l’ancien président que lorsque, dans les derniers jours précédant sa chute, elle a senti le vent tourner.
Une preuve de cela? Il y en a des masses, mais en voici une. Il s’agit en l’occurrence d’une déclaration faite par Abdessalem Jerad faite après une audience que lui a accordée l’ancien président. Le secrétaire général de l’UGTT y déclare, selon l’agence TAP, «avoir été honoré de rencontrer le chef de l’Etat et de lui transmettre les salutations des membres du bureau exécutif et de la commission administrative de la centrale syndicale ainsi que leurs sentiments de considération pour l’attention qu’il porte aux travailleurs et pour son soutien au projet de construction de la nouvelle maison de l’UGTT» et «réaffirmé au chef de l’Etat l’engagement des syndicalistes et des travailleurs à contribuer à la concrétisation des objectifs du programme électoral présidentiel pour le prochain quinquennat (…)».
Immédiatement après la chute du régime Ben Ali, elle a commencé à montrer ses crocs. Mais même si elle a progressivement haussé le ton vis-à-vis des gouvernements successifs, la centrale ouvrière s’est limitée, dans un premier temps, à la défense des intérêts corporatistes –notamment matériels- de ses adhérents.
Pesant de tout son poids, l’UGTT a imposé à tous les gouvernements de l’après 14 janvier 2011 –à l’exception de celui de Mehdi Jomaa- des mesures contre-productives et dont, de surcroît, le pays n’a pas aujourd’hui la capacité d’assumer le coût financier et dont il est en train de payer le prix.
Ainsi de l’interdiction du travail intérimaire qui a obligé le gouvernement à titulariser des milliers d’agents, notamment parmi les éboueurs et les employés d’anciennes filiales de Tunisair réintégrés dans le périmètre du groupes après avoir été filialisées sous Ben Ali.
Conséquence: d’abord, l’écrasante majorité des éboueurs sont aujourd’hui titulaires et beaucoup mieux payés mais, de l’avis général, y compris celui des ministres ayant la charge de ce secteur, travaillent beaucoup moins que par le passé. Ensuite, l’intégration des anciennes filiales de Tunisair au sein de la société-mère ont accru les difficultés financières de cette dernière sans en améliorer le fonctionnement et les performances.
De même, la centrale syndicale est loin d’avoir rendu service au pays en exigeant et obtenant en 2016 des augmentations salariale au profit agents de la fonction publique et des entreprises et établissements publics dont elle savait pertinemment qu’elles allaient braquer les bailleurs de fonds internationaux, notamment le Fonds monétaire international (FMI), avaient déjà fait savoir, en particulier par sa directrice générale, Christine Lagarde, que la masse salariale, anormalement élevée, devait baisser et non augmenter encore.
D’ailleurs, la sanction n’a pas tardé à tomber: le FMI a retardé le déblocage de la deuxième tranche du crédit de 2,9 milliards de dollars, soit 375% accordée à la Tunisie en mai 2016 au titre du mécanisme élargi de crédit (MEDC) en appui du programme de réformes économiques et financières du pays.
Dans un second temps, à partir de début 2016, l’UGTT a fait monter encore plus les enchères en s’arrogeant le droit de décréter qui nommer au gouvernement et quel ministre en faire sortir.
Le premier membre du gouvernement à se retrouver dans le collimateur de la centrale syndicale est Saïd Aidi. L’UGTT finit par avoir gain de cause puisque le ministre de la Santé dans le gouvernement Essid ne fera pas partie de celui qui va lui succéder.
Aujourd’hui, c’est au tour de Néji Jalloul, ministre de l’Education, d’être dans le viseur de la centrale ouvrière, parce qu’il a osé dire que certains enseignants, et pas tous, ne font pas correctement leur travail, abusent de certificats de maladie de complaisance, etc.
L’UGTT pourrait gagner cette nouvelle bataille, mais certainement pas la «guerre». Car le ras-le-bol à l’égard de son comportement ne cesse de croître parmi les Tunisiens y compris, contrairement aux apparences, au sein de la classe politique. Certes, celle-ci se mure, face au bras de fer entre l’UGTT et le gouvernement, dans un silence assourdissant, parce que ne voulant pas, par calcul et parce que sachant que, pour l’instant, face à la faiblesse de l’Etat, le rapport des forces est favorable à la centrale ouvrière. Mais tôt ou tard, celui-ci changera et l’UGTT entendra alors une autre musique.