«Les temps des shows sont terminés et nous devons aujourd’hui présenter des solutions concrètes et réalisables», a déclaré Taoufik Baccar, président du CEPED (Centre de prospective et d’études sur le développement) et ancien gouverneur de la BCT, lors d’une conférence de presse organisée mercredi 5 avril pour présenter l’ouvrage édité par le Centre intitulé: «Eléments de stratégie de sortie de crise».
Tout d’abord, un diagnostic pas très brillant de la situation économique. Une croissance faible qui n’a pas dépassé le 1,5% en moyenne entre 2011 et 2016 avec une décélération entre 2015 (1,1%) et 2016 (1%). Et encore, le CEPED est optimiste, car nombre d’experts économiques estiment que pendant ces années, la croissance a été de 0%.
Quant aux équilibres macroéconomiques, nous ne pouvons que relever «une détérioration sans précédent avec un doublement du déficit commercial entre 2009 et 2014, un déficit courant de la balance des paiements -ce qui est très grave- de plus de 8% pendant cinq années successives, et un niveau de déficit budgétaire de 5 à 6% contre 1% en 2010».
L’endettement public est passé de 40% en 2010 à 60% en 2016 -dont un endettement extérieur qui a «sauté» de 37% à 56%, toujours en 5 ans. «La question est, d’après le CEPED, comment assurer la soutenabilité au processus de développement à l’avenir?»
Les investissements ont pour leur part reculé de 25% à 18% du PIB et le taux d’épargne de 21% à 12%.
Ce que ne dit pas le rapport du CEPED, c’est que la réticence des Tunisiens à épargner provient entre autres de l’absence de confiance dans le climat socioéconomique et politique du pays.
Les Tunisiens qui viennent d’adhérer nombreux à l’initiative de l’acteur et de l’animateur Jaafar Guesmi pour une initiative humanitaire en faveur d’une association et qui n’ont pas été aussi motivés s’agissant du fonds de lutte contre le terrorisme. C’est dire!
Pire, et c’est ce que relève M. Baccar lors de son intervention, soulignant que chaque Tunisien naît aujourd’hui endetté à hauteur de 5,500 dinars de dettes alors qu’en 2010 sa dette se limitait à 2,500 dinars.
Que les infrastructures de base qui faisaient de la Tunisie un modèle dans la région sont aujourd’hui désuètes. A titre d’exemple: le réseau d’irrigation de la basse Vallée de Medjerda dont le réseau d’irrigation est dévasté, sans oublier l’état des routes et autres commodités.
1886 usines ont été fermées et les exportations ont été divisées par 10, les secteurs les plus touchés étant les textiles et cuir et chaussures. La Tunisie importe aujourd’hui beaucoup plus qu’elle n’exporte. «Eh qu’on ne vienne pas nous dire que c’est l’ouverture de notre pays sur le monde qui en est la cause et que les réglementations sont ainsi faites. Auparavant, nous utilisions ces réglementations pour protéger les créateurs de richesses nationaux et préserver les fondamentaux économiques. Nous allions même jusqu’à exiger des concessionnaires économiques qu’ils exportent pour 50 millions de dinars tunisiens en composants automobiles ou autres s’ils importent pour 100 millions de DT de voitures. Cela s’appelle la compensation industrielle».
L’approche du «Go and stop» adoptée par certains gouvernement post-14 janvier 2011 exprime une méconnaissance totale des réalités économiques du pays. Ce que ne dit pas le CEPED, par pudeur ou par respect de la continuité de l’Etat, c’est que la politique du go and stop a été préconisée du temps du gouvernement de la Troïka. Elle a d’ailleurs été défendue par Taoufik Rajhi, conseiller économique à ce jour à la présidence du gouvernement représentant Ennahdha. Il estimait, à l’époque, augmenter temporairement et conséquemment les dépenses d’investissement au détriment des dépenses de fonctionnement, “creuser“ le déficit budgétaire à un niveau acceptable et respecter la soutenabilité de la dette à moyen terme. Son objectif était la relance de l’économie. Nous avons l’impression que lui et son équipe ont appliqué ces règles à l’envers car c’est tout le contraire qui s’est passé, comme t’attestent les chiffres cités plus haut.
Une crise de confiance préoccupante
Le gouvernement tunisien est sorti sur le marché national pour contracter un prêt de 180 millions de dinars en échange de bons de trésor. Il n’a réussi à lever que 172 millions de dinars, et encore avec un taux d’intérêt de 7,6%. Un taux d’intérêt supérieur à celui du prêt contracté par un particulier. C’est dire la perte de confiance dans l’Etat: «Les Tunisiens pensent que les risques de l’Etat sont plus élevés que ceux des simples contribuables».
C’est aussi le cas à l’international. Alors que le rating à l’international de la Tunisie s’était considérablement amélioré entre 2005 et 2010 et que l’Etat était capable de lever des fonds sur le marché de l’euro à des conditions très acceptables, la Tunisie est entrée aujourd’hui dans la case des “Etats à haut risque“. Et la dette publique risque d’imposer une politique d’austérité pour le prochain gouvernement, qu’il le veuille ou non.
Cela n’est qu’un juste retour des choses. Quand on a trop marginalisé l’économique en privilégiant le politique, le retour de la manivelle est dur. Et encore si seulement les politiciens qui gouvernent aujourd’hui étaient capables de trouver des portes de sortie.
«Les pistes sont là, il suffit de les suivre et d’oser prendre de véritables décisions pour sortir le pays de l’ornière dans laquelle il se débat».
La Constitution écrite par les chevaliers de l’apocalypse a été vidée de toute allusion à l’économie. Autant le droit des grèves et les revendications des travailleurs assoiffés de dignité y étaient présents, autant la libre initiative, le droit au travail étaient absents. Les opérateurs privés et les créateurs de richesses n’ont aucune protection, mais tout au contraire, c’est la diabolisation de toutes les réussites par les anciens loosers qui a été de toutes les sauces à l’ancienne constituante. Les quelques députés «modérés» élus en 2011 n’avaient aucun pouvoir à raisonner les «révolutionnaires aveugles» responsables du destin du peuple.
Il faudrait peut-être oser la réconciliation nationale, n’en déplaise aux inquisiteurs dont les esprits sont tellement vides que le seul cheval de bataille qu’ils ont trouvé est un acharnement impitoyable sur les compétences d’autrefois.
Car la conséquence de la “chasse aux sorcières“ et de la non réalisation de la réconciliation nationale est: -1,2% de croissance et une administration handicapée dont le rendement a été divisé par 2 de peur des poursuites gratuites et des «lettres anonymes». Alors que la déclaration de constitution d’une société au guichet unique ne dépassait pas les 72h, aujourd’hui elle prend entre 10 à 15 jours.
Les investissements dans les régions ont été réduits de 35%. Une réticence qui s’explique par les enquêtes gratuites et la nouvelle règle d’or appelée “suspicion“.
L’exploitation des gisements pétroliers est passée de 52 champs à 26. Les activistes de «Hamlet winou el pétrole» peuvent s’éclater car alors que les besoins de la Tunisie étaient satisfaits à hauteur de 95%, ils ont été aujourd’hui réduits à 50%. Et qui paye? C’est le contribuable car le manque à gagner est de milliards de dinars.
Aujourd’hui, il est urgent de revoir le modèle de développement en le rendant inclusif et équilibré. Il est impératif d’encourager l’initiative privée et de renforcer les partenariats publics privés. Il est impérieux de revoir notre approche quant au développement régionale «qu’est-ce la profondeur de la Tunisie entre le littoral et les régions intérieures, c’est tout juste 160 km d’où l’importance d’implanter un maillage d’autoroutes jusqu’aux frontières algériennes tout comme il est pertinent de renforcer le réseau routier transversal. Il ne faut pas que le temps entre ports, aéroports et centres urbains ou industriels dépasse 1h30. Ceci n’est pas une vue de l’esprit, c’est inéluctable».
L’ouvrage publié par le CEPED est riche en informations. Il propose également une stratégie concrète pour une sortir de crise.
Les décideurs politiques, malheureusement pour nous, pas tous édifiés sur la chose économique, pourraient, peut-être, y trouver de la manière à réflexion pour prendre les mesures qui s’imposent dans un contexte socioéconomique assez inquiétant.