Bien que la BCT veuille envoyer un message positif en annonçant que le niveau des avoirs nets en devises a connu une hausse, atteignant 13,385 milliards de dinars tunisiens ou 112 jours d’importation, à fin février 2017, contre 12,935 milliards de dinars et 111 jours au terme de l’année 2016, nous ne pouvons pas être réellement rassurés car cette très légère augmentation (1 jour) est due à la mobilisation d’un emprunt obligataire sur le marché financier international pour 850 millions d’euros.
Le déficit courant a, pour notre grand malheur, atteint 2,1 milliards de dinars, soit environ 2,1% du PIB, au cours des deux premiers mois de 2017, contre 890 MDT et 1% du PIB une année auparavant.
Entretien conduit par Amel Belhadj Ali
WMC : Des réserves en devises qui ne s’améliorent pas par des indicateurs internes, un déficit courant qui se creuse… Comment expliquez-vous cela?
Férid Ben Tanfous: Le problème réside dans la décélération du rythme de croissance des exportations, soit un des facteurs du déficit, aujourd’hui structurel de la balance commerciale. La baisse et la croissance négative des exportations et le creusement du déficit commercial -conséquence de la croissance effrénée et non maîtrisées des importations- sont à l’origine de cette baisse sérieuse de nos réserves en devises.
Et comme je le répète assez souvent, il faut oser! Il faut mettre en place un programme audacieux pour non pas réduire les importations comme beaucoup se plaisent à le dire mais relancer les exportations. Le salut de l’économie tunisienne proviendra de la relance des exportations. Tous les plans que l’on élabore à court ou à moyen terme et qui visent seulement à maîtriser les importations seront voués à l’échec. Il faut prendre des mesures audacieuses comme ce fut le cas dans les années 70 avec la loi 72-38, qui comporte toute une stratégie pour relancer les exportations et les investissements dans les domaines et les secteurs vecteurs d’exportations. Aujourd’hui nous ne sentons pas qu’il y a cette volonté pour relancer les exportations.
Justement, nombreux sont ceux qui disent que le Code des investissements, nouvellement promulgué et censé renforcer les investissements et les exportations, n’est pas très encourageant …
Le Code des investissements est encourageant, mais lui seul ne suffit pas. Il faut des mesures administratives, il faut la mobilisation de tous les départements, de la sensibilisation, des campagnes marketing et des mesures concrètes.
Dans les années 70, ce n’est pas uniquement grâce à la loi 72 que nous avons réussi à promouvoir les exportations, ce aussi les efforts déployés par l’Administration et la mobilisation de tout l’appareil de l’Etat qui a été dans impliqué pour la réussite de cette mission.
Maintenant il faut que tout l’appareil de l’état soit mobilisé pour la promotion de l’exportation, il faut que tout le maître mot de la phase actuelle soit «exporter».
Oui mais concrètement?
Concrètement, comme je l’ai signifié plus haut, le pays a besoin de tout un programme de relance qui touche aussi bien aux formalités administratives qu’aux procédures juridiques et à la qualité des services portuaires et droits de douanes, aux services bancaires et aux financements des exportations. Il faut que l’acte de l’exportation devienne un acte national, un acte de défense de l’Etat. Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons redresser la balance commerciale à l’origine de la baisse considérable des réserves en devises.
Les décisions doivent être politiques et administratives, l’exportateur doit être vénéré. Il faut lui vouer le plus grand respect. Au grand dam de la Tunisie, il se trouve aujourd’hui que tout le monde cherche la facilité. Les exportateurs abandonnent les secteurs des services et des industries, pour devenir des importateurs. Il faut, à titre exceptionnel, instaurer “la discrimination positive“, au profit de l’exportation. Celui qui exporte ne doit pas être traité de la même manière que celui qui importe. L’importateur peut garder ses privilèges mais il faut donner plus d’égard à l’exportateur.
Nous sommes dans une situation où il faut prendre des mesures exceptionnelles, pour vraiment relancer la balance commerciale. Il faut donner l’exemple des années 70 pour voir comment il y a eu une mobilisation nationale pour la relance.
Quid du rôle des organisations patronales dans tout cela?
L’UTICA n’est pas la seule à être responsable, l’UGTT l’est aussi, le gouvernement, l’administration, les banquiers et la Banque centrale… Nous sommes tous responsables. Nous devons nous fixer un objectif commun et converger vers cet objectif. Nous ne pouvons exporter n’importe quel produit. La concurrence à l’extérieur est rude, elle est différente de la concurrence à l’échelle nationale. A l’international, il faut de la qualité, donc il faut réduire les coûts, ceux des financements, de la baisse de productivité, contrecarrer les problèmes liés aux retards des livraisons, les complications administratives et l’absence de souplesse. Nous avons de l’expérience en la matière.
Ce qui se passe aujourd’hui c’est que nous prenons des mesures provisoires pour réduire l’importation de tel ou tel produits ou stigmatiser tel ou tel marché ou tel ou tel exportateur ou fournisseur étranger. Ceci ne peut pas fonctionner. Les exportations n’arriveront pas à percer lorsque nos entreprises n’arrivent pas à prendre leurs parts du marché à l’étranger parce qu’elles ne bénéficient pas des mêmes avantages dont bénéficient leurs homologues à l’international. C’est plus difficile de promouvoir les exportations que de réduire les importations.
Et en tant que banquiers, quel rôle pensez-vous assurer?
Notre rôle de banquier est de faciliter le financement des entreprises exportatrices, de les soutenir et de mettre en place des lignes spécifiques en leur direction. Notre rôle est aussi de faciliter la mobilisation de leurs créances à l’étranger et de les accompagner pour les filiales, pour l’octroi des cautions.
Le rôle des banques est déterminant mais elles ne sont pas non plus le seul acteur. Il faut que les exportateurs travaillent sur leurs produits pour s’imposer à l’international. Et évitons de polémiquer sur la concurrence, c’est à nous de nous défendre au national et d’arracher notre place à l’international.
Là où le bât blesse, c’est le déficit de la balance commerciale. Maintenant, il y a des problèmes conjoncturels qui viennent aggraver la situation. Prenons l’exemple du secteur touristique. Ce secteur avait déjà des problèmes structurels bien avant la révolution et les attentats. La crise dont il a souffert aiderait, je l’espère, les autorités à prendre des mesures importantes afin de le redresser en profondeur. Le tourisme est l’une des ressources de devises les plus importantes pour le pays.
L’Egypte dispose de la réserve de devises les plus importantes depuis 2011, parce que le FMI a accepté de débloquer plus de 12 milliards de dollars au profit de l’Egypte. Est-ce que vous pensez que notre rééquilibrage économique peut se résoudre par de telles mesures?
La reconstruction de réserves à partir de l’endettement à elle seule n’est pas la solution et ne peut être suffisante. Il faut que la réserve soit reconstituée par un effort national: plus d’exportations et plus d’investissements directs. Si nous comblons le déficit, un tant soit peu, par l’endettement extérieur dans un pourcentage acceptable, ce n’est pas aussi mal, surtout si ces devises sont dédiées à l’investissement ou au financement de l’économie. Par contre, si les emprunts servent uniquement à combler un déficit structurel, des dépenses de consommation, ou sont destinés à camoufler le manque de productivité d’un secteur ou de l’économie, ce n’est vraiment pas la solution.