Chaque fois que des Tunisiens, qu’ils soient journalistes, parlementaires, officiels ou autres, entreprennent une démarche tendant à se rapprocher de la Syrie et de son régime, la machine du parti Ennahdha se met en marche aux fins de diaboliser les auteurs de ces initiatives et d’en minimiser l’impact.
Les réactions des Nahdhaouis à deux initiatives qui ont eu lieu, en mars 2017, illustrent de manière éloquente leur allergie à tout contact avec le président syrien, Bachar El Assad, devenu, hélas, leur ennemi juré.
D’abord un rappel de ces deux initiatives.
La première a été entreprise par un groupe parlementaire qui s’est déplacé, dernièrement, à Damas pour rencontrer le président syrien et des hauts cadres du pays.
Les Nahdhaouis contre tout contact avec le président syrien
Cette initiative n’a pas été du goût du parti Ennahdha et leurs alliés au pouvoir, les députés du mouvement Al Irada et Nidaa Tounès.
Ainsi, la députée d’Ennahdha, Yamina Zoghlami, a déclaré, vendredi 24 mars 2017, sur les ondes de radio Shems Fm, que «ces députés se sont rendus en Syrie sans consulter aucune partie. On ne peut pas dire qu’ils représentent une délégation parlementaire puisqu’ils n’ont pas respecté les protocoles. D’ailleurs, ils ne nous représentent pas”. Et Mme Zoghlami d’ajouter: “ces députés devront assumer leur responsabilité politique, dans la mesure où la Syrie n’a plus aucune position parmi les pays arabes”.
Le gourou de Sfax, l’imam (révoqué) Ridha Jawadi, est allé plus loin. Il a appelé sur sa page officielle à poursuivre en justice les membres de la délégation parlementaire et demandé à ce qu’ils soient emprisonnés, dans la mesure où ils constituent un danger pour le pays et pour les Tunisiens.
Pour lui, en rencontrant le président syrien, ces parlementaires ont pris contact avec le terrorisme et trahi l’esprit révolutionnaire des peuples tunisien et syrien.
La chaîne de télévision Zaytouna, porte-parole (non officiel) du parti Ennahdha, était également de la partie et s’était longuement étalée sur cette affaire. C’est ainsi que, pour l’animateur Mejri Mokdad, “les députés qui se sont rendus en Syrie ont été élus pour être plutôt dans les régions du pays afin de s’enquérir des nombreuses préoccupations des citoyens et non d’utiliser l’argent du contribuable pour aller plébisciter un dictateur comme Bachar El Assad”.
Le beau geste de la diplomatie tunisienne
La deuxième initiative est à l’actif, cette fois, de la diplomatie tunisienne. Lors de la réunion à Genève, le 24 mars 2017, du Conseil des droits de l’Homme, la Tunisie a osé s’abstenir et n’a voté ni pour ni contre une résolution qui condamne le régime syrien pour des crimes de guerre: l’emploi d’armes chimiques et l’attaque d’un convoi d’aide humanitaire le 19 septembre 2016 par l’armée de l’air syrienne.
Pour Khemaies Jinahoui, ministre des Affaires étrangères, cette abstention sert avant tout les “intérêts de la Tunisie”. Pour autant, elle a provoqué l’ire de Noureddine Bhiri, dirigeant du parti Ennahdha. Ce dernier a qualifié de “grosse erreur” cette abstention. Dans une déclaration, faite dimanche 26 mars 2017, au journal “Al Arabi El Jadid”, il estime que cette abstention s’inscrit en faux contre les principes de défense des droits de l’Homme prévus par la Constitution tunisienne et vient encourager les régimes corrompus et violeurs de droits de l’Homme à poursuivre leurs abus et exactions”.
Les nahdhaouis, de faux droit-hommistes
Par-delà ces critiques virulentes, les Nahdhaouis, qui se sont découverts, ces temps-ci, droit-hommistes, n’ont pourtant rien dit lorsque l’ancien président provisoire, Moncef Marzouki, avait rencontré le dictateur soudanais Omar El Bechir qui “est toujours mis en accusation par la Cour pénale internationale pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre commis durant la guerre du Darfour”.
Ils n’ont également jamais rien dit sur les rencontres quasi régulières de leur gourou Rached Ghannouchi avec le dictateur turc, le sultan Erdogan dont les dérives autoritaires et les pratiques de torture dans les prisons sont monnaie courante.
En outre, ils ont fermé les yeux et les oreilles lorsque la progéniture du président de la République, Hafedh Caïd Essebsi, avait rencontré le même sultan d’Ankara.
La responsabilité d’Ennahdha dans la guerre en Syrie
Cela pour dire que les troupes d’Ennahdha n’ont de fixation que pour le président syrien d’autant plus que ce dernier a réussi l’exploit d’écraser -bien d’écraser- les daechiens (leurs enfants) et de remporter une belle victoire contre ces “kamikazes” moyenâgeux dont plusieurs milliers sont des Tunisiens probablement envoyés par leurs soins.
Tout indique que les Nahdhaouis ont bel et bien la conscience malheureuse et craignent le pire après la débandade des daechiens en Syrie, en Irak et en Libye.
N’oublions que c’est sous leur règne, au temps de la Troïka, que le processus de déstructuration de la Syrie a été décidé. L’exécutif de l’époque, composé de Moncef Marzouki, alors président provisoire -bien provisoire- et du chef du gouvernement Hamadi Jebali, avait accepté, au nom d’un projet diabolique international de recomposition de la géographie au Moyen-Orient (division de l’Irak et de la Syrie en petits Etats), que la Tunisie abrite, en 2012, “La Conférence internationale des amis du peuple syrien”, qui était en fait un signal codé pour l’armement de l’opposition syrienne et l’enlisement de ce pays dans une guerre civile dont on connaît aujourd’hui les dégâts.
Cette malheureuse conférence, qui avait consacré la rupture des relations avec la Syrie et classé par conséquent la Syrie comme “ennemie de la Tunisie“, a préparé le terrain pour le djihad en Syrie, sous une couverture «morale et légale».
Les Nahdhaouis redoutent surtout que les dirigeants syriens transmettent à leurs véritables amis qui viennent les visiter de précieuses informations sur leur implication dans les réseaux qui ont envoyé de jeunes tunisiens combattre en Syrie et en Irak.
Tunis et Damas ont beaucoup à apprendre ensemble
Ils sont désormais au pied du mur. Qu’ils le veuillent ou non, la normalisation des relations avec la Syrie est désormais une question de temps. Bientôt, les relations diplomatiques seront rétablies au plus haut niveau, au plus tard avant la fin de cette année, selon des observateurs.
Un des membres de la délégation parlementaire, en l’occurrence le député d’Al Horra, Sahbi Ben Fredj qui vient de visiter la Syrie, a trouvé un très bel argumentaire pour justifier l’impératif de restaurer les relations tuniso-syriennes.
Pour lui, «la Syrie et la Tunisie ont réussi deux exploits: la première a remporté une guerre militaire tandis que la deuxième a réussi une belle transition politique, l’unique dans le monde arabe”.
C’est certain, les deux pays ont beaucoup à apprendre l’un de l’autre. La Syrie a besoin de s’initier aux rouages de la démocratie, tandis que la Tunisie a besoin de mettre en place, pour consolider sa jeune démocratie, d’un Etat fort capable de se défendre contre toutes sortes d’agression. Un profil d’Etat qui manque actuellement aux Tunisiens.
A bon entendeur.