Une vidéo ramène dans la profondeur de la mer des Iles Kerkennah près de Sfax, aux portes du sud tunisien, vers un mouvement d’insouciance et de fuite incontrôlable qui “rejoint un peu la technique de pêche au chalut (connue sous l’appellation kis ou sac en arabe) surtout celui avec des mailles plus petites qui ravage les fonds, racle ce qui reste et tout ce qui est algue, la niche même des poissons et la vie en mer disparaît.
Faisant partie de l’équipe ayant réalisé l’exposition “Matza Kerkennah” dont le vernissage a eu lieu vendredi soir au Musée du Bardo, l’architecte Karim Ben Amor parle d’une fuite à l’avant comme dans cette vidéo de deux minutes filmée sous la mer qu’il propose et dans laquelle il tire la sonnette d’alarme sur l’absurdité de la situation environnementale sous marine.
Malgré cet aspect sombre dont l’exposition cherche à mettre en avant en vue de sensibiliser sur la gravité d’une pratique de pêche ravageuse, le monde sous marin et l’odeur des filets de pêche transportent l’observateur vers le monde des pêcheurs et l’ambiance dans les ports de pêche.
Cet architecte tunisien qui présente aussi un filet de chalut, s‘intéresse aux problèmes du chalut ou le chalutage, une technique de pêche maritime de plus en plus adoptée par les Kerkennois mais qui arrache les fonds marins et appauvrit la mer de son poisson et de sa faune.
Les pêcheurs de Kerkennah qui font usage aux techniques traditionnelles comme les nasses et le filet ont recours à cette technique, car c’est leur seul moyen de subsister. Ils n’ont plus que cette technique du chalut mais qui prend tout sur son chemin. Le bilan qu’il donne est plus qu’alarmant car “Il nous reste deux à trois années de pêche sur ce rythme et tout deviendra désert et néant”.
Des photographies et des objets du quotidien sont également exposés. Le suisse Séverin Guelpa, initiateur de cette exposition propose des sculptures réalisées avec l’appui d’artisans de Kerkennah dont un ferronnier qui répare les nasses.
Sur l’île, il y a un recyclage permanent des matériaux abîmés par la mer car cela coûterait moins cher de les remplacer. L’artiste constatait que quotidiennement, les gens refont ces gestes pour permettre aux pécheurs de repartir en mer. Séverin se dit très touché par ce travail de longue haleine car “derrière se cache une histoire qui se raconte, une histoire familiale”.
Une série de circonstances sur l’île a touché l’artiste qui expose également des nasses qu’il a construites avec un ferronnier et des pêcheurs et dans lesquelles il a intégré des hauts parleurs, une référence syndicaliste porteuse d’une métaphore de ce haut parleur utilisé dans les manifestations.
Un arbre mort et déraciné est placé au fonds de la salle donnant l’impression comme si l’on débarque sur l’île. Une idée réalisée par Nathalie Rodach, franco-suisse résidente à Genève: l’espace est encerclé d’une ligne bleue avec l’arbre placé au centre, presque en suspension.
L’artiste évoque certains aspects qui ont capté son intérêt à Kerkennah qui constitue “une île-Homme complètement cernée par l’Horizon”. Un lieu où il y a en permanence des allers retours, des mouvements qui vont et viennent, la marée comme le bac, une espèce de fantasme de certains qui partent et d’autres qui reviennent.
Une réflexion spirituelle sur cette île d’horizon, avec toujours un point où on recherche plus loin. A travers cet arbre, elle se questionne sur ” la symbolique des lieux qui bougent toujours et l’humain reste toujours immobile et se promène avec ses racines et ses attributs”.
Elle cherchait à travers cet arbre à représenter toute une île déracinée mais qui puisse bouger comme l’homme. Une question spirituelle qu’elle assimile à “l’alchimiste qui a le trésor à ses pieds, mais en vérité le trésor est en nous”.
L’idée artistique qu’elle voulait transmettre concerne essentiellement un ensemble d’ordre à la fois sociologique, écologique, politique, philosophique, historique…Autant de points d’interrogations sur cet avenir incertain sur Kerkennah, une île qui serait en passe de disparaître: Qui y a-t-il de l’homme? Que cela représente-t-il pour nous? A quel point est-ce important? Et elle continue: si la terre diminue, est-il un signe qu’il est déjà le moment de faire attention aux choses et aux êtres, non pas en cherchant ailleurs mais en faisant avec ce que nous avons.