“Prenons soin de la Tunisie“, n’est pas un cri de détresse. C’est le cri de ralliement lancé par le chef du gouvernement, à l’attention du bon peuple. Pourra-t-il mobiliser la majorité silencieuse contre les infâmes et les frondeurs qui embrasent la rue? Par certains aspects, Youssef Chahed semble prendre un risque… calculé. Et par d’autres, il prend un pari risqué. Un banco difficile.
Youssef Chahed a évité toutes formes de coup d’éclat, ce dimanche soir (16 avril 2017), face à un Jury bien incisif, qui ne manquait pas de mordant. Il se contentait de donner la juste réponse, sans emphase. C’était salutaire pour la profession. Et pour la démocratie.
Le pari de Pascal : Plier ne pas rompre
L’intervention s’était déroulée en mode pragmatique et serein. Il a cherché et réussi, dans une grande part, à surfer sur le vacarme ambiant. Alors que la circonstance plaidait en faveur d’un discours grave et solennel, lui a parié sur le format de l’interview, où il devait ferrailler. Un véritable exercice à balles réelles, de full contact, diraient les Anglo-saxons. Mais cela, il le savait d’avance. En restant maître de lui-même, alors qu’il n’avait bénéficié d’aucun répit, il donnait à son intervention un caractère d’adresse à la nation.
De plus, il a innové –en Tunisie-, en choisissant de tout déballer, de tout mettre sur la table. Cette option de transparence aurait pu le montrer en état de faiblesse, ce qui n’est pas à son avantage. Mais, courageusement, il a voulu prouver qu’il s’adressait au mental des Tunisiens et non à leur affect. Sera-t-il entendu?
Oui, il est dans une situation délicate, car soutenu par sa majorité à l’Assemblée, mais qui le torpille sur terrain. Oui, l’Etat manque de ressources pour financer son plan de développement. Mais malgré la tempête, il tient le cap. On s’acharnait à lui répéter qu’une crise est là. Invariablement, il affirme que la reprise est là. A aucun moment il n’est apparu ni fragile ni vulnérable. Il a opté pour le pari de Pascal. Il est le roseau, frêle, qui plie face aux difficultés et au mécontentement populaire -légitime et compréhensible. Il n’est pas le chêne qui résiste quitte à rompre. A l’évidence, c’est à la fois un exercice de lucidité politique et de roulette russe.
La question est donc de savoir s’il peut s’extraire à cette machine d’intox et de désinformation qui broie les gouvernements. Les Tunisiens, las et agacés des fourberies de rue des infâmes, lui laisseront-ils le temps de continuer?
La crise est montée de toutes pièces
Youssef Chahed sait que la crise politique –et par ricochet sociale- est montée de toute pièce. Cependant et pour l’instant, cette mayonnaise de la fronde semble avoir pris, mettant l’opinion, non pas sous tension, mais dans l’expectative, tout de même. Combien de temps durera-t-elle? En tous cas, il s’emploie à la dégonfler, et son intervention prête à croire que c’était le premier acte à détricoter cette machination. Et, toujours en douceur, sans faire d’étincelle.
Lors de son interview, Youssef Chahed n’informait pas mais communiquait, c’est-à-dire qu’il délivrait message sur message. D’abord, il laisse entendre que la chute de son gouvernement serait une erreur fatale qui éloignerait définitivement l’objectif, incontournable, de stabilité.
Les nihilistes, comme disait Mondher Bouattour, fin observateur de la vie politique, allument nos campagnes et nos régions de l’intérieur mais le feu ne se propage pas. Les partenaires remuants de la majorité parlementaire s’allient avec ceux qui contestent le verdict des urnes. Ensemble, ils cherchent à berner le bon peuple et s’évertuent à laisser croire que l’agitation de rue traduit un retournement de majorité chez le peuple. “A moi la gestion méthodique des affaires de la Tunisie, aux agents des ténèbres d’orchestrer la pagaille“, laisse entendre le chef du gouvernement.
Finalement, Youssef Chahed est un faux tendre. Son assurance traduisait bien sa résolution. On s’acharne à lui démontrer qu’il était poignardé dans le dos par les siens -ce qui fragilise le sort du GUN (Gouvernement d’union nationale). Sans broncher, il ressort sa feuille, martelant sa résolution à rénover l’Etat et son appareil. Et à favoriser le dynamisme économique.
C’est un exercice de voltige en communication, de tout déballer et d’aligner les réalisations pour montrer que le timonier, fortement chahuté, écoute sa conscience et les appels du peuple. La question est de savoir s’il peut résister à la curée qui le vise et qui répand, entre autres éléments, qu’il est le docile exécutant du Palais.
Les amateurs en politique, les propagandistes de tous bords, naïfs et saboteurs compris, cherchent à le présenter dans la peau de Premier ministre, donc à la solde de… Serein, imperturbable, sûr de lui et habilement manipulateur, il reste toujours sur le terrain de la compétence. C’est un nouveau discours pour une nouvelle méthode. C’est sa marque de fabrique. Les Tunisiens le percevront-ils comme l’homme de la situation, c’est-à-dire capable de prendre ses responsabilités en ces temps difficiles? Le pays est-il inflammable comme le font croire l’intox et la machine à désinformer?
Il appelle le bon peuple, et les organisations nationales à constituer le “fire wall“ pour empêcher qu’il s’embrase. En impliquant l’UGTT et l’UTICA, dans une riposte concertée, il étend le front et organise la résistance. Ces partenaires seront-ils au rendez-vous?
Un chef du gouvernement au mental de roc peut-il protéger un Etat affaibli?
Le chômage, les inégalités, la fraude fiscale, la corruption, les déficits jumeaux, les déséquilibres en tous genres et l’informel qui s’affichent avec arrogance, rien n’a manqué au tableau d’une Tunisie qui tient par miracle. On lui laisse entendre que dans cette mélasse, savamment organisée, le gouvernement patauge. On le voulait qui démarre au quart de tour, le voilà qui souffre de retard à l’allumage. Le bon peuple ne voit rien venir, ou si peu. La convalescence économique et réformatrice est lente à se mettre en place et à donner des fruits.
L’arsenal juridique doit être renouvelé, les procédures parlementaires prennent du temps, soutient Youssef Chahed.
Stoïque, le chef du gouvernement accepte qu’on sonne la charge contre son gouvernement. Telle est la règle en démocratie, dira-t-il, contraint, forcé et convaincu. Mais, Hégélien, il appelle le peuple à empêcher que les infâmes sonnent le hallali pour porter atteinte à l’Etat.
Cette agitation orchestrée est un véritable écran de fumée pour faire croire qu’il s’agit d’une contestation populaire. Lui a-t-il pour autant retiré sa confiance? On est dans le déni de confiance, selon le chef du gouvernement. Les investisseurs sont là. En septembre, le chef de l’Etat, Béji Caïd Essebsi (BCE), en déplacement à New York, a pu rencontrer, en deux jours, le président des Etats-Unis, le SG de l’ONU, le président de la BM et la DG du FMI. Et, d’ailleurs, le FMI fait confiance au GUN et il se fait réconciliant. A Bruxelles, BCE a bénéficié, événement inédit, d’un leaders meeting, avec le président du Parlement, le président de la Commission européenne et celui du Conseil de l’Europe.
Le marché de la dette internationale, malgré les sirènes d’alarme des agences de notation, continue à avoir du répondant pour la signature de la Tunisie. Youssef Chahed n’a pas utilisé tous ces atouts bien réels. Mais il les avait certainement en mémoire pour affirmer que l’Etat est sur la bonne voie. Et que le déni de retour de confiance est la marque d’une machination hostile, dirigée contre l’Etat.
Maintenant, sa résolution suffira-t-elle pour protéger l’Etat?
Les non-dits
Envers et contre tout et tous, le chef du gouvernement s’oblige à rester dans une posture honorable de combattant qui respecte le code d’honneur et les règles de la guerre. On ne l’a pas vu ruer dans les brancards et tomber dans le piège des rixes tapageuses où veulent l’entraîner les ennemis de l’Etat. Tout à son honneur de ne pas avoir sali les gouvernements qui l’ont précédé. Rien ne l’empêchait de mettre à l’index le gouvernement de la Troïka pour usage de chevrotine contre les masses populaires. Les mœurs politiques dans notre pays en seront ennoblies.
Mais Youssef Chahed pourrait ruminer une manœuvre d’une autre nature. Toutes ces tribulations ont été possibles à l’ombre d’un régime politique dit parlementaire modulé. Et s’il exploitait la grogne populaire pour précipiter une révision constitutionnelle pour aller, disons, vers un régime présidentiel modulé? L’hypothèse est plausible. Il pourrait exploiter le spectre des élections anticipées avancées par les relais de ses partenaires déviants pour solliciter un référendum populaire en faveur d’un régime présidentiel. Ses partenaires savent qu’il est homme à mener une telle croisade. Et c’est peut-être pour cela qu’ils cherchent à le déstabiliser. L’idée ne manque pas de consistance.