Jamais de toute l’histoire de la Tunisie, nous n’aurions assisté à des scènes de violence verbale et des comportements aussi grossiers et même choquants dans l’enceinte du temple du pouvoir législatif : le Parlement tunisien.
Les députés élus par le peuple sont censés non seulement protéger ses intérêts et légiférer pour offrir le meilleur cadre légal à toutes les actions de l’exécutif, mais aussi donner l’exemple en matière de rigueur, bonnes manières et respect de l’Etat, de ses institutions, ou encore, et c’est la moindre des choses, le respect des horaires pour servir au mieux les causes de leurs concitoyens. Les fois où les ministres attendent des heures que les députés veuillent bien occuper leurs sièges ne se comptent pas. Le taux d’absentéisme à l’ARP est à écrire dans les annales du pays ainsi que les pertes sèches en temps et en argent. Sans oublier les abus de pouvoir.
Le dernier incident en date est celui de Fayçal Tebini, député Jabha, qui a fait «une descente» dans le centre de police secours à Boussalem pour exiger des agents de l’ordre de quitter les lieux pour se charger, lui-même, de gérer le poste. Il leur a intimé l’ordre d’opérer sur terrain. Surréaliste! Le monsieur a oublié que le seul terrain où il doit imposer sa petite personne est celui de l’ARP.
A l’ARP, haut lieu du pouvoir législatif et jusqu’en 2011, respecté et révéré, le climat est devenu réellement tragi-comique. On y voit de toutes les couleurs politiques, bien sûr, mais également au niveau comportemental, des attitudes indignes de représentants du peuple. Des fois ce sont des scènes d’hystérie où les députés (es) s’expriment sur un ton acéré, répugnant et désagréable pour les auditeurs ou téléspectateurs qui suivent de près les débats de l’Assemblée.
D’autres fois, ce sont des menaces à peine voilées. Comme ce fut le cas de Zeineb Brahmi, députée du mouvement Ennahdha lors du dernier discours de Habib Essid, ancien chef du gouvernement à l’Assemblée. La «jeune» députée a cru bon de rappeler à toute l’assistance et au peuple tunisien rivé devant la télé qu’à Gafsa au matin, on ne dit pas aux enfants «réveillez-vous» (noudhou) mais plutôt révoltez-vous (thourou)! Comme si tout le pays devait supporter et à tous bouts de champs les velléités révolutionnaires des uns et des autres ou leurs mises en demeure.
Samia Abbou, du Tayar, a tour à tour osé crier au visage d’un ministre qui représente, qu’elle le veuille ou non, une institution de l’ETAT qu’elle se doit de respecter: «Vous mentez monsieur le ministre», et traité le chef du gouvernement d’être «un enfant qui saute». Elle est allée jusqu’à participer aux marches des étudiants les incitant à défier la police et à provoquer les forces de l’ordre, qu’elle avait auparavant menacées à l’ARP. Bel exemple de civisme, alors qu’elle est censée militer pour le respect des lois, étant celle qui les adopte.
La liberté de parole est un privilège dont bénéficie systématiquement tout député dans tous les Parlements du monde, il ne peut ni être poursuivi, arrêté ou emprisonné en raison de paroles prononcées, dans l’exercice de ses fonctions à l’Assemblée. Ceci l’autorise-t-il pour autant à employer un langage grossier ou irrespectueux envers ses homologues ou à l’égard des membres du gouvernement? Le statut de députés ne les autorise nullement à être offensants, blessants, irrespectueux et encore moins à proférer des menaces. Ce fut le cas, comme toujours, de Semia Abbou suite aux incidents qui ont eu lieu entre les forces de l’ordre et les étudiants en droit. Quelle honte aujourd’hui de voir des députés se délecter d’avoir malmené un ministre ou un haut commis de l’Etat oubliant qu’ils portent atteinte à l’Etat lui-même en agissant ainsi! Comment attendre du peuple qu’il respecte l’Etat et ses institutions lorsque ses élus sont aussi discourtois et irrespectueux?
A l’ARP, les voix sereines qui débattent avec calme et sérénité sont l’apanage d’une minorité. Les autres se prennent pour des «judokas» dont la mission principale est d’amener les adversaires au sol, et il se trouve que ces derniers représentent très souvent l’Etat.
Rares sont les fois où nous assistons à des débats constructifs, où l’enjeu n’est pas de détruire l’autre mais de construire le pays si ce n’est parfois des propositions visant plus de privilèges comme ce fut le cas de Ghazi Chaouachi qui sollicitait des passeports diplomatiques pour les familles des députés et la possibilité de se soigner à l’hôpital militaire.
Loin de plancher sur les problèmes des électeurs, beaucoup parmi les élus raisonnent eux aussi en «soldats», menant des guerres pour gagner le butin.
Un Parlement est la démonstration la plus politique du contrôle de l’Etat et est aussi le moyen le plus efficace pour le mettre aux devants de ses responsabilités. Les députés, dont les partis sont au gouvernement et en temps normal, devraient être ses meilleurs alliés.
Aujourd’hui, à l’ARP, les représentants du peuple se limitent à la mission de contrôle et de flagellation du gouvernement et les débats sont souvent l’occasion pour les observateurs de relever les limites intellectuelles de nombre de leurs élus.
Même si les députés ne sont pas tenus d’avoir de hauts diplômes universitaires, il est des conditions incontournables: celles du patriotisme, du respect des engagements envers les électeurs, de la maîtrise des dossiers à traiter et des lois et surtout les qualités de civilité et de bienséance. Qualités trop souvent absentes chez nombre de nos députés au grand dam des Tunisiens qui réalisent de plus en plus que la Tunisie est en train de se transformer en une République bananière dirigée par une petite ploutocratie!