Les islamistes (nahdhaouis et salafistes de tous bords) ont retrouvé, ces temps-ci, le poil de la bête et repris l’avantage sur les laïcs en tirant le meilleur avantage de la faiblesse de l’Etat et de l’alliance contre nature des deux plus grands partis du pays, Nidaa Tounès et Ennahdha.
Pour ne citer que les événements les plus récents, les religieux sont parvenus à fermer, à El Jem (haut lieu touristique), un débit d’alcool dont le propriétaire dispose pourtant d’une autorisation administrative en bonne et due forme.
Croisade contre la vente d’alcool
Depuis, des imams se relayent sur les plateaux des médias pour exprimer haut et fort leur opposition à la vente d’alcool et, par-delà, au tourisme. A El Jem, à Msaken et à Sfax, la vente d’alcool est devenue le prétexte d’imams radicaux dont les salafistes mskanien, Bechir Ben Hassen, et sfaxien, Ridha Jaouadi, pour revenir sur le devant de la scène.
Les salafistes ont réussi, également, le vendredi 31 mars 2017, à obtenir de l’administration la fermeture d’une boîte de nuit à Hammamet (station touristique) où un DJ a mixé l’appel à la prière avec de la musique électro. La justice, réputée pour être lente et carrément inefficace, a pris les choses en main avec une célérité inouïe. Elle a condamné le DJ britannique à un an de prison par contumace, et ce dans un pays qui se dit touristique.
Ces incidents interviennent après celui survenu, le 16 février 2017, à Djerba. Harry Bitten, un restaurateur tunisien de confession juive, a été victime de harcèlement par des extrémistes religieux, devant son restaurant touristique à Djerba.
Ces islamistes ont assailli le restaurant et demandé à ce dernier de fermer son commerce parce qu’il sert de l’alcool, alors que, lui ont-ils dit, la Tunisie est un pays musulman réservé à ceux qui pratiquent cette religion.
Point d’orgue de cette croisade contre la vente d’alcool, l’appel lancé le 6 avril 2017 par le président du Conseil des syndicats nationaux des imams et des cadres des mosquées (un syndicat fantoche proche d’Ennahdha), Chihebeddine Telliche, lequel réclame la fermeture de toutes les boîtes de nuit et des points de vente de boissons alcoolisées du pays.
«Cette revendication s’inscrit, selon lui, dans le droit du respect des dispositions de la Constitution ainsi que des lois et de la religion du pays».
La question identitaire ravivée au Parlement
Même au Parlement, la religion et la question identitaire sont de nouveau d’actualité. Lors de la discussion par la Commission de la santé et des affaires sociales de l’examen du projet de loi réorganisant les jardins d’enfants, les députés nahdhaouis ont rejeté en bloc une suggestion de Neziha Labidi, ministre de la Femme, de la Famille et de l’Enfance. Cette suggestion préconise d’enlever la mention du thème identitaire arabo-musulman qui peut être interprété de diverses manières et mener ainsi à des situations contraires à l’esprit du nouveau projet de loi et à ses objectifs et pour fermer la porte devant toute possibilité d’instrumentaliser les jardins d’enfants à des fins idéologiques, surtout que l’identité arabo-musulmane n’est pas menacée en Tunisie.
Au niveau de l’exécutif, des ministres ont été amenés à battre en retraite. Néji Jalloul, ministre de l’Education, a été poussé à accepter un jugement en faveur du syndicat des imams et des cadres des mosquées.
Ce syndicat avait déposé une plainte près du Tribunal de première instance pour supprimer deux exercices faisant partie du livre de grammaire de la 9ème année de base.
La raison invoquée par les plaignants est que les exercices en question contiendraient des reproductions faussées de versets du Coran, ce qu’ils ont considéré comme étant une atteinte aux saintes écritures.
Ce son des islamistes rétrogrades qui gouvernent le pays
Moralité: au regard de la passivité et du laxisme du gouvernement en place, on ne peut pas s’interdire d’avancer que l’exécutif en Tunisie, avec ses deux têtes, sont bien aux mains des islamistes du gourou Ghannouchi et descendants.
La tension entre liberté de conscience (article 6 de la Constitution) et respect du sacré est à nouveau à l’origine d’une polémique en Tunisie.
La religion, considérée au-delà de sa valeur intrinsèque comme un élément d’identité culturelle, reste une zone d’hypersensibilité d’une frange de la société tunisienne.
La nouvelle Constitution, qui consacre les principes de la liberté d’expression et de la liberté de conscience, ne semble pas convaincre les islamistes qui restent attachés à la Chariaa.
Suivre les exemples algérien et marocain
Pourtant, deux pays voisins, en l’occurrence l’Algérie et le Maroc, ont résolu cette problématique en légiférant.
En Algérie, il y a une loi qui interdit aux imams de faire de la politique et de se présenter aux élections. Dans l’esprit de cette loi, “la mosquée est un lieu de culte et non un endroit pour faire de la politique”. Conséquence: les imams doivent “choisir entre prêcher dans les mosquées ou faire de la politique”.
Mieux en Algérie, les religieux et surtout ceux qui tiennent des discours excommunicateurs et extrémistes sont interdits d’antenne. Objectif: empêcher aux imams cathodiques qui énoncent interdits et fatwas, faux prophètes, pseudo-dieux, charlatans et autres exorcistes de s’accaparer du «fait religieux».
Au Maroc: la loi interdit toute vie politique et syndicale aux imams du pays.
Près d’une décennie après les attentats du 16 mai 2003 à Casablanca, le Roi Mohammed VI a initié, en 2014, une deuxième réforme importante en matière de religion. Désormais, les imams sont interdits de vie politique et syndicale.
Dans ce pays, la loi réglemente de manière claire l’activité des religieux et rappelle aux imams le respect du rite Malékite ainsi que le port de l’habit marocain lors des prières et des prêches.
Sur le plan culturel aussi, les imams au Maroc n’ont pas le droit de critiquer les manifestations culturelles.
A titre indicatif, l’un d’entre eux a été congédié après avoir critiqué le festival Mawazine “Rythmes du Monde”, lors d’un prêche du vendredi. Le prédicateur, très influent dans sa ville, a qualifié cet événement artistique d'”extravagance et de perte de temps pour les musulmans”.
En 2013, un imam de la ville impériale de Fès avait été licencié pour les mêmes motifs.
Il faut séparer le politique du religieux
Par-delà les dérapages des imams en Tunisie et des avancées significatives dans les pays voisins en matière de réglementation des activités des religieux, le moment est venu pour légiférer et appliquer la loi et la Constitution. L’idéal serait de consacrer la séparation entre le religieux et le politique, et ce pour une simple raison: les imams ont un important pouvoir de persuasion, tout particulièrement le vendredi, jour de prêche. Ces lois viseraient donc à les empêcher de donner leur avis dans les règlements de comptes politiques.