Borhène Dhaouadi est le président de CBC, structure de planification du projet Bizerte ville intelligente. Bizerte épouse la marche du siècle et se donne une perspective de développement en harmonie avec le XXIème siècle et les composantes de la croissance et de la richesse de demain.
Bizerte a toujours été au cœur de l’histoire de la Tunisie. Elle a été convoitée par Jules Ferry qui a lancé la colonisation de la Tunisie. C’est la bataille de Bizerte qui nous a délivrés, définitivement, de l’occupation étrangère. Au centre de la Méditerranée, elle fait irruption au centre de la problématique du développement régional.
WMC : Le projet “Bizerte 2050, Smart City“ est tout à fait en rupture avec toutes les réflexions traditionnelles sur la planification et les stratégies de développement régional. Qu’est-ce qui vous a mis en piste pour cette initiative originale?
Borhène Dhaouadi : La tendance planétaire nous conduit à un monde plus urbanisé avec l’hyper connectivité des hommes et des objets. Cette mutation repose sur une transformation numérique majeure qui ne peut être ignorée par les villes qui souhaitent accompagner les nouvelles manières de vivre. La gestion de la donnée avec le Big Data est au cœur des défis à venir de la transformation des villes.
A ce titre, la plupart des grandes villes ont déjà intégré dans leur politique urbaine, avec le lancement de nombreuses initiatives, la gestion et l’utilisation de la masse d’informations qui remonte des infrastructures et des systèmes d’informations en place. Bizerte doit, dès aujourd’hui, se saisir de cette opportunité historique pour créer les conditions d’une transformation digitale, d’un saut technologique, et donc d’un développement basé sur l’exploitation intelligente des données collectées.
Faire de Bizerte une «ville connectée» et l’inscrire comme objectif prioritaire garantiront à la ville et à l’ensemble de son écosystème une accélération des échanges d’informations, la création de nouveaux services et donc un vivier majeur de création d’emplois. En ligne avec la stratégie digitale de la Tunisie pour les années à venir, Bizerte doit être identifiée comme destination des nouvelles technologies à forte valeur ajoutée en Tunisie, et doit viser ainsi la création de milliers d’emplois dans le secteur des nouvelles technologies autour de projets «Smart City».
Une participation active à la mise en place des orientations stratégiques pour la région de Bizerte m’a conduit justement à remettre en cause le mode de fonctionnement habituel et une intime conviction de la nécessité d’effectuer un changement profond dans la démarche du développement territorial m’a emporté.
“Coworking business Center“ est votre matrice de réflexion. Mais quels sont les moyens et les compétences qui ont été engagés? Quelles ont été jusque-là vos sources de financement?
C’est un lieu de travail propice à la réflexion et à la recherche, au développement du business et à la création d’entreprises: 1.000 m² de bureaux équipés et connectés avec un business Café, un business longue, un Print Center, 50 bureaux et deux salles de réunion.
C’est un lieu dans lequel nous transformons les rêves en projets.
Quant aux compétences engagées, il s’agit d’architectes, urbanistes, paysagiste, juristes, comptables, boîtes de communication, graphistes, ingénieurs, bureau de contrôle, industriels, associations …
C’est un investissement privé. Les sources de financement de nos travaux à ce jour c’est les membres de l’équipe et nos sociétés respectives.
D’une certaine façon, vous avez anticipé la décentralisation. Par ailleurs, vous avez configuré par vos propres moyens les contours du Grand Bizerte. Ce découpage régional est-il viable et sera-t-il validé par l’administration centrale?
Bizerte a toujours tourné le dos à son Lac, c’est grand temps de se réconcilier avec lui, après le programme de dépollution, il est plus que nécessaire de travailler sur une nouvelle configuration territoriale qui placera le lac au cœur du système urbain du Grand Bizerte. On parlera ainsi d’une métropole bizertine et d’aire métropolitaine bizertine!
Nous pensons que ce découpage est viable et il le sera encore plus avec l’évolution des systèmes de transports et de la mobilité.
Quant à l’administration, elle ne peut qu’approuver des démarches qui facilitent la gestion du territoire en termes de ressources et de moyens avec un souci permanemment de mutualisation…
Le 26 avril, vous présenterez le projet au public et il est prévu que le chef du gouvernement soit présent. Le lendemain, 27 avril, vous réunirez des ateliers de discussion pour les principales composantes du projet. Vous entrez donc en phase de concrétisation. Qui s’occupera désormais du suivi du projet?
Un think’lab sera mis sur pied pour une année, et il y aura un interlocuteur au nom du collectif qui sera, d’une certaine façon, Mr “Bizerte Smart City“.
La réalisation d’un projet d’une telle ambition nécessite un mix entre la société civile et les autorités. Comment vous y prendrez-vous et par ailleurs quels seront vos partenaires internationaux?
Un comité d’organisation baptisé «Bizerte Ville Durable» -composé d’entreprises, des autorités régionales et locales, des associations, de députés, d’experts nationaux et internationaux- démarrera la préparation des études stratégiques, et ce même comité assurera le lancement effectif et le suivi du projet.
Des entreprises internationales s’intéressent à notre démarche, entre autres ATOS, XEROX, SHNEIDER ELECTRIC, MICROSOFT, QUADRAN …
Quelles seront les grandes composantes du projet Bizerte 2050 Smart City?
La ville de Bizerte s’engage dans la mise en œuvre de 10 chantiers structurants pour son plan stratégique «Smart City»:
- Le lancement d’un schéma directeur à court, moyen et long termes. Identifier, organiser et prioriser de manière pragmatique les chantiers de transformation numérique à mettre en œuvre dans le plan Bizerte Smart City. Le lancement de deux chantiers d’expérimentation devra être décidé avant la fin de l’année 2017.
- La création d’une commission de coordination Smart City Ville connectée qui organise, pilote et exécute les projets identifiés Smart City (Entité MOA qui représente le numérique dans la ville).
- Garantir les infrastructures numériques favorisant l’accès à l’information et à la réduction de la fracture numérique par le haut débit avec la mise en en œuvre de la fibre optique dans le Grand Bizerte, l’accès à la 5G et au wifi public.
- L’intégration dans ses projets d’infrastructures du déploiement des capteurs intelligents et des objets communiquant permettant la collecte des données à des fins d’amélioration des services en place ou de création de nouveaux services.
- La construction d’un système d’information permettant de fédérer les systèmes des différents acteurs urbains et de les rendre interopérable. Les acteurs de la ville pourront ainsi mieux superviser les systèmes d’exploitation, mieux anticiper et organiser la gestion de la ville et les interventions adéquates.
- La création de services numériques des administrations publiques «e-administration» offrant une facilité d’accès aux services publics transparents, agiles et efficaces pour les citoyens, les entreprises locales ou encore les partenaires étrangers.
- L’adoption d’une politique d’Open Data offrant à la société civile et aux entreprises la possibilité d’utiliser les données pour inventer de nouveaux services urbains.
- Outre l’offshore inscrit au plan de la transformation digitale en Tunisie, Bizerte doit s’inscrire dans la création de compétences locales par le biais de formation de haut niveau et des transferts technologiques avec ses partenaires. L’objectif majeur visé doit être celui de la formation de potentiels, d’expertise et de services à très haute valeur ajoutée.
- La création et l’animation d’un Technopark faisant de Bizerte un pôle de nouvelles technologies majeures en Tunisie et agissant dans plusieurs domaines technologiques d’excellence (e-sport, e-energy, e-tourism, e-transport, e-agriculture). L’objectif consiste à accompagner la naissance de «champions» développant des solutions innovantes à forte valeur ajoutée. La collaboration entre pôle de compétitivité, R&D, organismes publics, écoles, entreprises & start-ups sera inscrite comme socle favorisant l’innovation et le développement des compétences et des expertises.
- L’appel d’investisseurs financiers (tunisiens & étrangers) favorisé par des aménagements fiscaux. L’enjeu majeur est d’offrir à ces investisseurs l’accès à des projets locaux ou tournés vers l’Afrique.
Pensez-vous que votre projet parviendra à enthousiasmer, enfin, les jeunes chercheurs tunisiens?
Certainement oui, et pas que, nous pouvons, à travers notre projet, capter les chercheurs africains et de toutes les nationalités. Nous souhaitions que Bizerte devienne un laboratoire à ciel ouvert, une destination privilégiée de la recherche et des chercheurs!
Envisagez-vous de procéder à un jumelage avec une ville phare, de par le monde, qui aurait réussi son programme Smart City?
Nous pensons pouvoir suivre le modèle grenoblois … Pour assurer une mutation progressive vers une smart city autour des mêmes thématiques TIC et ER.
Pensez-vous lever une vague de dynamisme économique dans la région avec votre projet et engager les opérateurs économiques, notamment les opérateurs de la zone franche et de la ZI d’El Azib, dans une logique de digitalisation?
Bien sûr que oui, d’autant plus qu’au niveau central le ministère aborde déjà les notions de Smart Industrie … et met de plus en plus l’accent sur les industries à forte valeur ajoutée !
Le Grand Bizerte sera encadré, au nord, sur sa corniche, avec la forêt du Nadhour, à l’est, avec celle de Rimel, et sur son flanc ouest, par le lac de Menzel Jemil. Avec ce cadre californien, ne négligez-vous pas, dans votre plan, la composante touristique?
Le tourisme de la bronzette, on n’en veut pas à Bizerte! On veut du tourisme intelligent. Du tourisme académique. Du tourisme écologique. Du tourisme sportif.
Bien au contraire, la notion de smart city est en soi une démarche qui rend un territoire attractif et donc visité, et notre ambition est de favoriser ce tourisme qualitatif et thématique respectueux de l’environnement.
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A propos du projet “Bizerte 2050 Smart City“
Le projet de ville intelligente répond à la problématique de transformation durable et intelligente des territoires urbains.
Le concept se définit comme un écosystème de parties prenantes (gouvernement local, citoyens, associations, entreprise locales et enseignes internationales). Le tout est d’atteindre une stratégie de développement durable, en utilisant les IT comme facilitateur pour atteindre le développement économique, le bien-être social et le respect de l’environnement.
Smart city utilise les IT pour améliorer les qualités des services urbains et en réduire le coût. En un mot, une ville intelligente respectueuse des ressources et des individus.
Comment vivre dans une Smart city: le stationnement en réseau, l’arrosage autonome des espaces verts, l’éclairage public autonome et des réverbères comme terminaux connectés, etc.