“Prévention et répression: la corruption, une exigence démocratique dans un Etat de droit; regards croisés des deux rives de la Méditerranée sur la gestion des risques et les bonnes pratiques”. C’est sur ce thème d’actualité que se tiennent les premières journées franco-tunisiennes de lutte contre la corruption organisées à l’Institut Français de Tunisie, à Tunis les 15 et 16 courant.
A cette occasion, le ministre tunisien de la Justice, Ghazi Jribi, a fait de toute son inquiétude sur la question de la corruption. Car, selon lui, la corruption sape les fondements de la souveraineté de l’Etat et détruit l’économie nationale. En outre, elle “menace la construction démocratique et affaiblit l’Etat”.
Ce phénomène est d’autant plus inquiétant qu’il traverse les frontières, n’épargnant aucun pays et menaçant, par ricochet, la stabilité sociale et la sécurité du pays. Ce qui explique, du reste, que la Tunisie ait adhéré pleinement à la lutte contre la corruption et mis en place une stratégie nationale de lutte contre ce phénomène.
Et de préciser: “cette stratégie est basée sur la révision de la législation et son adaptation aux principes de la Constitution tunisienne de 2014 et aux conventions internationales ainsi que sur le renforcement des mécanismes de prévention et du dispositif de contrôle”.
Mais, M. Jribi estime que pour lutter efficacement contre la corruption, il convient de renforcer le rôle des instances indépendantes de régulation, engager des réformes profondes dans l’administration tunisienne et promouvoir l’administration électronique, accélérer l’examen des dossiers et raccourcir les délais, garantir l’indépendance de la magistrature et renforcer la formation des juges. En plus, il est impératif d’y associer les médias tout en évitant la diffamation, les fausses informations et l’atteinte à la vie privée des personnes.
Pour sa part, Olivier Poivre d’Arvor, ambassadeur de France en Tunisie, a renouveler l’engagement de son pays à soutenir la Tunisie dans ses efforts de lutte contre la corruption notamment à travers le partage d’expériences dans ce domaine. Car, “la corruption est un phénomène universel qui pénalise l’activité économique en détournant une partie de l’investissement au profit d’intérêts privés causant préjudice à l’intérêt général”, surtout qu’elle “favorise des entreprises qui ne sont pas nécessairement innovantes”.
Le diplomate français va plus loin pour souligner que la corruption fait fuir les capitaux et les ressources humaines en allant chercher ailleurs un environnement plus stable et plus sûr.
Présent lors de cette journée inaugurale de cette rencontre tuniso-française, Chawki Tabib, président de l’Instance nationale de lutte contre la corruption (INLUCC), avance que la corruption coûte à la Tunisie 4 points de croissance et une perte substantielle au niveau des recettes de l’Etat, notamment à cause de l’économie informelle. De ce fait, ajoute-t-il, “cette question est au cœur des défis de notre pays puisque le peuple tunisien, à travers la société civile et les médias, n’a de cesse de réclamer des actes concrets et des résultats et non des discours et des déclarations d’intention”.
Et en évoquant des “résultats et non de discours”, le président de l’INLUCC sait de quoi il parle. En effet, en dépit de l’adoption en décembre 2016 de la stratégie nationale de lutte contre la corruption et la bonne gouvernance et son inscription dans le pacte de Carthage comme priorité nationale, il reste beaucoup à faire, à commencer par doter le pays d’un organe indépendant ayant des prérogatives réelles et des moyens -financiers et humains- afin qu’il soit capable de mener à bien sa mission.
Pour sa part, dans son intervention portant sur la “lutte contre la corruption: l’indispensable pression citoyenne”, Eva Joly, avocate au barreau de Paris et députée européenne, mettra l’accent sur l’importance de la volonté populaire et le rôle de la société civile dans la lutte contre la corruption. Car, dira-t-elle, seule l’opinion publique est apte à faire avancer les choses, parce que “la corruption et l’impunité renforcent le sentiment d’injustice qui est le moteur de ces pressions populaires”. D’après elle, la lutte contre l’impunité passe par la surveillance de la société civile, l’obligation de transparence et de déclaration des patrimoines des élus et des responsables des services publics et des magistrats.
Et la députée écolo d’appeler à des enquêtes dont les résultats doivent être communiqués au public.
Christian Vennetier, magistrat de liaison de l’ambassade de France en Tunisie, soulignera que les premières journées franco-tunisiennes de lutte contre la corruption sont une étape importante dans la coopération entre les deux pays, ajoutant que “c’est une première étape destinée à être renouvelée chaque année jusqu’à l’éradication de la corruption”, a-t-il soutenu.
Pendant deux jours, les participants français et tunisiens débattront plusieurs sujets en rapport avec la corruption comme la prévention de ce phénomène dans les collectivités locales et dans les entreprises, la répression de la corruption et la nécessité d’une organisation judiciaire.
L’identification, la saisie, la gestion, la confiscation et le recouvrement des avoirs de la corruption, le rôle des instances et de la société civile dans la lutte contre la corruption, figurent également au programme de ces journées.
A noter que les débats sont retransmis en direct dans les facultés de droit de Tunis, El Manar, Ariana, Sfax et Sousse