Le mouvement de protestation dans la gouvernorat de Tataouine a connu une escalade dangereuse lundi 22 mai 2017 après avoir été pacifique un mois durant, avec l’incendie dans le chef lieu du gouvernorat de voitures des forces de sécurité et la mort d’un manifestant après avoir été percuté par inadvertance par un véhicule 4×4 de la police.
Cette tournure violente prise par ce mouvement a suscité des interrogations sur le degré de légitimité de ces manifestations et sur les abus éventuels des forces de sécurité.
Pour la sociologue Fethia Saadi, ce qui se passe à Tataouine est “dangereux” d’autant que les protestations se sont poursuivies malgré les offres de solution. “La poursuite des protestations porte atteinte à l’Etat, ce qui donne du crédit à la thèse que les protestations n’ont pas pour objectif la réalisation du développement uniquement mais ont d’autres objectifs”, a-t-elle estimé dans une déclaration à l’agence TAP.
Elle a indiqué que “le ralliement d’avocats islamistes aux protestations aux côtés du parti Ettahrir et autres éléments de courants extrémistes suscitent la suspicion et attisent l’inquiétude”.
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“Cette escalade intervient à un moment ou les frontières tuniso-libyennes connaissent des développements dangereux après l’élimination de 140 officiers et agents de Khalifa Hafter et le déclenchement de combats à Tripoli et dans la zone frontalière entre Daesh et l’armée libyenne”, a-t-elle ajouté.
La psychologue a mis en garde contre le fait de pousser les protestations à son paroxysme “car elles risquent d’ouvrir les portes aux éléments de Daesh en Tunisie après avoir vu l’étau se resserrer sur elle par l’armée libyenne”.
“Les événements à Tataouine ne peuvent qu’affaiblir l’Etat tunisien, servir le terrorisme et aider les contrebandiers et les corrompus”, a-t-elle estimé.
De son côté, le ministre de l’emploi et de la formation professionnelle, Imed Hammami, a souligné à l’agence TAP que “l’agression contre l’Etat n’est pas tolérable”, tout en réaffirmant le droit de tous à manifester.
Il a souligné que “les propositions de l’Etat ne peuvent dépasser le plafond du plan de développement 2016-2020”, tout en appelant les manifestants à “respecter les règles de la protestation pacifique et de la loi”.
Le gouvernement avait proposé d’injecter 50 millions de dinars dans le fonds de développement de la région, employer 1500 jeunes dans les sociétés pétrolières dont 1000 en juin le reste début 2018 ainsi que de recruter 2000 personnes dans la société de l’environnement et du jardinage, rappelle-t-on.
Ce package avait été rejeté par une partie des protestataires qui ont pris la direction d’El Fana le 18 mai où sont installées les stations de pompage du pétrole et mis en place de tentes pour protester contre le discours du chef de l’Etat le 10 mai qui avait annoncé que les sites de production de pétrole seront mis sous la protection de l’armée.
Selon le spécialiste de la sociologie comparative à l’université tunisienne, Fethi Farhani, les événements de Tataouine “reflètent l’échec de l’Etat national à trouver des solution et à décrypter la crise”.
“L’héritage du passé fait de marginalisation et de pauvreté ne peut pas être résolu facilement. Les batailles désormais sont celles du développement qui n’est pas un concept abstrait mais qui exige des outils crées par l’Etat pour le concrétiser et l’association des compétences nationales et des instituts de recherche pour contribuer à lui trouver des solutions”, a-t-il expliqué.
Il a proposé à cet égard un dialogue national sur la situation socio-économique du pays “qui exige des membres du gouvernement Chahed une plus grande capacité de négociation”.
Pour ce sociologue, la question sociale se pose avec plus d’acuité qu’en 2011, appelant le gouvernement à s’ouvrir sur les académiciens et experts et à changer la conception du pouvoir trop centralisé.
La recrudescence des protestations à Tataouine intervient dans un contexte de tension à l’échelle nationale marquée par la multiplication des sit-in et de la grogne sociale.
Le président du forum tunisien des droits économiques et sociaux, Abderrahmane Hedhili, a précisé à l’agence TAP que le mois d’avril a enregistré 1.496 mouvements de protestation sociale:
– plus de 120 mouvements dans les gouvernorats de Tataouine et Kairouan
– plus de 90 mouvements au Kef, Sidi Bouzid et Gafsa
– plus de 60 mouvements à Jendouba, Kasserine, Medenine, Sfax et Tunis
– plus de 30 mouvements à Gabès, Seliana, Sousse, Monastir, Zaghouan et Beja
Ces mouvements prennent des formes diverses, ajoute Hedhili, comme les grèves de la faim, les barrages sur les routes, la fermeture des lieux de travail, les marches pacifiques, l’incendie des pneus et les marches vers la capitale.