Sans aller jusqu’à prétendre qu’il y a une véritable coordination entre les trois parties, corrompus repentis, gouvernement et société civile semblent se partager les rôles dans leur dénonciation de la corruption, et ce au grand bonheur d’une opinion publique frustrée et traumatisée qui retrouve enfin le sourire, après six ans d’immobilisme et de crise multiforme.
Depuis le fameux slogan de l’élan révolutionnaire du 14 janvier 2011, “Harimna min ajli hadihi Ellahdha” (Nous avons vieilli, pour vivre ce beau moment) retrouve toute sa splendeur.
Ainsi, si le chantre de la corruption Imed Trabelsi a ouvert le bal en pointant du doigt des corrompus au temps de Ben Ali, le gouvernement a décidé d’arrêter quelques barons de la contrebande et du commerce parallèle, tandis que la société civile s’est attelée, elle, à rendre publiques des affaires de corruption active dans lesquelles sont impliquées de hauts fonctionnaires de l’Etat au temps de Ben Ali et de la Troïka.
Comment la justice a été contournée pour mieux lutter contre la corruption
Les trois parties -désespérées du mauvais rendement de magistrats qui, depuis six ans, passent le plus net de leur temps à coasser dans les médias, à faire des grèves et à revendiquer constamment des améliorations salariales- ont décidé de contourner cette justice attentiste et de lutter avec de nouveaux moyens légaux contre la corruption qui gangrène tous les secteurs et menace sérieusement la pérennité de l’Etat.
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Au commencement, les révélations, en dehors des cercles de justice, du champion de la corruption Imed Trabelsi, gendre de l’ancien dictateur Ben Ali, actuellement en prison.
Ce dernier a mis à profit les audiences publiques de l’Instance Vérité et Dignité (IVD) pour éviter les espaces clos et confidentiels de la justice et tirer à boulets rouges sur tout le monde: magistrats, douaniers et policiers, partenaires d’affaires..
La corruption active des cadres de l’Etat
Point d’orgue de ces révélations: la corruption active d’hommes d’affaires et de hauts cadres du pays (ministres, PDG d’entreprises publiques, magistrats, douaniers, flics…). D’après Imed Trabelsi, ces derniers se bousculaient, au temps de Ben Ali, aux fins d’offrir leurs services à ses proches et de solliciter leur couverture pour s’adonner, en partenariat, à toutes sortes d’activités illégales aux relents mafieux: constitution de sociétés fictives pour exercer tous genres de trafic à l’import et à l’export, ventes illicites d’alcool et autres produits juteux (fruits secs, bananes, électroménager…).
Ces révélations ont eu pour effet immédiat la remise en question, auprès de l’opinion publique, du bien-fondé du projet de loi présidentiel sur la réconciliation économique et financière. Ce même projet de texte qui se propose d’amnistier de hauts cadres de l’Etat et d’hommes d’affaires sous prétexte qu’ils avaient été contraints d’exécuter, malgré eux, des ordres et de s’impliquer passivement dans des affaires de corruption.
En clair, avec cet aveu d’Imed Trabelsi, il s’est avéré que la corruption de ces personnes n’était pas passive, elle était bien active. Leur responsabilité est totale.
La loi d’urgence, une alternative pour éviter une justice corrompue
Vient ensuite cette décision ô combien courageuse du chef du gouvernement, Youssef Chahed. Ce dernier a évité l’écueil de l’immobilisme de la justice en arrêtant les barons de la corruption soupçonnés d’atteinte à la sécurité publique et à la sûreté de l’Etat, sur la base de l’article 5 du 26 janvier 1978, organisant l’état d’urgence. Cet article permet au ministre de l’Intérieur d’assigner à résidence des personnes pouvant constituer une menace à la paix publique.
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Est-il besoin de rappeler ici que la justice disposait pourtant des dossiers concernant ces barons mafieux depuis des mois?
Pour sa part, la société civile s’est engagée dans ce processus de lutte contre la corruption. Certaines associations ont couru le risque d’enquêter par “tous les moyens” pour dénoncer plusieurs affaires de corruption étouffées.
A titre indicatif, les associations “Manich msameh” et “Doustourna” ont tenu, jeudi 25 mai 2017 à Tunis, une conférence de presse pour présenter, chiffres et documents à l’appui qui n’étaient pas facilement accessibles, des présomptions de corruption, de pillage de biens publics et d’enrichissement illicite concernant plusieurs hauts cadres de l’Etat et hommes d’affaires influents dans le projet de Marina Gammarth.
Il s’agit, entre autres, de l’ancien président Ben Ali et de plusieurs responsables du tourisme de l’époque (2007): le ministre du Tourisme, les directeurs généraux de l’Office national du tourisme (ONTT) et de l’Agence foncière touristique (AFT), ainsi que le maire de La Marsa de l’époque.
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Un cas pratique de corruption
Pour revenir aux faits, la société foncière touristique Marina Gammarth avait acheté, pour 8 MDT, à l’Etat tunisien un lot de terrain à Gammarth d’une superficie de 21 hectares au prix de 40 DT le mètre carré alors que le prix en vigueur à l’époque était estimé entre 800 et 1.200 dinars tunisiens.
Selon le contrat conclu avec les autorités tunisiennes, ce site devait abriter uniquement un port de plaisance. Seulement, Marina Gammarth a mis à profit les avantages financiers et fiscaux institués par l’Etat en faveur de ce type d’investissement (port de plaisance) pour convertir la plus grande patrie du lot (19 hectares) en projet immobilier: construction de villas et d’appartements de luxe dont le prix varie entre 600.000 dinars et 2 millions de dinars. Seuls deux hectares ont été réservés au port de plaisance.
Le manque à gagner pour l’Etat a été estimé par les experts des deux associations à plus de 200 MDT pour un projet dont le coût s’élève à 60 MDT.
Le président de l’association Doustourna, Jawahar Ben Mabarek, a annoncé qu’en réaction à ce dossier flagrant de corruption, les deux associations ont décidé de porter l’affaire devant la justice et de poursuivre tous les fonctionnaires (ministres…), avocats et hommes d’affaires impliqués.
Il n’a pas manqué de signaler, avec grande émotion, que les membres des deux associations ont subi de fortes pressions et reçu de sérieuses menaces de liquidation.
Les magistrats grands perdants
Par-delà les détails de toutes ces initiatives visant à lutter contre la corruption en offshore des tribunaux, la justice -qui devait trancher dans toutes ces affaires depuis la publication, en 2011, du premier rapport du défunt Abdelfettah Amor, président de la Commission nationale d’investigation sur les affaires de corruption et de malversation (CICM)- est la grande perdante. Elle a perdu toute crédibilité.
C’est ce qui explique que dans un geste de désespoir, Moncef Selliti, porte-parole du parquet et du Pôle judiciaire spécialisé dans les affaires terroristes, se soit aventuré, dans la soirée du 25 mai 2017, sur la chaîne Elhiwar Ettounsi, à prendre la défense de ses collègues et à justifier, sans convaincre, l’attentisme de la justice et son mauvais rendement.
Pour certains analystes, comme Mondher Belhaj, député, ce porte-parole a manqué une autre occasion pour se taire d’autant plus que le Conseil supérieur vient d’être mis en place. C’est à ce dernier de prendre, désormais, les choses en main.
Dont acte.
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