Dans un entretien accordé à WMC en février 2011, feu Abdelfattah Amor, alors président de la Commission de lutte contre la corruption créée, rappelons-le, par Ben Ali avant son départ précipité ou forcé, avait déclaré: «S’agissant des rapports que les uns et les autres avaient avec le Palais, la quasi-totalité du peuple tunisien, quelles que soient ses responsabilités ou ses qualités, en possédait dans les domaines économique, politique, social et celui des demandes de faveurs. Que ce soit dit clairement au peuple tunisien et que l’on ne se donne pas aujourd’hui une virginité absolue. Le président de la République intervenait partout, dans le détail et sur tout, et il intervenait dans le domaine économique. Il favorisait les membres de sa famille ainsi que ses amis. Il est toutefois fondamental de faire la distinction entre les personnes auteures de malversations et de corruption et les entreprises qu’elles dirigent ou dont elles sont les propriétaires. L’acte de malversation ou de corruption ne doit pas être imputé à l’entité économique mais à la personne qui l’a commis».
Cette déclaration reste toujours de mise, aujourd’hui plus que jamais. La campagne anticorruption de Youssef Chahed, chef du gouvernement, n’a pas touché uniquement les nouveaux parvenus de l’après 14 janvier. Ces deuxième et troisième couteaux, qui ont profité d’un pays en désarroi pour gagner des échelons dans le grand banditisme et même dans la contrebande transnationale, mais à l’encontre de tous ceux qui, depuis 1990, ont profité du système. Ceux-là même qui ont été les plus grands alliés des corrompus du premier cercle de l’ancien président et ceux qui l’ont servi.
Ahmed Souab, ancien membre de la Commission de confiscation des biens mal acquis, estime qu’il existe en Tunisie deux mafias: «Celle de l’avant 14 janvier et celle de l’après 14 janvier. Si elles ne sont pas neutralisées puis extirpées, il y aura inéluctablement entre elles une synergie si ce n’est pas une alliance objective et subjective. Si nous faisons le bilan de la lutte contre la corruption sous l’ancien système et après sa chute, nous pouvons dire que la première a été squelettique et la deuxième inefficiente. Ce combat doit être mené en premier lieu par les élus du peuple à l’ARP, viennent ensuite les responsabilités du gouvernement et celle principalement de la justice».
A l’ARP, et à ce jour, nombreux parmi les «honorables» députés qui ont bassiné le peuple avec leurs discours sur la corruption se sont tout d’un coup tus, mis à part le couple Abbou.
Les autres ont repris le fameux discours droit-hommiste, oubliant tout d’un coup que le droit du peuple sur eux est qu’ils défendent ses intérêts à lui et non les leurs. Et sans entrer dans la logique sensationnaliste de la citation des noms, nous appelons ces derniers, hommes et femmes, à avoir la décence de se taire car ils ont failli à leur noble mission de préserver la Tunisie de tous ceux qui peuvent lui nuire en contrôlant et en légiférant!
Qui ne sait pas que la corruption a atteint notre pays jusque dans épine dorsale, l’administration? «Pour juguler le fléau de la corruption qui a gangrené toutes les arcanes de l’Etat, et au-delà des chefs de files en matière de corruption, il faudrait identifier leurs relais dans tous les rouages de l’Administration publique (douane, garde nationale, administration qui livre les autorisations, médias, avocats, députés et surtout les juges). Car sans un Etat de droit aucun pays au monde ne peut résister à l’anéantissement de ses institutions, et la responsabilité de la magistrature est en la matière colossale», explique M. Souab.
L’Etat est menacé dans son existence même
Il faut reconnaître que si les mafias ont pu sévir autant dans notre pays au point de menacer l’existence même de l’Etat, c’est parce qu’elles bénéficiaient de protections partout, ce qui leur permettait d’agir en toute impunité. Pire, elles avaient leurs espions dans toutes les administrations et étaient informées, selon certaines sources, en temps réel de toutes les initiatives en provenance du pouvoir central pour mettre fin à leurs agissements ou les freiner faute de mieux. Ce qui leur permettait d’échapper des mailles de la justice.
Combien de fois avons-nous entendu dire que les dossiers, arrivés aux mains des juges honnêtes, étaient vides ce qui les empêchait de statuer contre des personnes notoirement connues pour leurs mauvaises pratiques et malversations?
La guerre anti-corruption en Tunisie, on omet de le signaler, a été non seulement un souhait du peuple qui en souffrait dans ses tripes, mais aussi une demande et même une exigence à l’international. Notre pays étant devenu une terre de transit pour tous les produits possibles et imaginables, allant du trafic d’armes à celui des drogues en passant par celui des hydrocarbures, de biens de consommation courante et autres composants automobiles.
Dans son rapport du 10 mai 2017, le «Crisis Group» déplorait «la mise à mal des équilibres macroéconomiques et la polarisation dans le monde des affaires entre chefs d’entreprise, et entre ces derniers et les barons de l’économie informelle, notamment de la contrebande».
Le rapport citait une élite économique établie issue du Sahel et des grands centres urbains, élite protégée et privilégiée par des dispositifs réglementaires, et qui entend le rester et, de l’autre, une nouvelle classe d’entrepreneurs issus des régions déshéritées, dont certains sont cantonnés au commerce parallèle et qui soutiennent en partie les protestations violentes contre le pouvoir central et aspirent à se faire une place parmi l’élite établie, voire à la remplacer.
Conséquence, toujours selon le Crisis Group, «la compétition économique et politique est rendue malsaine par ce conflit profond, qui vise à s’accaparer les postes-clés de l’administration permettant de contrôler l’accès au financement bancaire et à l’économie formelle. Il contribue à étendre et «démocratiser» la corruption et à paralyser les réformes. Ceci renforce les inégalités régionales, que perpétue la discrimination des citoyens des régions marginalisées, elle-même rendue possible par le pouvoir discrétionnaire des responsables administratifs et la rigidité du système bancaire». Un discours qui n’est pas allé dans l’oreille d’un sourd.
Youssef Chahed, qui avait promis dans son discours d’investiture que son premier combat serait celui de la lutte anticorruption et face aux débordements des protestations de la zone de Kamour à Tataouine où l’autorité de l’Etat a été réellement malmenée, a vite fait de réagir.
Répondant aux vœux que l’on pensait pieux du peuple tunisien et aux attentes de la communauté internationale, il a pris l’initiative de réduire le pouvoir occulte des opérateurs économiques agissant dans l’impunité. Il a choisi la Tunisie. «Il faut choisir entre la corruption et la Tunisie, moi, j’ai choisi la Tunisie». Et il a osé!
Premières retombées: un soutien populaire jamais acquis par l’un de ses prédécesseurs depuis janvier 2011, mieux encore un regain d’espoir parmi les jeunes qui avaient perdu confiance dans le leadership politique, dans la justice et les médias. Ils se sont empressés d’organiser un rassemblement à La Kasbah pour crier au chef du gouvernement leur joie et le rassurer quant à leur appui.
A l’international, un signal fort: la confirmation par l’agence de notation américaine Fitch Ratings, dans un communiqué publié vendredi 26 mai 2017, de la note de B+ de la Tunisie comprenant des notes de défaut émetteur à long terme en devises et en monnaie locale de B+, avec perspective stable, et des notes d’émission d’obligations de premier rang non garanties de la Tunisie ”B+”. Les organisations internationales ne prêtent guère attention aux discours d’attention, elles veulent des actes.
Ouf ! Une lueur d’espoir dans un long tunnel! La grande inconnue reste toutefois la posture des élus du peuple, parmi lesquels certains font de la résistance aux décisions du chef du gouvernement. Est-ce parce que le système de la corruption leur allait si bien? La pieuvre “malversations et clientélisme“ les aurait-elle possédés au point de leur avoir fait oublier ce pourquoi ils ont été élus: servir la Tunisie et son peuple? Mettraient-ils leurs intérêts au-dessus de ceux de la Tunisie?
Je reprendrai, pour terminer une belle citation du grand Shakespeare: «La faute n’en est pas à nos étoiles; elle en est à nous-mêmes»! La Tunisie n’a pas besoin d’élus mercenaires, elle a besoin d’élus guerriers!
Amel Belhadj Ali
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