La politique étrangère adoptée par la France est-elle à même de lui accorder un positionnement privilégié au firmament des grandes nations ? Ou encore lui permet-il aujourd’hui de préserver son leadership dans des pays où elle était très présente jusqu’à ces dernières années ? N’est-il pas temps pour la France de réexaminer ses politiques étrangères dans la rive Sud de la Méditerranée et en Afrique ?
Réponses d’Erwan Davoux, politicien issu de la mouvance républicaine gaulliste.
WMC : D’après vous, les temps sont-ils venus pour la France de revoir sa politique étrangère ?
Erwan Davoux : Je pense qu’il faut refonder la politique étrangère de la France. C’est un projet que j’appelle de mes vœux, parce que nous sommes à la dérive depuis quelques années, on ne sait plus très bien où se situe la France. Il est triste de reconnaître que la France n’est plus leader sur aucun dossier diplomatique. Donc grands temps pour qu’elle retrouve son rôle premier en Europe.
On parlait du couple franco-allemand, ce n’est plus qu’une commodité de langage. Dans ce couple, l’Allemagne réussit, la France ne réussit pas. La France n’a plus de leadership ni d’autorité en Europe. C’est pourtant la première condition pour qu’elle continue à peser sur les affaires du monde.
Pour récupérer du terrain, il va falloir entamer des réformes économiques et sociales importantes, qui lui permettront de repartir sur de bonnes bases et dans la bonne direction, et donc d’être crédible quand elle prend position. Parce que quand vous êtes à la tête d’un pays, qui creuse les déficits, le budget, la dette publique, et dont le commerce extérieur est en déséquilibre, ce que vous dites à l’international n’a pas de valeur.
Et les relations de la France avec les superpuissances internationales et les pays du Golfe ?
Notre pays doit réinventer de nouvelles approches politiques vis-à-vis des grandes puissances. Il y a l’allié américain, et le partenaire russe. Avec la Russie, nous devons dialoguer. Nous ne pouvons pas l’ignorer tout en restant fidèle à nos valeurs. Les USA sont un allié et la Russie un partenaire.
La zone où la France estime être une puissance qui compte est la Méditerranée et l’Afrique et notamment celle de l’Ouest francophone. Nous n’en parlons plus et la France n’arrive pas à mettre en place une politique vis-à-vis de la rive sud de la Méditerranée. Je constate que dans beaucoup de pays, on a considéré que la priorité politique de la France vis-à-vis de la rive sud a disparu au profit d’une coopération technique avec l’UE. Ce que nous voulons, nous, c’est que notre pays, tout en jouant son rôle, envisage avec les pays du Sud de la Méditerranée une relation qui ne se limite pas au volet sécuritaire, nécessaire, et au dossier migratoire, mais construire, quelque chose de commun ensemble et dans laquelle l’UMA doit jouer un rôle important.
L’Union pour la Méditerranée est un projet qui a été mal porté et pour nombre de raisons. La France devait le porter avec les pays méditerranéens car je ne pense pas que pour l’Europe il est si important.
Il est clair que d’autres pays de l’UE regardent ailleurs et c’est normal. C’est la géographie qui le veut mais il n’a pas avancé parce qu’il a eu un certain nombre de crises: la Libye, la Syrie, et bien avant nous avions déjà le conflit israélo-palestinien, qui n’en finit pas, et sur lequel la France ne se fait plus entendre. Nous connaissons pourtant les voies pour un règlement juste.
Avec l’UMA, persiste le problème de la libre circulation des personnes !
Je le dis de nouveau, la France doit redéfinir ses politiques vis-à-vis de la rive sud de la Méditerranée mais une politique globale, où l’UMA, où la culture, où la mobilité des personnes jouent un rôle.
Je pense aussi que la France doit redessiner sa politique africaine, parce que sur l’Afrique, elle est très concurrencée. Et si nous nous contentons des grandes messes, les sommets africains, ou les chefs d’Etat qui se parlent entre eux, eh bien ça ne sera pas suffisant. Au mois de janvier 2017, il y a eu le sommet de Bamako, qu’en est-il sorti? Rien!
La France doit s’adresser à la société civile et avoir un meilleur échange avec elle. C’est faisable puisqu’il y a dans les sommets Afrique France une enceinte où les associations, les jeunes pourraient dialoguer. Grands temps pour les associer à une coopération qui ne se limite pas aux institutionnels, à une coopération d’Etat à Etat, cette époque-là est dépassée.
Pour ma part, je souhaite que la France retrouve une politique étrangère en mettant en place quelques priorités définies avec un grand ministre des Affaires étrangères, qui a une vision. Depuis Juppé et Dominique de Villepin, et sous le quinquennat Hollande, où Jean Marc Ayrault aurait été plus transparent au quai d’Orsay qu’il ne l’a été à Matignon, ce qui est un exploit, nous n’avons pas vu des passages marquants en matière de politique étrangère.
Laurent Fabius s’était focalisé sur la question du nucléaire iranien et de la Syrie en commettant pas mal d’erreurs sur la Syrie. Nous ne pouvons pas dire que Fabius se soit beaucoup déplacé en Afrique. Je déplore l’abandon de l’Afrique par la France. Bien avant, l’Afrique était une priorité pour nous et nous avions, dans la famille des Gaullistes, une véritable passion pour l’Afrique. Ces Gaullistes étaient de bons connaisseurs du continent et élaboraient leurs politiques sur le long terme.
Ne pensez-vous pas que la France a lâché l’Afrique parce qu’elle la pensait acquise ?
Exactement ! C’est le cas de le dire. Pendant longtemps on nous a dit que les Chinois ne pouvaient pas nous supplanter en Afrique car nous parlons la même langue et on se comprend mieux. Tout cela est du passé, il y a des pays francophones où le français est de moins en moins parlé, nos concurrents ou partenaire à l’étranger font un effort d’apprentissage à la langue ce qui n’est plus vraiment notre cas.
La France ne peut pas se contenter de vivre sur ses acquis, je pense qu’elle est dans une situation difficile et que son image est brouillée comme je l’ai dit tout à l’heure. Déjà que les jeunes africains en ont une image négative et pourtant ils n’ont pas connu la France coloniale. Le fait est qu’on attend beaucoup de la France tout en gardant des préjugés que notre pays n’a pas su dissiper. Alors c’est ou la France n’agit pas, ou qu’elle agit mais pour préserver ses propres intérêts.
Je prends l’exemple de notre intervention au Mali, que j’ai personnellement approuvé. Certains estiment que la France est intervenue parce qu’elle a des arrière-pensées: le sous-sol, les richesses à préserver, etc. Pourquoi ces interprétations? Eh bien parce que la France est intervenue tardivement et seule. François Hollande n’avait pas été capable de former une coalition internationale pour soutenir son initiative et l’accompagner dans cette entreprise parce qu’on a dans l’esprit que c’est l’ancienne puissance coloniale qui intervient.
Il y a beaucoup de pédagogie à faire parce que notre image est brouillée et que nous avons conservé l’idée que nous avons avec l’Afrique une relation privilégiée due à l’histoire, à la francophonie et à l’importance des communautés des binationaux.
Quel est le rôle des binationaux dans le rapprochement entre l’hexagone et leurs pays de résidence ?
Les binationaux doivent jouer le rôle d’une passerelle. Mais il faudrait tout d’abord que la France leur accorde une plus grande importance. Pour l’instant, ils ne sont pas mis en valeur, il faut que nous donnions l’image d’un pays attractif et ouvert sur le monde qui veut séduire le monde. Aujourd’hui, notre image est celle d’une France repliée sur elle-même qui ne regarde pas le monde comme il est.
Quand nous entendons Marine Le Pen parler de la mondialisation et de l’Europe comme étant les sources de tous nos maux en France, nous réalisons le ridicule de notre posture. Si crise il y a dans notre pays, ça n’est pas la faute à la mondialisation ou à l’Europe. Nous y sommes en plein et nous n’avons pas d’autres choix. Le hic est que la France n’a pas fait les efforts nécessaires, pour oser les réformes économiques et sociales structurelles nécessaires que tous les Européens ont fait, pour retrouver une crédibilité économique, refonder une politique étrangère et continuer à peser dans les affaires du monde. Espérons que cela sera fait durant le quinquennat Macron.
Justement, parlons de l’élection de Macron, qu’en est-il de la droite française historique ?
Vous évoquez une question très intéressante. Le constat est que depuis 2007, la droite française perd quasiment toutes les élections. Et j’ai la nette impression que nous nous adressons à un noyau dur de l’électorat de nos propres militants. Nous ne sommes pas suffisamment ouverts sur les autres, ceux qui ne pensent pas comme nous, ceux que nous aurions dû conquérir.
Jacques Chirac voulait pour le RPR un rassemblement de Français, qui pensent avec une ligne directrice: le sens de l’intérêt général en adoptant une certaine idée de la France, comme disait le général De Gaulles, et une certaine idée de l’homme, mais avec un large spectre. Un rassemblement, c’était aussi l’ambition de l’UMP, quand elle a été créée pour rassembler la droite et le centre, et au fur et à mesure que nous avancions, s’est étiolé. Nous sommes revenus à un noyau dur de la droite, ce qui ne permettait pas de gagner les élections.
Notre candidat a été absent du deuxième tour de la présidentielle, et c’est la première fois sous la 5ème République, tout comme c’est la première fois que nous ne gagnons pas les élections législatives des Français à l’étranger.
Je pense que la droitisation aussi depuis quelques années n’est pas la solution, nous avons perdu les élections de 2012, nous avons aussi perdu toutes les élections intermédiaires sous Nicholas Sarkozy, alors qu’il était président. Donc il faut s’interroger sur la capacité à renouveler nos idées et à revenir peut-être à la tradition gaulliste et chiraquienne. Je pense à l’inflexion de la ligne politique pour ne pas s’adresser simplement à l’électorat de la droite, mais essayer de rassembler au-delà, je pense qu’il faut renouveler notre corpus idéologique.