La Note stratégique élaborée par l’ITES parvient à la conclusion suivante : “En 2025, la Tunisie se confirmera comme un pays émergent, résilient et réconcilié avec lui-même“. Quelle part de réalité, dans ce message d’espoir?
Hatem Ben Salem, président de l’ITES (Institut tunisien des études stratégiques), était l’invité d’honneur du dernier déjeuner débat de la Chambre tuniso-française de commerce et d’industrie (CTFCI) pour débattre de la Note stratégique “Tunisie 2025“. La CTFCI est, à notre connaissance, la première chambre mixte à s’intéresser au sujet. Nous pensons que cette Note mérite un travail de promotion d’envergure auprès des chambres mixtes auprès de nos principaux partenaires. Nous irons même jusqu’à suggérer une caravane itinérante, un road show, à travers les principaux pays d’Europe et d’Amérique du Nord.
La Note apporte une note d’optimisme dans la sinistrose ambiante, disait haut et fort, Foued Lakhoua, dans son mot de bienvenue. Et c’est toute la communauté d’affaires qui se trouve dans l’expectative, ne sachant trop s’il faut prendre les conclusions de l’étude pour de l’argent comptant.
Petit point de détail, ce déjeuner-débat a eu lieu bien avant les récentes arrestations ordonnées par le chef du gouvernement, quand planait une certaine opacité sur le devenir du secteur informel qui chargeait l’horizon, empêchant une projection dans l’avenir.
Il faut dire que le lecteur en découvrant la Note n’arrivait pas à se faire une juste opinion sur ses conclusions notamment. La Note stratégique a pour colonne vertébrale l’Etat dans son rôle de puissance publique. Et l’Etat était absent, créant une carence énorme. C’est ce qui faisait que le lecteur en arrivait à relativiser les conclusions de l’étude, comme le laissait sous-entendre Foued Lakhoua. Mais depuis que le chef du gouvernement a signé le retour de l’Etat dans la partie, la Note s’est réellement mise en perspective, retrouvant un crédit de validation et beaucoup d’aplomb.
Un travail titanesque
La Note répond aux exigences les plus strictes en matière de travail prospectif. Et Hatem Ben Salem de rappeler que c’est l’effort collectif de 40 experts avec la collaboration de pas moins de 500 opérateurs économiques et autres acteurs privilégiés. De nombreux workshops se sont tenus à l’effet d’étendre la consultation au plus grand nombre et dans les régions.
Ce travail, tant attendu, est nécessaire. Et Hatem Ben Salem d’affirmer que l’absence dune profondeur stratégique est la cause de l’échec en politique. Quand l’Etat ne se donne pas les moyens de surfer sur les évènements et de regarder loin, il croule sous le poids de l’urgence, jouant sans arrêt au pompier.
Rappelant les principaux chantiers, Hatem Ben Salem s’en tient aux deux chantiers emblématiques de l’éducation et de la fiscalité. Toutes les tentatives de refondation, en la matière, n’ont pas abouti au résultat escompté. Y a-t-il meilleure preuve d’un Etat en état d’impuissance à recouvrer son autorité.
Au plan méthodologique, la Note n’a subi aucune critique sévère. Le travail a été conduit avec la mesure requise et les normes reconnues. Cela a conduit à un diagnostic rationnel et raisonnable. Et les six piliers de la refondation qui ont été sélectionnés permettent, en effet, un balayage complet des perspectives d’avenir.
Visite guidée
Le diagnostic est adossé à un questionnement rationnel. C’est ce qui fait sa pertinence. Ainsi, pour le chapitre “Etat et institutions“, les auteurs de la Note font observer qu’avec une Constitution saluée de tous, le principe de redevabilité n’est pas clairement affirmé. A qui, en fin de compte, le citoyen peut-il demander des comptes. La sur-représentativité actuelle est un acquis démocratique mais c’est un hybride en matière d’échelle des responsabilités. Elle occulte par la même la conception et le rôle de l’Etat.
Les auteurs estiment que le pays a besoin d’un Etat à la fois stratège et interventionniste. Ils se prononceront pour un Etat de droit, qui s’affirme comme protecteur des libertés.
Pour la sécurité et la défense, avec l’irruption du phénomène terroriste, une révision de notre paradigme de sécurité et de défense s’impose. Le pays était sous-équipé militairement car il se sentait immunisé contre le terrorisme. A présent que le terrorisme s’est incrusté dans la société, une nouvelle doctrine instituant un rapport nouveau entre défense et sécurité doit être trouvé.
En matière de développement économique, la Note s’attaque à la plaie du déséquilibre régional, grand responsable de notre échec économique. Les élites régionales sont peu engagées dans la vie publique, il faut que ça change. Et l’administration locale a un mauvais rendement. Elle doit être reconfigurée.
La répartition régionale avec un découpage de 24 gouvernorats est impropre. Le réaménagement du territoire est une priorité. Les régions doivent retrouver une certaine autonomie et pouvoir s’internationaliser pour pouvoir compter sur elles-mêmes.
Et puis la décentralisation financière doit pouvoir carburer à fond. Tous doivent avoir une chance. Alors vivement les nouveaux véhicules de financement soit à travers les banques régionales ou les fonds d’investissement. Enfin le dialogue social! Le pays du Nobel de la paix vit une friction, inédite, entre sa partie nord et sa partie sud. Inacceptable, tonnera Hatem Ben Salem. Il faut que le pays retrouve sa cohésion nationale. Quid de la culture et de l’éducation? Aller vers l’enseignement, selon Montaigne, qui favorise la tête bien faite à la tête bien pleine. Et en soutien à l’employabilité, privilégier la formation arts et métiers.
Last but not least, le pays doit reconquérir une place de choix sur la scène internationale. Hatem Ben Salem rapporte que le président sénégalais Abdou Diouf recommandait à ses ambassadeurs de se rapprocher régulièrement de la position de la Tunisie. Ce crédit de raison a été cassé sous la Troïka. Les injonctions d’un lointain émir, ou d’une injonction ottomane ont pesé davantage que les intérêts supérieurs de la nation.
Que de non dits !
La Note épouse les contours de la pensée réformiste, patriotique, telle qu’elle est présentée sur la scène nationale par les divers think tanks. Cependant, si elle présente des objectifs, qui font consensus, la Note n’indique pas certains prérequis.
Pour fixer définitivement le rôle de l’Etat, doit-on, oui ou non, transiter par une réforme de la Constitution? C’est dans l’air, sans être dit expressément.
Les rapports avec l’Europe et le Maghreb piétinent, or la résilience exige que ces rapports soient profondément remaniés. Comment booster le commerce dans le Maghreb sans aller vers un système monétaire commun? Comment développer les régions sans pouvoir puiser dans les fonds structurels européens.
Nous approfondirons ces questions lors d’une interview imminente avec Hatem Ben Salem, qui s’y est engagé.