Généralement discrètes, des figures de proue du monde des affaires tunisien ont sauté sur la récente opération “mains propres“ du gouvernement, et son corollaire, l’arrestation d’un premier contingent de contrebandiers et autres barons du commerce informel, pour apporter, certes, leur soutien au pouvoir exécutif dans sa lutte contre la contrebande. Mais c’est surtout pour clamer leur ras-le-bol, leur profond mépris et rejet des intrus, voire des politiciens-affairistes et autres pseudo-hommes d’affaires qui ont fait flèche de tout bois pour s’imposer aux Tunisiens après le soulèvement du 14 janvier 2011. En plus clair, ils veulent s’en laver les mains… à jamais pour certains entrepreneurs.
Il faut reconnaître que ces politiciens- affairistes-contrebandiers, forts de fortunes colossales dont la traçabilité n’a jamais été établie, ont, durant six longues années, fait preuve d’arrogance et d’insolence inouïes.
Certains d’entre eux étaient tellement téméraires, pressés et grisés par leurs fortunes au point d’avoir osé se présenter à la dernière présidentielle et d’avoir cru que les Tunisiens pouvaient les élire.
Ras-le-bol du gangstérisme des nouveaux riches
Deux cas de banditisme, d’impertinence et d’effronterie manifestes méritent d’être cités pour l’Histoire.
C’est le cas de Slim Riahi, président de l’Union patriotique libre (UPL). On s’en souvient, sur les plateaux de télévision, il avait pris à partie en des termes grossiers et indélicats l’ancien chef du gouvernement Habib Essid lorsque ce dernier lui avait refusé le limogeage du ministre UPL -Maher Ben Dhia- alors ministre de la Jeunesse et des Sports. Ben Dhia s’était interdit, à l’époque, d’obéir aveuglément aux directives du président de son parti (UPL).
C’est le cas également de Chafik Jarraya, “ministre des Affaires étrangères d’Ennahdha auprès de Fejr Libyen“. Ce nouveau riche, qui prétend être un homme d’affaires, avait tenu sur le plateau d’une chaîne de télévision privée un discours fort réducteur à l’endroit de l’actuel chef du gouvernement, Youssef Chahed en l’accusant d’impuissance et de “ne pas être capable de mettre une chèvre dans une prison”.
De tels comportements qui sont à la limite du gangstérisme ne pouvaient qu’heurter les chefs d’entreprise d’honnêtes qui s’acquittent de leur devoir en termes de création d’emplois stables et de payement de l’impôt.
Le monde des affaires ne veut plus de ses intrus
C’est pourquoi, lorsque la volonté politique s’est manifestée à travers le déclenchement d’une “véritable” lutte contre la corruption et l’arrestation de contrebandiers qui ont usurpé le titre “d’hommes d’affaires”, des entrepreneurs intègres encadrés ou non encadrés n’ont pas manqué de se démarquer publiquement de ces malfrats et de revendiquer une nouvelle éthique d’entrepreneurs bâtisseurs honnêtes.
Ce n’est pas d’ailleurs un hasard si Afek Tounès, réputé pour être un fief de chefs d’entreprise et de cols blancs, est le premier parti à avoir réagi positivement à cette opération coup de poing contre les contrebandiers.
Dans le communiqué publié à cette fin, Afek Tounes a exprimé “sa grande satisfaction pour le lancement des prémices de cette guerre”, estimant que “la guerre contre la corruption est aussi importante que celle menée contre le terrorisme”.
Côté patronat, les deux organisations patronales, l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (UTICA) et la Confédération des entreprises citoyennes de Tunisie (CONECT), ont apporté leur soutien à la politique de lutte contre la corruption engagée par le gouvernement.
Entrepreneur vs homme d’affaires
Mention spéciale pour la réaction à ces arrestations d’une des illustres figures du patronat tunisien, en l’occurrence Farid Abbès, PDG d’un grand groupe opérant dans la fabrication de camions, d’autobus et d’autocars, l’armement maritime, l’exploration et la distribution de produits pétroliers et tout récemment dans l’hôtellerie.
Dans sa réaction aux arrestations de contrebandiers, cet entrepreneur, comme il préfère être qualifié, a déclaré que “ce qui fait la différence entre l’entrepreneur dans l’industrie et ce qu’on appelle un homme d’affaires, c’est que cette dernière appellation renvoie à des connotations réductrices telles que l’affairisme et autres choses négatives”.
Pour lui “on ne doit pas faire l’amalgame entre les entrepreneurs – investisseurs – bâtisseurs – créateurs de valeurs, qu’ils soient agriculteurs, commerçants, industriels, managers, et des hommes d’affaires spéculateurs qui vivent d’intermédiation et de trafic d’influence. Il est temps de changer cette perception parce que, autrement, on porte préjudice à l’image sociale de l’entrepreneur. La société doit encourager les gens, particulièrement les jeunes, à devenir des entrepreneurs créateurs de valeurs et non à devenir des hommes d’affaires spéculateurs”.
Le message est des plus clairs. Nous assistons à l’émergence d’une prise de conscience, des politiques et des associations patronales et des entrepreneurs bâtisseurs de l’urgence pour certains chefs d’entreprise de migrer “du statut de chasseurs des avantages pécuniaires et fiscaux“ générés par certains mécanismes tels que l’offshore et les sociétés de commerce international vers “le statut d’entreprises créatrices d’emplois stables et de valeurs“. Car selon les propos de Férid Abbes, “une entreprise qui ne crée pas de la valeur n’a aucune justification d’exister”.