Les importations ont augmenté de 70,91% entre 2007 et 2016, passant de 24,44 milliards de dinars à près de 42 milliards de dinars, alors que les exportations ne suivent pas ce rythme. Des importations anarchiques qui risquent de bloquer la production locale, la consommation et le système financier ainsi que l’emploi, selon certains économistes.
Mourad Hattab, “expert et économiste”, donne, dans un entretien avec la TAP, des éclairages sur cette tendance à importer toujours plus, qu’il qualifie d'”insoutenable” pour l’économie nationale.
Ainsi, à la question sur “… l’état actuel de la balance commerciale en Tunisie”, l’expert assure que “la Tunisie a importé, au cours des cinq premiers mois de 2017, l’équivalent de 19,822 milliards de dinars contre 16,820 milliards de dinars durant la même période de l’année 2016, soit une augmentation de 17,8%”. Le déficit commercial s’est ainsi aggravé, précise-t-il, pour se situer à 6,5 milliards de dinars contre 5,136 milliards de dinars durant la même période de l’année écoulée.
Et Mourad Hattab de poursuivre ses explications: “La Tunisie, qui dispose de ressources de toutes catégories (agricoles, minières, produits de la pêche, industries manufacturières…), s’est transformée, dans un laps de 10 ans, en pur importateur, à l’image d’une zone de libre-échange reculée au fond de l’Océan indien ou de l’Océan Pacifique. Le déficit enregistré, à la fin de 2016, est réellement de l’ordre de 20.656 MDT, tenant compte du régime général et abstraction faîte du régime offshore, alors que les autorités déclarent un déficit de 12.621 MDT, qui est un chiffre biaisé.
En volume, les importations se sont élevées à 18.000 tonnes, en 2016, un volume difficile à contrôler par n’importe quelle structure de contrôle en Tunisie, en termes d’origine et de conformité aux normes sanitaires et autres”.
Appelé à répondre à la question s’il faut oui ou non suspendre l’accord de libre-échange entre la Tunisie et l Turquie, Mourad assure que sans doute “… le déficit enregistré avec la Turquie pèse lourd en termes de solde commercial, mais du point de vue échanges, les importations de la Turquie représentent seulement 5% du total des importations tunisiennes, soit une valeur de 1.838 MDT sur 41.766 MDT (enregistré à la fin de 2016)”. Donc, ce qui le gêne, c’est “le fait est que nos importations sont composées d’une majorité de produits non nécessaires, tels que les matériaux de construction, les produits en aluminium et fer, les câbles et les produits de consommation courante”.
“L’accroissement annuel de telles importations est choquant, soit un taux oscillant entre 60% et 330%. A titre d’exemple, l’accroissement des importations des bananes et fruits exotiques, produits prisés par les Tunisiens mais qui ne sont pas de première nécessité, s’est élevé à 64%. Quant aux importations des conserves, elles ont augmenté de 330% entre 2015 et 2016”.
“La situation est insoutenable, car cela n’a rien à voir avec les besoins réels des Tunisiens et ne constitue pas surtout une solution aux problèmes vécus par les agriculteurs, dont les difficultés de commercialisation des excédents de la production nationale des fruits, à titre d’exemple les agrumes…”.
A la question “Quels sont les impacts du déficit de la balance commerciale sur la sphère financière?”, l’expert tunisien a répondu: “Les importations provoquent des dégâts énormes pour le système financier. Elles bloquent le système financier puisque tous les secteurs sont en synergie. Ces importations massives ont créé une demande très importante sur les devises étrangères, ce qui a entraîné le glissement du cours du dinar, qui est à l’origine de l’accroissement de la facture de l’importation, d’autant plus que le déficit a dépassé les réserves en devises de 160%”.
Et d’ajouter: “Ceci risque de mettre à la dérive nos réserves en devises, qui représentent 97 jours d’importation jusqu’au 9 juin 2017, l’équivalent de 12.078 MDT. Les importations tunisiennes sont anarchiques, leur commercialisation et leur gestion sont également désordonnées, ce qui a entraîné une baisse énorme de la liquidité, évaluée entre 7 MDT et 8 MDT quotidiennement”…
Dans son analyse, Mourad Hattab souligne que “… les importations touchent les sphères production-consommation, ce qui créera deux dangers imminents: d’abord toutes les recettes des exportations seront absorbées directement par les importations et par le service de la dette extérieure. Par conséquent, la Tunisie fera face à des difficultés de paiement de ses dettes ainsi que de ses factures d’importation. Si les importations et exportations se bloquent à la fois, on pourrait voir des centaines de milliers de personnes menacées par le chômage”.
Pour lui, avec ce déficit, la Tunisie ne pourra pas d’atteindre un taux de croissance de 2,5%, parce que les deux volets importants qui créent la richesse, à savoir la consommation et l’exportation, sont dans une situation lamentable. “Même si on double notre facture d’export des phosphates et nos recettes en devises provenant du tourisme, on n’arrivera plus à joindre les deux bouts par rapport à l’ampleur du déficit enregistré en 2016, qui est réellement de 20,656 MDT (tenant compte seulement du régime général)”.
Pour preuve, à la fin de janvier 2017, les dépenses de développement n’ont pas dépassé 53 MDT, outre la non concrétisation par les bailleurs de fonds des promesses faites lors de la conférence d’investissement “Tunisia 2020” (29-30 novembre 2016), ajoute-t-il. “La situation s’aggravera encore si le gouvernement passe à l’acte s’agissant de la signature de l’Accord de libre-échange complet et approfondi ou ALECA qui va détruire complètement les secteurs des services et de l’agriculture”.